Dans le quartier de l’Ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry, des centaines de personnes venues de partout se sont regroupées le 21 février pour célébrer l’anniversaire de "La Mère”, née à Paris en France il y a 145 ans. Mirra Alfassa, dite “La Mère”, est la fondatrice du Centre International de Sri Aurobindo et d’Auroville.
Qui est Mirra Alfassa ?
Sa biographie nous rapporte qu’elle est née le 21 février 1878 à Paris, d’un père juif turc et d’une mère juive égyptienne, contraints à s’exiler en France. Les Alfassa sont de riches bourgeois, ouverts et progressistes qui ont à cœur de donner à Mirra une instruction poussée et éclectique. Elle étudie avec une rigueur toute personnelle la littérature et « les philosophies comparées », la peinture qu’elle aime aussi pratiquer, la musique et l’occultisme. Plus tard, elle s’intéresse au bouddhisme. Au cours d’une conférence au Musée Guimet, elle rencontre Alexandra David-Néel, future exploratrice du Tibet, qui deviendra son amie.
Mariée en 1897, à l’âge de 19 ans à l’artiste peintre Henry Morisset, un an plus tard elle donne naissance à un fils, André qui épaulera sa mère dans ses projets durant les dernières années de sa vie. Mirra Alfassa divorce en 1904.
La rencontre de Mirra avec Sri Aurobindo
Le 29 mars 1914, Mira Alfassa accompagne son deuxième époux en Inde, Paul Richard, un érudit et militant dans La ligue des droits de l’Homme et du Citoyen. Lors de son passage à Pondichéry, elle rencontre Aurobindo Ghose, connu sous le nom de Sri Aurobindo. Elle a alors 36 ans.
« Il a tourné la tête vers moi et j’ai vu dans ses yeux que c’était lui. », La Mère.
Sri Aurobindo est un homme aux multiples facettes. C’est un révolutionnaire, un poète, un philosophe, un écrivain, un traducteur. Il est notamment l’auteur d’un grand poème épique intitulé “Savitri”. Sri Aurobindo fuit Calcutta en 1910, où il est menacé de poursuites judiciaires et surveillé par l’occupant britannique. Il s’enfuit d’abord à Chandernagor, puis se rend à Pondichéry, en territoire français. Il traduit les Vedas et les Upanishads, apprend le tamoul, écrit et cherche sa voie. Cette période de recherches et de réflexion le conduira à poser les bases du yoga intégral.
La première guerre mondiale éclate le 28 juillet 1914, et Mirra Alfassa doit quitter Pondichéry le 22 février 1915, son époux étant rappelé en France comme réserviste. Elle a cependant déjà eu le temps de poser les fondements de son œuvre future, et a collaboré avec Sri Aurobindo et Paul Richard à la publication de l’Ârya, une revue philosophique traitant de l’Orient et l’Occident. En parallèle, elle fonde une société appelée « l’idée nouvelle » dont l’objectif est de rapprocher « sans distinction de race ou religion, ceux qui aspirent à réaliser l’unité humaine », avec les proches de Sri Aurobindo et leurs amis.
Le rêve commun de Sri Aurobindo et de La Mère
Mirra Alfassa revient définitivement à Pondichéry le 24 avril 1920. Elle vient de passer trois ans à Kyoto au Japon, où elle a entre autre retrouvé son amie Alexandra David-Néel.
Lors d’une épidémie de choléra, alors qu’elle tente de porter secours aux habitants, elle tombe gravement malade. Elle arrive à Pondichéry très fragilisée, mais retrouve progressivement son énergie auprès de Sri Aurobindo.
« La conscience de la Mère et la mienne sont une seule et même conscience », Sri Aurobindo
C’est lui, Sri Aurobindo, qui nomme Mirra « Mère », en référence au retour aux origines de la vie. C’est elle qui pendant des années prendra soin de tout et de tous.
