Le 30 juin, Emilie Aubry et Franck Tétart présentaient leur nouvel atlas « Le dessous des cartes », inspiré de l’émission éponyme diffusée le samedi sur Arte, à paraître le 2 septembre 2021.
Ce pluvieux mercredi 30 juin sur le boulevard Raspail, quelques Parisiens optimistes se sont attablés en terrasse pour déguster un café. Au numéro 34, les grilles en fer forgé du café-restaurant La Démocratie sont ouvertes. C’est ici que Marc Sangnier, à la tête du mouvement politique Le Sillon, a fondé le journal La Démocratie.
Aujourd’hui, une pancarte « Arte » a été disposée à l’entrée pour indiquer la tenue d’un évènement. A partir de 11 heures, Emilie Aubry, journaliste présentatrice et rédactrice en chef depuis 2017 de l’émission « Le Dessous des Cartes » diffusée sur Arte le samedi à 19h30, présentera avec Franck Tétart, docteur en géopolitique, leur nouvel atlas qui porte le nom du même programme.
A l’entrée, deux salariées d’Arte prennent les noms et distribuent tote bags et versions non-définitives de l’atlas. Dans l’arrière-cour, en haut d’une volée de marche, l'ancienne salle de rédaction de La Démocratie accueille la présentation. Des rideaux en velours rouges tapissent tout un pan de la pièce. Au centre, Emilie Aubry et Franck Tetart se sont installés au bout d’une grande table en bois usée par les années.
Un atlas qui reflète le monde de « l’après-Covid »
Emilie Aubry, le teint hâlé, veste noire et t-shirt blanc sobres, raconte : « Cet atlas est le résultat de deux ans de travail traversés par une pandémie historique ». « Nous avions terminé une première version en janvier 2020 », dit-elle le sourire en coin, en évoquant la crise actuelle, qui a conduit les auteurs à travailler sur une nouvelle version de l’ouvrage.
« Le confinement a eu quelque chose de paradoxal dans le sens où l’on ne pouvait pas sortir de chez soi, mais l’on pouvait communiquer grâce à la technologie avec n’importe qui dans le monde. Nous avions tous le regard tourné vers Wuhan », explique Emilie Aubry, les coudes posés sur le rebord de la table en bois massif. C’est pour rendre compte des « mutations accélérées par la pandémie » que la première partie du livre est consacrée au « monde d’après ». « L’enjeu démocratique va s’intensifier, nous le voyons déjà dans la guerre des récits entre les différents Etats sur la pandémie », avance-t-elle, convaincue.
La concrétisation de quatre années au sein de l’émission « Le Dessous des Cartes »
« Ce livre est l’aboutissement de ces quatre années à la présentation et à la rédaction en chef du Dessous des Cartes », décrète, émue, la journaliste. « Il y a quatre ans, l’émission s’était arrêtée avec la mort de Jean-Christophe Victor (expert en géopolitique et fondateur du programme). La direction d’Arte s’est dit que le rendez-vous était si singulier et unique qu’il serait difficile de continuer. Ils ont pris un risque fou : celui d’aller chercher une journaliste. », poursuit-elle. Pour la nouvelle recrue, la mission première au sein de l’émission a été d’ « assumer d’être ce que j’étais, une journaliste férue de géopolitique ». Et surtout, le plus important : « Cette émission s’adresse à tous, on ne jargonne jamais », martèle-t-elle le sourire aux lèvres.
Prendre un pari sur les enjeux géopolitiques de demain
Pour les deux auteurs, le constat est sans appel : le centre de gravité mondial s’est déplacé vers l’Asie. Mais « nous avons pris le pari que l’Afrique est peut-être l’Asie de demain », lance Emilie Aubry avec un clin d’oeil. L'Europe a également son chapitre dédié, « car qui contrôle l’Europe contrôle le reste du monde », ajoute-t-elle, provoquant les rires de l’assemblée. La fin du leadership américain est la grande question, toujours en suspens, qui vient clôturer cette réflexion sur l’avenir.
« C’est un livre pour voyager et farfouiller » avance Franck Tétart en réajustant les manches de sa veste bleu ciel. « J’ai conçu les cartes à partir à partir de l’émission et Thomas, notre cartographe, qui est absent aujourd’hui, les a réalisées », poursuit-il. Les Kurdes comme nation sans pays, liens tissés entre l’Iran et le Liban à travers le Hezbollah, conflits dans la Manche entre pêcheurs français et britanniques… L’expert au nez aquilin explique comment il a opéré une « mise en perspective » de certains enjeux avec les cartes.
Figer sur des cartes des situations en perpétuelle évolution
Alors que des mains s’élèvent parmi la cohorte de journalistes présents, un homme à la barbe grisonnante demande : « Quelles ont été les difficultés rencontrées ? ». « Nous avons dû actualiser l’atlas en permanence », s’esclaffe Emilie Aubry, le regard tourné vers son co-auteur. « Nous avons attendu que le monde soit mis à nu pour recommencer à le décrire », avance la journaliste. « L’un des obstacles rencontrés est qu’il est parfois difficile de représenter certains Etats et frontières, qui sont contestés par d’autres pays », ajoute Franck Tétart.
La question des routes commerciales en voie de formation a été évoquée. « Nous avons fait le choix de les représenter », assume la journaliste. Avec la fonte des glaces, de nombreuses routes commerciales, notamment dans le pôle Nord, sont en train de s’ouvrir, et sont convoitées par plusieurs pays. Au premier rang desquels, la Chine : « La Chine a déjà commencé à les représenter sur ses cartes et dans la distance qui la sépare des Etats-Unis. On y voit une Amérique à portée de main, ou plutôt à portée de missiles », évoque Emilie Aubry.
La question de la dimension politique des cartes
« On n’arrive jamais à satisfaire tout le monde », plaisante Emilie Aubry. « A chaque fois que nous actualisions une carte de l’Ukraine, nous recevions un courriel de l’ambassade d’Ukraine en France », poursuit-elle. « Une carte est-elle véritablement objective ? », lance-t-elle, le regard pétillant. « Google Earth est déjà complètement politique. Selon l’endroit où l’on se trouve, il ne vous montre pas les mêmes frontières », conclue-t-elle. « Nous avons dû faire des choix », appuie le docteur en géopolitique.
De retour dans la salle principale, les serveurs de La Démocratie s’activent. Les assiettes s’empilent sur les tables, et les bouteilles de vin sur le bar. Dans un coin de la pièce, Emilie Aubry échange avec l’une de ses connaissances, le sourire aux lèvres. Après des années de travail, l’heure est venue de souffler, avant la sortie de l’atlas « Le Dessous des Cartes », prévue le 2 septembre.