Le regard fuyant, le visage crispé, la voix à peine audible, la détresse d’Antoine, 47 ans, est évidente, « je me sens seul, comme perdu au milieu de l’océan ». Il s’est construit l’une des plus belles réputations d’architecte et de designer de meubles dans le monde, son agent se frotte les mains après chaque commande, il est respecté et admiré par ses collègues, pourtant il a cette terrible impression d’être dans une impasse. Travaillant sur le chantier d’un musée d’art moderne dans un pays du moyen orient, c’est sur Facetime que nous nous retrouvons pour notre premier contact. Malgré le décor fastueux et exotique en arrière-plan, il porte sur lui l’air d’un homme torturé, pauvre en solution. « Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Plus je suis connu, moins j’ai la sensation d’en profiter ». C’est-à-dire ? « Non seulement je ne sais pas recevoir les compliments, soit j’en rougis, soit je méprise ceux qui me les font, mais je contre-balance ce comportement stupide par le syndrome de l’éternel insatisfait, constamment à la recherche de reconnaissance et d’adoration. C’est compliqué ». Il sort d’une thérapie qui lui a été profitable, « à force de vouloir plaire à la terre entière, j’ai perdu mon identité, c’est le schéma typique de la relation que j’ai avec mes parents depuis mon enfance » et il sent que le coaching est ce dont il a besoin. « J’ai saisi pourquoi j’en suis là, maintenant je veux apprendre comment m’en sortir ». De pourquoi à comment, de la réflexion à l’action, Antoine est en effet prêt pour le coaching.
Fraîchement diplômé au début des années 90, il est parti à Milan puis à New York, sans avoir de point de chute, « je voulais réussir en montrant ma vision du monde à travers mes créations». C’était un sacré défi qu’il a brillamment réussi, « alors pourquoi suis-je si impuissant à résoudre un dilemme aussi bête ?». Je lui donne rendez-vous la semaine suivante avec pour unique mission de ne plus chercher à répondre à cette question sans réponses.
« Je me souviens de mon énergie et de mon enthousiasme lorsque j’ai débarqué à Manhattan. Si on me fermait la porte au nez, je passais par la fenêtre » me raconte-t-il en souriant. Antoine est métamorphosé par rapport à notre séance initiale. C’est une joie de l’écouter faire le récit de ses débuts. Comme pour la majorité des expats français avec qui je collabore, il y a dans son parcours, parsemé d’obstacles professionnels et culturels difficiles à franchir, une insouciance qui fait souvent des miracles. Il a 25 ans de nouveau. Il s’agite, son langage est haut en couleur. Je le laisse s’exprimer tout en le recadrant s’il se perd dans ses propres mots. Je suis attentif à ce qu’il dit et surtout à ce qu’il ne dit pas. C’est entre ces lignes écrites à l’encre invisible que sommeille la solution à son dilemme. Puis, d’un coup, c’est un Antoine en noir et blanc qui s’exprime, « que m’est-il arrivé ? Je ne supporte plus les flatteurs qui m’entourent et les ignorants qui ne veulent m’engager que pour ma réputation. Je suis terne et aigri, j’ai tout donné à tout le monde sauf à moi ». Il s’emballe, part dans tous les sens et en devient fatiguant. Je lui fais savoir sans prendre de gants. Il se méprend alors sur mes intentions, « oui, tu as raison, mets-moi des coups de pied aux fesses, il faut que j’avance ». Ce dont il a besoin est bien l’inverse. Éreinté, cet homme aussi célèbre qu’il soit a besoin d’appuyer sur la touche « pause ». J’ai dû toucher un point sensible. Antoine éteint sa cigarette, bois une gorgée de thé à la menthe et me demande à travers l’écran de l’ordinateur, « tu crois que j’ai le droit de m’arrêter de courir ? ». J’aimerais lui en donner l’ordre, mais ce n’est pas mon job. Lorsque je lui en donne alors la permission, il s’apaise et pousse un long soupir, « tu es le premier à me dire cela. Merci Nicolas. ».
Que cela soit pour l’entracte d’un spectacle éblouissant, la mi-temps d’un match de rugby haletant, la pause-café lors d’un long trajet en voiture et même le break qu’un couple prend afin de réfléchir sur leur avenir, nous avons toujours besoin d’un moment d’arrêt pour récupérer des efforts fournis avant de nous relancer vers notre objectif. Bizarrement, nous oublions d’en faire de même lorsqu’il ne s’agit que de nous. Faire une pause dans sa vie personnelle est considéré comme une perte de temps ou bien comme un luxe que l’on ne peut pas se payer, « le monde ne va pas s’arrêter de tourner pour moi ! ». Ces excuses bien que compréhensibles, sont mal fondées. Le monde tournera bien sans mon architecte de client, mais le rattrapera au passage lorsqu’il se sera requinqué.
Il ne faut pas longtemps à Antoine pour saisir que s’il veut se remettre en route, il lui faut d’abord faire un constat des lieux et retrouver son identité perdue au fil du temps et des bons de commande. C’est son job, sa responsabilité, son coach restant près de lui pour l’empêcher de trébucher ou de faire marche arrière. Nous passons les séances suivantes à parler de lui aujourd’hui afin de redéfinir qui il est vraiment. Il se décrit pirate aventurier d’un côté et bourgeois frileux de l’autre. « Le frileux c’est celui qui s’autoflagelle, qui culpabilise à mort sur la normalité de la vie, qui ne s’est jamais occupé de soi et qui a tout donné aux autres. C’est un bonhomme à fond dans l’autodestruction et qui a peur. Il est moche, triste, statique, avec zéro énergie positive et un gros manque de confiance en soi ». Portrait dur mais qui a le mérite d’être honnête. « Le pirate croit qu’il n’a peur de rien. Il est léger matériellement et mentalement. Il est souriant, créatif, attirant et assoiffé de reconnaissance. Ce n’est rien que du bonheur ». Se redécouvrir comme il est réellement fait revivre Antoine. Je pointe du doigt que ses deux personnalités ont du bon et du moins bon, mais que ce n’est pas là l’important. Les accepter comme elles sont, au lieu de les haïr ou de vouloir les changer, est ce qui d’ores et déjà le fait respirer de nouveau. Il se rééquilibre petit à petit. Les compliments ne sont plus aussi pénibles à vivre qu’avant et surtout, ce sentiment de n’être jamais satisfait s’efface au rythme de ses confrontations avec ce qu’il désire vraiment.
Par deux fois il a voulu passer à l’action. Par deux fois je lui ai recommandé d’attendre et de continuer à s’observer. La troisième fois, « Nicolas, il faut savoir partir à point », il s’est envolé sans moi, sachant qu’il n’accepterait à partir de maintenant que des jobs qui l’inspirent et qu’il peut faire à sa façon, sans compromis, qu’importe le montant d’argent. Je l’ai revu dernièrement à Londres lors d’une rétrospective sur son travail. J’ai souri en réalisant qu’il avait installé une dizaine de canapés très confortables pour que les visiteurs se reposent avant d’aller découvrir la seconde partie de son exposition. Je ne me suis pas fait prier pour m’y asseoir et m’octroyer une pause bien méritée.
Nicolas Serres Cousiné, le life coach des expats français à travers le monde
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Le site de Nicolas Serres Cousiné http://www.nicolasserres-cousine.com