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Émilie Aubry : « les Français ont une fascination pour les cartes »

Émilie Aubry dessous des cartesÉmilie Aubry dessous des cartes
Crédits : Fabien Boukla
Écrit par Némo Empis
Publié le 5 novembre 2020, mis à jour le 18 février 2021

À la tête de l’émission « Le dessous des cartes » sur Arte depuis 2017, Émilie Aubry vient de présenter son 100ème numéro du programme. Dans cet entretien, elle revient sur sa reprise du magazine géopolitique, sur la capacité d’adaptation du format et sur ce qui fait sa force.

Vous avez repris l’émission en septembre 2017 après des années de présentation de Jean-Christophe Victor, la véritable figure de l’émission, qu’est-ce que vous avez ressenti après avoir repris le flambeau ?

C’était évidemment un défi très compliqué. Le décès de Jean-Christophe Victor a été un vrai traumatisme pour Arteparce que c’était l’un des visages emblématiques de la chaîne. L’émission « Le dessous des cartes » est intimement liée à sa personne. Arte m’a d’abord proposé de présenter le numéro hommage qui lui a été consacré juste après sa mort. Dans un second temps, la direction s’est demandée si l’émission pouvait lui survivre, la réponse était oui. Mais la chaîne a fait le choix de prendre quelqu’un qui n’était pas un clone de Jean-Christophe Victor : une femme, journaliste, certes habituée des sujets géopolitiques avec la présentation des magazines Global Mag et Thema, mais sans prétendre être spécialiste et universitaire.

Finalement je suis restée moi-même, fidèle à mon crédo de passeuse : donner à voir et à comprendre aux téléspectateurs. J’aime imager notre reprise de l’émission en disant que nous avons « rallumé la lumière ». Après une année et puisque tout se passait très bien, j’ai récupéré la rédaction en chef du magazine. Avec mon équipe, j’ai appliqué notre nouvelle ligne éditoriale : se mettre à la place des téléspectateurs et se poser les questions qu’eux-mêmes se posent sur le monde. Autre principe de base : il faut toujours partir de ce que le téléspectateur connaît d’un pays, d’une région du monde, d’un sujet géopolitique pour l’entraîner ensuite vers ce qu’il ne connaît pas. D’où le choix de toujours partir d’une photo mettant en scène un lieu, un personnage, un fait d’actualité emblématique d’un sujet pour capter l’attention. Nous avons ensuite accéléré le développement numérique de notre magazine.

La géopolitique est un domaine parfois très compliqué à assimiler. « Le dessous des cartes » permet au grand public de le faire, son succès vient-il de là ?

Au départ il y a l’intuition de Jean-Christophe Victor se disant qu’il était possible de proposer 12 minutes de cartes non animées à la télévision. Je pense ensuite que le succès vient principalement du fait que nous avons tous une fascination pour les cartes, presque métaphysique, dans le sens où les cartes nous rappellent que nous faisons partie d’un vaste ensemble qui nous dépasse. Par ailleurs, nous avons modernisé la mise en images de ces cartes, notamment avec Marie-Laure Lesage, La Brigade du Titre et Angèle Le Névé, directrice de production, arrivée en même temps que moi dans l’aventure : charte graphique, animation, recours aux photos satellites, à la 3D, c’est aussi cela qui fait aujourd’hui le nouveau succès du programme.

J’explique aussi cette réussite par le fait que nous prenons davantage conscience de nos interdépendances. C’est évidemment lié à la mondialisation, mais deux phénomènes ont accentué cela. D’abord la vague d’attentats terroristes des années 2015 : les gens ont compris que ce qui se passait dans le lointain territoire irako-syrien finissait par avoir des répercussions potentiellement en bas chez eux. Le second phénomène, c’est évidemment la pandémie de la Covid-19. Depuis maintenant plusieurs mois, nous regardons la situation à Wuhan, en Chine, pour essayer d’imaginer à quoi va ressembler notre vie quotidienne dans trois mois. Depuis des mois, Rome regarde Wuhan, Paris regarde Rome, Londres regarde Paris pour la mise en œuvre des politiques sanitaires.

