Le samedi, j’étais au ski avec mon frère lorsque les rumeurs d’un confinement national sont devenues si assourdissantes que l’on ne pouvait plus les ignorer. Il nous fallait partir, rentrer chez nous. C’est ce que l’on a fait le dimanche matin. Mon frère a rejoint femme et enfants. Et moi qui ne pouvais pas rentrer à New York, je suis allé m’installer dans mon second chez moi, à Biarritz. Le fait que j’allais m’y retrouver seul toute la durée du confinement ne m’inquiétait pas outre mesure. Tant que je pouvais manger normalement, contacter mes proches et continuer mon travail de coach avec mes clients expatriés, je n’étais pas à plaindre. Ce n’est que le mardi midi, lorsque le confinement a commencé, que j’ai réalisé que la solitude que je m’apprêtais à affronter allait être unique en son genre. Plus aucun contact humain, plus de gym, plus de bridge, plus de rêveries sur la plage, plus de bières avec les copains. Mais seul entre quatre murs, le ciel gris et le bruit des vagues de l’océan, au loin, pour témoins. La panique m’a subitement envahi. Quinze jours plus tard, alors que j’écris ces lignes, rien n’a changé autour de moi, sauf moi.
La panique du mardi a, dès le mercredi, laissé place à un questionnement quasi-obsessionnel, « avec qui pourrais-je me confiner pour éviter de péter un plomb ? » Après avoir éliminé mes nièces, mon neveu, mon frère, vivants tous à 500 km de chez moi, après m’être fait gentiment rabrouer par un couple d’amis biarrots qui m’ont expliqué, un peu gênés, que m’avoir avec eux c’était multiplier les risques d’attraper le virus, je me suis rendu à l’évidence: j’étais chez moi et j’y étais pour y rester. Et tant qu’à y rester, autant y rester bien.
Il a fallu attendre le vendredi pour que je cesse de geindre sur mon sort comme un idiot. Même si je suis persuadé que cette phase égocentrique et indécente à plus d’un titre était nécessaire, admettre ses peurs, ses doutes et ses faiblesses, c’est déjà les régler à moitié, j’ai accueilli avec joie le jour où je me suis enfin calmé. En effet, à partir de cet instant-là, j’ai pu me servir de mes techniques de coaching et de tout ce que j’ai appris sur les mystères de l’être humain aux côtés de mes clients ces dix-sept dernières années. De questions en réponses, je suis vite parvenu à la conclusion que tout ce qui provoquait ma panique démesurée était liée à l’inconnu, « combien de temps ce confinement va-t-il durer ? Suis-je déjà contaminé ? Quand vais-je pouvoir rentrer à New York ? Comment puis-je aider au mieux tous ceux qui souffrent vraiment ? Vais-je pouvoir continuer à exercer mon métier ?...» Il n’y avait pas à tergiverser. Vivre au jour le jour, amadouer puis accepter l’inconnu était la clé pour faire de ce confinement autre chose qu’une sanction, un sacerdoce ou une punition. Mais comment y parvenir, là était la question.
Je ne sais pas pour vous, mais je fais partie de ces gens qui ont sans cesse couru après le concept vivre le moment présent. Intellectuellement, j’ai compris depuis belle lurette les bienfaits que cela pourrait avoir sur moi, mais spécialiste de la planification à outrance (cela me rassure dans un sens), j’ai toujours été incapable de l’appliquer dans la vie quotidienne. Je pense le plus souvent à demain, rarement à aujourd’hui. Et quand je pense à aujourd’hui, c’est en prévision de demain ! Eh bien, bonne nouvelle, comme quoi il n’existe pas de cas désespéré, depuis dimanche en quinze, j’ai arrêté de courir après ce que je croyais être inatteignable en réalisant que s’il y a bien un moment où il n’y a rien de plus facile que d’accepter l’inconnu, et donc de vivre l’instant présent, c’est là, maintenant, durant ces événements tragiques que nous vivons. En effet, pour la première fois de notre vie, ni vous ni moi ne savons ce de quoi demain sera fait, réellement. Pour la première fois de notre vie, personne ne peut prédire l’avenir, même proche. Voilà pourquoi, malgré mon inquiétude et inexpérience face à l’inconnu, j’ai pris le parti de sauter dedans à pieds joints. Depuis, je ne suis plus tout à fait le même.
Ne pas avoir d’autre choix que d’accepter l’inconnu m’a rendu plus léger et est en train de m’apprendre une façon différente d’approcher la vie. À soixante ans, qui l’aurait crû ? Je me sens encore plus serein qu’avant. Les petites choses agaçantes de la vie courante ne me perturbe plus. Je sais où sont mes priorités et plus que tout, je découvre en moi des qualités et défauts que je ne me connaissais pas. Est-ce que ces bienfaits disparaîtront après le confinement ? Est-ce que je reviendrais à mes vieilles habitudes de tout planifier, habitudes qui m’ont plutôt bien réussi ? Je ne sais pas et pour être honnête avec vous, je m’en moque comme de l’an quarante. Ce qui m’importe est qu’aujourd’hui, en acceptant l’inconnu, je suis enfin capable de vivre et de profiter de ce foutu moment présent, tant que ça dure.
De plus, ne pas m’enfuir chez les autres, mais décider de rester chez moi m’a apporté des expériences enrichissantes que je n’aurais jamais eues auparavant. Quel plaisir de boire l’apéro chaque soir avec ma voisine de l’immeuble d’en face, de recevoir des appels d’ex-clients qui viennent prendre de mes nouvelles et/ou qui ont besoin d’échanger et d’être écoutés, d’applaudir à 20h pétantes le personnel hospitalier ou encore de faire les courses pour la vieille dame acariâtre du troisième à qui je n’avais jamais parlé. J’apprends sur moi, sur eux, chaque jour. Comme quoi on ne sait jamais ce que la vie nous réserve si on la vit avant qu’elle ne se passe.
Le confinement. Accepter l’inconnu. Vivre le moment présent. En ressortir grandi malgré la mort et la désolation environnante. Cette chronique que l’on m’a proposée d’écrire est un peu spéciale pour moi. Je me considère comme un expert dans mon métier de coach pour expatriés, généralement mes papiers expliquent aux lecteurs comment comprendre puis résoudre un dilemme délicat. Sur ce sujet de l’enfermement et celui de la pandémie qui continue de se propager, mon ignorance prédomine et je ne peux donc pas affirmer détenir les clés pour appréhender au mieux cette épreuve difficile que nous vivons tous. Par contre, depuis ma prise de conscience formidable et enivrante, car libératoire, qu’accepter l’inconnu est ok, je suis persuadé qu’il y a un truc fort pour chacun d’entre nous à vivre le moment présent, et rien que le moment présent, ne serait-ce que pour la durée du confinement. Alors allez-y, aujourd’hui est le moment de vous lancer, d’expérimenter et inévitablement d’avancer encore un peu plus vers la personne que vous êtes vraiment. Ceci est le seul conseil que je me permettrais cette fois-ci de vous donner.
Prenez soin de vous et de vos proches. Be safe, stay safe.
Nicolas Serres Cousiné, le life coach des expats français à travers le monde
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Le site de Nicolas Serres Cousiné http://www.nicolasserres-cousine.com
Avertissement: Les chroniques de Nicolas Serres-Cousiné sur lepetitjournal.com s’inspirent de sa pratique professionnelle. Chaque chronique est un mélange romancé de plusieurs témoignages sur le même thème. Ils ont été modifiés de manière à préserver l’anonymat de leurs auteurs.