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Guillaume Lebrun : « J’ai toujours eu une passion pour Jeanne D’arc »

Guillaume Lerbun, auteur de fantaisies guerilleresGuillaume Lerbun, auteur de fantaisies guerilleres
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 19 octobre 2022, mis à jour le 19 octobre 2022

Et si Jeanne D'arc n'était pas une bergère qui parlait avec Dieu ? Et si cette fable n'était qu'un produit marketing issu de l'esprit d'une Yolande d'Aragon en quête de reconnaissance ? Dans ses Fantaisies guérillères, Guillaume Lebrun se réapproprie l’histoire de la pucelle d'Orléans mais aussi la langue française. L’auteur, qui a « beaucoup de mal avec les icônes », nous livre une version drôle et haletante mais tout aussi mystique. Ce premier roman, salué lors de la rentrée littéraire, interroge la place des héroïnes dans l’Histoire et la sacralisation de la plus tricolore des martyres.

 

 

Vous êtes éleveur d'insectes et publiez aujourd'hui votre premier roman. En quoi votre activité nourrit-elle votre passion ?  

Il y a énormément de points communs entre la littérature et l’agriculture. Le premier et le plus important d’entre eux étant l’échec. Lorsqu’on plante quelque chose dans le sol ou lorsqu’on écrit la première phrase de ce qui pourrait devenir un roman, ça ne fonctionne jamais immédiatement. Il faut donc amender le texte comme on amende la terre. Par ailleurs, ces deux activités nécessitent de se couper radicalement du monde extérieur. Elles sont donc parfaitement complémentaires et me correspondent bien.

 

Il fallait l’extirper des mains visqueuses des fascistes, des néo-nazis et des cathos intégristes

 

Pourquoi avoir choisi d'évoquer la figure de Jeanne d’arc pour ce premier roman ? 

J’ai toujours eu une passion pour Jeanne D’arc. Mais, en France, lorsqu’on a ce genre de passion, on apprend très vite l’existence de l’extrême droite, qui s’est accaparée la Sainte comme si elle leur revenait de droit, alors que dans le reste du monde celle-ci est considérée comme une figure féministe de premier plan. Il fallait donc l’extirper des mains visqueuses des fascistes, des néo-nazis et des cathos intégristes (pardon pour ces pléonasmes).

De plus, chacun et chacune a sa propre vision de Jeanne D’arc. C’est un des personnages historiques sur lequel on a le plus écrit et tourné de films. C’est précisément cette profusion, cette matière inépuisable, qui permet de se s’en saisir à nouveau, d’une manière à chaque fois différente.

 

J’ai tenté de créer quelque chose qui soit à la hauteur de sa fureur, de son extravagance et de sa grâce

 

Pour ce livre, vous avez créé votre propre langage, comment est-il né ? 

Il y a deux narratrices dans ce roman : Jehanne et Yolande d’Aragon. C’est en découvrant cette dernière, la sublime Duchesse d’Anjou, que cette langue m’est venue naturellement. J’ai tenté de créer quelque chose qui soit à la hauteur de sa fureur, de son extravagance et de sa grâce. A savoir un mélange de tournures médiévales, d’anglais, d’argot contemporain et d’expression empruntée à la richesse de la francophonie (québécoise, belge, suisse, sénégalaise, algérienne), voire parfois d’une totale contemporanéité. J’ai ensuite établi des règles, orthographiques et grammaticales, afin de structurer l’ensemble.

 

Je suis bien obligé de reconnaître que dans ce roman elle me ressemble : elle est grosse, queer et n’en a rien à foutre de ce qu’on peut en penser

 

Lesbienne, hargneuse, violente et même cannibale, votre version de la prophétesse est loin des standards habituels. C’était important pour vous de dépoussiérer et de désacraliser votre version de la Pucelle d'Orléans ? 

Oui, j’ai beaucoup de mal avec les icônes, les idoles, les statues de marbre ; mais j’ai encore plus de mal avec les gens qui prennent tout cela très au sérieux. Je n’ai pour ma part jamais cru à la bergère blonde et frêle qui entend des voix, soit parce qu’elle est infestée par le Saint Esprit, soit parce qu’elle est folle. A cette époque, les armures pesaient trente kilos, les épées pas loin de quinze. Pour moi, Jeanne a toujours eu cette complexion, cette carrure : c’est une force de la nature. Et, finalement, je suis bien obligé de reconnaître que dans ce roman elle me ressemble : elle est grosse, queer et n’en a rien à foutre de ce qu’on peut en penser. De plus, si elle se découvre cannibale, c’est parce que voilà près de six cents ans qu’elle est adulée jusqu’à la dévoration : il était donc temps pour elle de se venger !

 

L’invisibilisation des femmes dans l’Histoire est un travail à plein temps pour l’hétéropatriarcat

 

Vous avez mis en lumière d’autres figures de guérillères du passé. Est-ce que ce roman est un hommage à toutes ces héroïnes souvent balayées par l’histoire ? 

Bien sûr, je ne suis ni le premier à en parler ni le mieux placé sans doute, mais l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire est un travail à plein temps pour l’hétéropatriarcat. Et, lorsqu’on évoque enfin ces femmes - ce qui est bien évidemment rarement le cas- on minimise toujours la réalité de leur pouvoir et de leur force, allant même jusqu’à remettre en doute leur existence - en les qualifiant par exemple de semi légendaires. C’est d’un ridicule achevé.

D’autre part, je voulais montrer qu’il y avait- qu’il y a toujours - certes des Guérillères métaphoriques, absolument fondamentales, mais également des Guérillères littérales, des femmes puissantes qui, au travers des siècles, ont pris les armes et se sont battues avec férocité.

 

Après ce premier roman, vers quelle histoire vous tournez-vous ? 

Je me tourne vers Héliogabale, cet empereur romain auquel  Antonin Artaud a rendu hommage dans L’Anarchiste couronné. Il n’y a aucune étude contemporaine à son sujet, les dernières remontent aux années soixante. On le considérait alors comme « atteint d’une maladie psychiatrique » parce qu’il était homosexuel et qu’il l’assumait pleinement ; une fois cette gangue retirée, on se retrouve avec un être flamboyant, excessif et sublime, à tous niveaux en avance de plusieurs siècles. J’espère pouvoir lui rendre justice.