« Le dessous des cartes »remplit modestement une mission de service public. Nous avons la volonté de faire comprendre ce vaste monde que nous ne pourrons pas tous découvrir par nous-même. Et parce que nous savons que donner à connaître le monde, c’est aussi contribuer à mieux se comprendre d’un continent, d’un pays, d’un peuple ou d’une culture à l’autre.

 

La Covid-19 est un virus totalement géopolitique

Vous avez réussi à vous adapter à la situation sanitaire, qu’est-ce que cette année si spéciale a changé concrètement pour « Le dessous des cartes » ?

Non seulement nous nous sommes adaptés au contexte du Coronavirus mais en plus de cela il nous a rendus créatifs. Comme tout le monde, nous avons été très contraints, notamment dans la réalisation des tournages. Lors du premier confinement, nous avons donc utilisé nos archives de cartes, ma fille et mon mari m’ont filmée à la maison, l’équipe m’a aidée à réaliser à distance des interviews par écrans interposés. L’objectif était de proposer de manière hebdomadaire, un échange avec l’un de nos correspondants à l’étranger qui nous racontait comment évoluait l’épidémie dans son pays, et analysait pour nous les conséquences géopolitiques de ce virus. Nous avons saisi le Coronavirus comme une occasion de découvrir chaque semaine un pays, sa géographie, ses modalités et son approche spécifiques de la pandémie. La Covid-19 est un virus totalement géopolitique : il nous oblige sans cesse à regarder au-delà de nos frontières !

Ce nouveau format numérique baptisé « Une leçon de Géopolitique » et mis en ligne chaque mercredi a vraiment bien marché, nous avons presque atteint les 300 000 abonnés sur notre chaîne Youtube.Désormais, ce rendez-vous 100% numérique est devenu complémentaire de nos émissions classiques diffusées sur l’antenne d’Arte le samedi soir à 19h30 qui, elles, nécessitent un travail au plus long cours avec nos journalistes, géographes, graphistes etc.

Vous faites régulièrement appel à des experts de la géopolitique dans « une leçon de géopolitique », quel poids ces experts apportent-ils au format numérique ?

Nous sommes heureux de donner enfin un visage à tous ces chercheurs, journalistes, spécialistes qui nous accompagnent au quotidien dans la fabrication de nos émissions. Avec eux nous apportons un autre regard sur l’actualité internationale de la semaine. Ils nous ancrent encore davantage dans le monde réel.

 

Nous avons encore plein d’envies et d’idées de développements !

Vous venez de fêter votre anniversaire avec la présentation de votre 100ème numéro, quels sont les projets d’avenir de l’émission et que peut-on lui souhaiter ?

La plus grande qualité de l’émission - et elle nous l’a récemment prouvé -, c’est sa capacité à s’adapter à l’air du temps. Elle a toujours réussi à profiter de l’engouement des générations pour la géopolitique et pour les cartes. « Le dessous des cartes »  a quand même pratiquement 25 ans ! Je ne peux que lui souhaiter de continuer d’évoluer : elle est passée d’un grand homme universitaire à une jeune femme journaliste, de cartes qui ne bougeaient pas à des cartes animées, de l’Atlas aux satellites, d’un rendez-vous antenne hebdomadaire à un format numérique… Nous avons encore plein d’envies et d’idées de développements. Nous aimerions nous glisser dans les coulisses de la diplomatie mondiale ou proposer régulièrement des cartes postales géopolitiques, des voyages-éclairs dans des endroits de la planète qui sont « des nœuds géostratégiques » souvent méconnus. Toujours dans le but de donner à voir et à comprendre, un monde inquiétant, et en même temps tellement stimulant !