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Être expat, ça passe ou ça casse

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Écrit par Nicolas Serres-Cousiné
Publié le 3 novembre 2020, mis à jour le 4 novembre 2020

“Etre expat, ça passe ou ça casse” est l’histoire d’Anne qui à Paris tombe amoureuse de John, un New Yorkais pur et dur. Ils se marient, fondent une famille et après une dizaine d’années passées en France, ils décident de s’expatrier in The Big Apple. Un retour aux sources exaltant pour John, un choix pour Anne d’abord enthousiaste, mais qui deviendra au fil des mois de plus en plus lourd à porter jusqu’au jour où...

 

Rentrée 2005: Anne rencontre John à la cafétéria de La Sorbonne. Le coup de foudre est immédiat. Et réciproque. Elle étudie la sémantique. Il finit son doctorat en communication grâce à un programme d’échange entre la célèbre université parisienne et Columbia University à New York, dont il est originaire. Ils ne se quittent plus de toute l’année. L’amitié Franco-Américaine se renforce... Été 2007: Ils se marient à Biarritz, dans la propriété des parents d’Anne surplombant la plage des Basques. Les grains de riz s’envolent dans les airs. Sous le tissu satiné de sa robe blanche, pousse un petit garçon. Les années passent à Paris, sans souci. Hiver 2012: Des colonnes de vapeur grises s’échappent des plaques d’égout. Une limousine rutilante se gare en face d’un immeuble bourgeois de l’Upper West Side de New York. Anne et ses deux fils, Jules, cinq ans et Justin, trois ans, viennent rejoindre John, embauché deux mois plus tôt comme directeur du marketing d’une agence de publicité sur Madison Avenue. La famille en entier s’installe chez les ricains, quelle aventure ! Pour leur premier diner, John commande une pizza. Les enfants n’en ont jamais vu une aussi grande. Jules et Justin se couchent le sourire aux lèvres, leurs parents aussi, malgré un fond sonore de sirènes d’ambulances. Printemps 2015: Alors que le ciel est bleu outremer, Anne à qui j’ai donné rendez-vous à Central Park, a le teint gris des gens qui se sont perdus sans vraiment savoir pourquoi, ou comment, « aidez-moi, mon rêve de vivre ailleurs s’est transformé en cauchemar ».

À trente-deux ans, Anne a encore toute la vie devant elle. À l’entendre, elle est devenue vieille avant l’âge. elle me déballe ce qui ne va pas. Elle fait des allers et retours passé-présent incessants et utilise le mot avant à tout bout de champ. Elle attend de moi que je la booste et que je lui apporte des solutions immédiates à ce qu’elle appelle son tragique problème d’assimilation. Ça tombe mal. Mon métier n’est pas de la conseiller ou de la gaver d’une potion miracle qui n’en fera pas. Mon rôle est de l’accompagner sur ce chemin tortueux où elle s’est embourbée et de l’aider à trouver en elle, les outils qui la délivreront de son profond malaise. Mettant fin à son monologue qui n'a pas beaucoup de sens, je lui demande de me résumer en une phrase ce qui la tracasse. Elle me regarde interloquée. Anne ne sait plus faire simple tant sa vie est devenue compliquée. Elle respire un bon coup et se lance, « mon mari aime son travail et mes enfants s’épanouissent au contact de leurs copains de toutes origines. Je ne devrais pas me plaindre, mais le soir à diner, je suis la seule qui n’ait rien d’intéressant à raconter ». Elle se sent triste, abandonnée et inutile. « Et pour couronner le tout, je me trimballe une culpabilité infernale, étant bien consciente que beaucoup de gens aimeraient être à ma place. New York est une ville qui offre tant de possibilités et nous avons les moyens de tout nous offrir ou presque ». Anne est dans un état similaire à bon nombre de mes clients éparpillés dans le monde. Comment passez-vous vos journées ? « je ne fais rien pour moi et tout pour les autres. C’est frustrant, mais rassurant en même temps ». Ah bon, pourquoi ? « Je ne sais plus ce dont j’ai envie, alors autant satisfaire les besoins de ceux qui m’entourent au lieu de flipper sur mon inaptitude à me rendre heureuse ».

