Deuxième langue littéraire la plus traduite au monde après l’anglais, la langue française était à l’honneur de la 69ème édition de la foire internationale du livre de Francfort qui vient de s’achever. Consécration confirmée ou tentative désespérée de redorer son blason défraîchi ? Voyons d’un peu plus près comment se porte la littérature française à l’étranger.
Après que l’article de la BBC intitulé « Why don't French books sell abroad? » a fait grand bruit chez les journalistes culturels et les éditeurs il y a quelques années, nombreuses furent les voix à crier cocorico pour défendre notre littérature injustement attaquée. Il faut dire que, de Sully Prudhomme en 1901 à Patrick Modiano en 2014 (traduit en 36 langues, y compris le persan et le basque), la France, avec 15 auteurs primés, a été jusqu’à présent le pays le plus gâté par le Nobel de littérature. La BBC avait d’ailleurs dès le lendemain publié une liste de palmarès de livres français venant de lecteurs anglophones contrariés. Rassurez-vous : les chiffres du Syndicat National de l’édition montrent en 2015 une progression du nombre de cessions de droits de traduction de l’ordre de 2,3%. Les éditeurs français auraient ainsi signé 12.225 contrats de cessions vers plus de 50 langues; chiffres en constante progression au cours de la dernière décennie.
Quoi ? La prophétie des grenouilles traduit en chinois ?
Les catégories Jeunesse (29,9 %) et Bande dessinée (23,8 %) représentent à elles deux plus de 50 % des cessions réalisées. Suivent la Fiction (15,5 %) puis les Sciences humaines et sociales. Quant aux langues de destination, le chinois parade en tête, devant l’italien, l’espagnol et l’allemand. Etonnamment, l’anglais n’arrive qu’en quatrième position, ex-aequo avec le coréen et le polonais (6% des contrats).
Cette internationalisation des ouvrages français ne s’est pas faite sans la communication autour des prix littéraires, ni les efforts harassants des maisons d’édition. Interrogée par Télérama, Anne-Solange Noble, directrice des droits étrangers chez Gallimard, rappelait que “pour cent livres envoyés, on décroche en moyenne un seul contrat !”. Pour autant, ces maisons sont aidées par deux exceptions nationales : le Centre national du livre (CNL), qui alloue des aides à la traduction, et surtout le réseau tentaculaire des Instituts français, qui peuvent distribuer des aides aux éditeurs étrangers acheteurs de droits français et prendre en charge traductions et tournées des écrivains.
Entre Saint-Exupéry et Marc Levy, le cœur des étrangers balance
En littérature française, le trio de tête des ventes à l’étranger fait l’unanimité. Depuis sa parution, en 1943, Le Petit Prince, de Saint-Exupéry, est l'ouvrage le plus vendu au monde et le plus traduit après la Bible. Il est suivi par L'Étranger, d'Albert Camus, et Madame Bovary, de Gustave Flaubert. La réputation de ces auteurs incontournables ne se résume toutefois pas aux chiffres d’exportation et il arrive que des notoriétés relèvent davantage de l’imaginaire que de lectures avérées. Aussi, vous avez déjà dû vous voir citer Sartre ou Proust dans une première conversation avec un étranger, avant que celui-ci n’avoue, plus amusé qu'honteux, n’avoir jamais rien lu d’eux. En effet, si l’auteur de A la recherche du temps perdu n'est pas un best-seller à l’étranger, il est celui sur lequel on publie le plus de livres et à la gloire duquel on ne compte plus les associations de fans.
En dehors des classiques, notre littérature contemporaine est prisée à l’étranger pour sa capacité à regonfler les égos et donner le sourire, à coups de fantaisie bien placée et d’auto-identification facilitée. Le romancier ultra populaire Marc Levy bat, dans cette catégorie, tous les records, en ayant vendu 40 millions d’exemplaires de ses livres hors de l’Hexagone. Dans une récente émission de BFM TV, Eric-Emmanuel Schmitt, autre champion de l’exportation, dit avoir découvert qu’on pouvait l’aimer à l’étranger « pour des qualités qu’on trouve explicitement françaises et qu’en France on dénigre un petit peu ». Pour son éditeur en Allemagne, où Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran s’est vendu à 850 000 exemplaires, « il pose des questions qui intéressent beaucoup de monde et trouve des réponses que le monde entier peut comprendre ». Michel Bussi (Le temps est assassin, Maman a tort, Un avion sans elle…) quant à lui, associe sa réussite et celle des autres machines à best seller françaises au fait que « pour beaucoup d’éditeurs étrangers, il y a quelque chose dans les livres français qui relève du conte de fées ».
Des figures moins populaires devenues illustres au-delà des frontières
De façon assez surprenante, on trouve des auteurs relativement peu connus en France qui voient leur carrière décoller à l’étranger. Le plus bel exemple en est Muriel Barbery et son Elégance du hérisson, qui s’est vendu à plus de 900.000 exemplaires, alors qu’il avait été boudé par pléthore d’éditeurs de l’hexagone. Depuis une dizaine d'années, Michel Houellebecq (Les particules élémentaires, La carte et le territoire) est également une référence mondiale de la littérature française. Au revoir là-haut de Pierre Lemaître et le premier roman de Romain Puértolas, L’Extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa, ont été achetés outre-Manche sur épreuves, avant même de paraître en France.
Malgré la vague de polars scandinaves qui domine, encore aujourd’hui, le marché du livre à frissons, les auteurs de romans policiers français semblent tirer leur épingle du jeu. Les livres de Jean-Christophe Grangé (Les rivières pourpres, Miserere) sont en tête de gondole en Turquie et la France tient une place de choix dans la collection «World Noir Series» d’Europa Editions, grâce à Jean-Claude Izzo (Total Khéops), Caryl Férey (Mapuche) et Philippe Georget (L’été tous les chats s’ennuient).
Enfin, toute une série de « jeunes » talents littéraires français vendent chaque année leurs œuvres à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires à travers le monde: Maylis de Kerangal, Antoine Laurain, Fred Vargas, Sébastien Japrisot, Emmanuel Carrère, Yasmina Reza, Agnés Desarthe, Laurent Mauvignier, pour ne citer qu’eux. Vous devriez donc entendre parler plus souvent d’histoires de ponts suspendus, de hérissons ou de chapeaux présidentiels, et peut-être un peu moins de madeleines fantasmées.