En 1926, un français polytechnicien arrive à Pondichéry. Il s’agit de Philippe Barbier Saint-Hilaire qui deviendra le premier directeur de l’école et jouera un rôle important dans le développement de l’Ashram. Il se révélera d’un soutien sans faille pour Sri Aurobindo et Mirra Alfassa.
Philippe Barbier Saint-Hilaire s’investit pleinement dans le rêve de La Mère de créer un bâtiment d’une trentaine de chambres appelé “Golconde”. Elle veut une architecture nouvelle pour une vie nouvelle et elle s’entoure d’architectes prestigieux : Sammer, Antonin Raymond, disciple du Corbusier, et George Nakashima. Entre béton brut et jardins zen, ces bâtiments font toujours l’admiration des architectes contemporains.
À l’Ashram, poètes, artistes, musiciens, jardiniers, danseuses et danseurs, les plus grands de leur temps sont accueillis, lancés à la recherche d’un art nouveau.
L’indépendance de l’Inde, et le retrait de la France du comptoir de Pondichéry
Le 1er septembre 1939, la deuxième guerre mondiale éclate. À la grande surprise de certains, Sri Aurobindo déclare publiquement prendre parti pour les Alliés contre l’Allemagne nazie. Certains se demandent comment un ancien chef révolutionnaire peut soutenir l’effort de guerre des britanniques contre Hitler.
« Pour l’heure, ce sont les Alliés qui sont les instruments des forces d’évolution et combattent pour sauver l’humanité du désastre […] La Mère l’a expliqué clairement dans une lettre : pour elle, ce n’est pas une guerre entre nations ou gouvernements, mais entre deux forces, la force divine et la force démoniaque. », Sri Aurobindo
Deux guerres mondiales et des milliers de morts plus tard, « la Mère Inde », comme le disait Gandhi, est séparée en deux parties avec la naissance du Pakistan. L’Inde prend enfin son indépendance, après plus de 300 ans d’occupation par les britanniques, d’abord avec la Compagnie anglaise des Indes orientales, puis en 1750 par la prise du Bengale.
Voir l’Inde retrouver son indépendance était le rêve de Sri Aurobindo, et comme si le destin lui faisait un clin d’oeil, le 15 août 1947, jour de la proclamation de l’indépendance de l’Inde, s’avère être également le jour de son anniversaire.
Maurice Schumann (1911-1998), homme politique, journaliste, et reporter radio de la Résistance Française à Londres durant l’occupation nazie, est envoyé à Pondichéry le 27 septembre 1947 pour préparer le retrait des français du territoire. Le gouvernement français souhaite négocier un accord afin que Pondichéry devienne une fenêtre culturelle ouverte sur la France.
Maurice Schuman rencontrera d’abord Sri Aurobindo, avant même de s’entretenir avec Nerhu et Gandhi. C’est La Mère qui organise la rencontre entre Maurice Shumann et Sri Aurobindo. À l’occasion d’une interview, il dira d’ailleurs qu’« Il est évident que sans elle la première pierre de l’édifice n’aurait pas été posée. […] C’est grâce à elle que l’interview a eu lieu ».
Le décès de Sri Aurobindo et l’engagement de La Mère
Le 5 décembre 1950, alors qu’il a 72 ans, Sri Aurobindo décède. Certains de ses disciples quittent l’Ashram, minés par le chagrin et manquant peut-être de confiance en La Mère pour poursuivre l’Oeuvre de Sri Aurobindo. Elle continuera pourtant envers et contre tout. Forte d’une énergie extraordinaire, convaincue que “leur rêve” était atteignable, elle fera de l’Ashram un lieu unique, un lieu de recherche, à la pointe de la modernité dans un monde en mouvement.
Selon elle, « une vie sans but est une vie sans joie ».
Dans le début des années 1950, La Mère fonde l’école de l’Ashram pour scolariser les enfants des disciples venus chercher refuge à Pondichéry en 1939-1940, lorsque les Japonais menacent d’envahir le Nord de l’Inde.