J’interromps Anne à chaque fois qu’elle me parle des autres. Mal à l’aise, elle s’agace. Dans une relation de coaching, les échanges sont axés autour d’un personnage unique, le client. Il n’y a pas de place pour ces fameux autres dont on se sert souvent pour se cacher la vérité. Lorsque je lui demande de se décrire, elle éclate en sanglots. Je la laisse pleurer sans chercher à la réconforter. Ses larmes remplacent les mots qu’elle n’arrive pas encore à prononcer, « votre question m’a fait réaliser que depuis notre arrivée à New York, je me suis complètement oublié ». Je lui confirme qu’en moins de trois ans, elle est devenue quasi transparente. Afin d’avoir envie de nouveau et de ressentir le plaisir inestimable d’accomplir quelque chose que l’on fait pour soi, Anne doit d’abord retrouver son identité. C’est une démarche simple à comprendre, mais compliqué à appliquer lorsque l’on est émotionellement fragile. Afin d’y parvenir, elle doit regarder sa vie sous l’angle de celle qu’elle est aujourd’hui et surtout pas sous l’angle de celle qu’elle était à Paris. « OK, cela a du sens, mais comment faire ? », me questionne-t-elle emballée et confuse en même temps. Je souris et lui donne rendez-vous pour le lundi prochain, avec interdiction absolue d’utiliser le mot avant.

« Et si la solution à mon épanouissement serait de travailler... comme avant ? ». Au secours ! Anne se rend compte d’elle-même de son gros défaut de vouloir comparer à tout prix ce qui n’est pas comparable. Je la replace dans le présent en lui demandant de me raconter sa vie de femme au foyer. À sa grande surprise, elle découvre qu’elle aime bien ce rôle qu’elle définit comme « la plaque tournante de la famille». Au fil des séances et des questions que je lui pose, elle s’aperçoit que ce qu’elle croyait être à la source de son problème existentiel ne sont en fin de compte que des fausses excuses qu’elle s’inventait pour ne pas voir la vérité en face. La racine de ses maux est ailleurs, si près d'elle qu’elle ne la voit pas. « Nicolas, je bosse avec toi depuis trois mois déjà, on se tutoie, tu me connais par coeur, donne-moi un indice sur ce qu’il me reste à extirper de mes tripes pour finalement avancer ». Malgré l’envie, je choisis de ne rien lui dire. D’abord par précaution car je pourrais me tromper. Après tout, c’est de sa vie qu’il s’agit et non de la mienne, alors qui suis-je pour lui dire quoi faire ? Ensuite, le moment de le découverte est tellement plus fort lorsqu’on en est le seul responsable. Cela a bien plus d’impact que de retenir la leçon de quelqu’un d’autre, coach compris. Vraiment Anne, tu ne sens pas ce déséquilibre en toi qui t’empêche d’être épanouie ? Devant son air perplexe, je lui demande de faire un point sur la femme qu’elle est aujourd’hui. « Je suis une Parisienne qui habite à New York, j’aime être l’épouse d’un Américain qui adore la France...». Oui, et quoi d’autre ? «...et j’aime être la maman de mes deux garçons franco-américains ». Soudainement, elle découvre ce qu’elle refusait de voir depuis si longtemps. Elle est la seule de sa famille à ne vivre que d’une seule nationalité. Non seulement elle se prive des richesses des deux cultures, mais elle observe New York avec des oeillères de Française pure et dure, « et comme ce n’est pas qui je suis, j’en souffre, je me renferme, je m’oublie et je ne sais plus ce dont j’ai envie ». CQFD. Le coach n’a plus qu’à creuser là où Anne a commencé à gratter.

Il ne lui a fallu que quelques séances pour accepter la femme qu’elle est devenue lorsqu’elle a rencontré John. « S’accepter est tellement plus simple que de vouloir se changer » me dit Anne, heureuse de voir son horizon brumeux enfin se dégager. Arriver dans une ville aussi fascinante et déstabilisante que New York n’est pas chose facile pour tout le monde. Même ceux qui ont choisi d’y venir rencontrent parfois de grosses difficultés d’adaptation. Jouer un jeu qui ne nous ressemble guère ne dure qu’un temps. Le risque est de se perdre et la pente à remonter est longue et ardue. Pour s’assimiler au mieux, la clé est de rester fidèle à soi-même. New York, la ville des différences par excellence, ne demande que cela.

Bien qu’elle ne pense pas rester toute sa vie aux États-Unis avec sa petite famille, Anne s’est finalement décidée de profiter de ce que la vie lui offre ici, au lieu de regretter ce que la vie lui a pris, là-bas. Avant ne fait plus partie de son vocabulaire, « vive aujourd’hui ! ».

 

Nicolas Serres Cousiné, le life coach des expats français à travers le monde 

 

En savoir plus:

Le site de Nicolas Serres Cousiné  http://www.nicolasserres-cousine.com

 

Avertissement: Les chroniques de Nicolas Serres-Cousiné sur lepetitjournal.com s’inspirent de sa pratique professionnelle. Chaque chronique est un mélange romancé de plusieurs témoignages sur le même thème. Ils ont été modifiés de manière à préserver l’anonymat de leurs auteurs.