En 1951, l’école s’agrandit dans de nouveaux locaux : le Centre International d’Éducation ouvre ses portes. Elle accorde une attention toute particulière à l’éducation physique et aux sports, en particulier à la pratique du yoga. Elle encourage les enfants, leur enseigne les matières artistiques et leur montre des films. Elle leur parle de Sri Aurobindo, d’Alexandra David-Néel, et de sa rencontre dans la jungle avec “Monsieur Tigre”, qu’elle impressionna tellement qu’il s’éloigna d’elle sur la pointe des pattes.
Le projet éducatif de l’école du « Libre progrès » repose sur quatre piliers :
- Rien ne peut être enseigné qui ne soit déjà présent, en germe, dans l’âme et non soumis aux habitudes, aux conventions et aux idées préconçues.
- Le professeur est avant tout un guide sur le chemin de la connaissance de soi. Il ne se tient pas au sommet d’une pyramide, dispensant un savoir qui nous dispense de réfléchir, mais au centre d'un espace collectif intelligent.
- Partir du proche pour aller vers le lointain. On se préoccupe d’abord de son milieu, puis on élargit son horizon, jusqu’à embrasser la terre entière.
“On part d’un puits dans le désert pour toucher, qui sait, une rose sur un astéroïde ?” - L’enfant est créateur d’images, de rêves, de réel, …
Chaque jour, les élèves doivent répéter cette déclaration :
Ce n’est pas pour notre famille, ce n’est pas pour avoir une situation, ce n’est pas pour gagner de l’argent, ce n’est pas pour obtenir un diplôme, que nous étudions. Nous étudions pour apprendre, pour savoir, pour comprendre le monde, et pour la joie que cela nous donne.
Le Centre International d’Education de l’Ashram d’Aurobindo existe encore aujourd’hui, et il y a deux ans d’attente pour y être accepté. Certains des étudiants qui y font leurs études les poursuivent dans des écoles prestigieuses à l’étranger. Les élèves apprennent plusieurs langues dès leur plus jeune âge, dont la langue française.
La création d’Auroville par La Mère
Le Rêve de La Mère ne s’arrête pas là, et elle se lance dans la création d’une ville supranationale à quelques kilomètres de Pondichéry : Auroville, la Cité de l’Aurore.
Auroville a pour ambition d’être « le lieu d'une vie communautaire universelle, où hommes et femmes apprendraient à vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités ».
Le but d’Auroville est de réaliser l’unité humaine.
En 1965, les premiers terrains sont achetés, les premières communautés s’y installent, et le projet commence à réellement prendre forme. Les premières graines poussent, les premiers arbres sont plantés, les premières routes sont tracées. Les courageux “apprentis-rêveurs” apprennent de nouveaux métiers. Ils travaillent dur avec les mains dans la terre en latérite rouge, et contribuent à transformer progressivement un désert en leur propre lieu de vie.
Ils relèvent avec courage et détermination le défi lancé par La Mère, et ils croient en leur projet commun.
Durant les années qui suivent, La Mère se consacre à la tâche de réunir de l’argent, des gens de bonne volonté, et des idées. L’inauguration d’Auroville a finalement lieu le 28 février 1968. Au centre de l’amphithéâtre où se déroule l’inauguration se dresse une urne de marbre blanc en forme de lotus où les représentants de 124 pays déposent tous une poignée de terre venant de leur pays.
La Mère décède le 17 Novembre 1973 à l’âge de 95 ans. On raconte qu’à 80 ans, elle jouait encore quotidiennement au tennis. À Pondichéry, ceux qui l’ont connue parlent d’elle avec tendresse, et comme si elle était toujours vivante. Plusieurs d’entre eux portent avec émotion des prénoms français, qu’elle leur a elle-même donnés.
Lepetitjournal.com s’est inspiré de plusieurs ouvrages pour écrire cet article. Cependant l’un d’eux, “L’aurore d’une vie nouvelle. L’aventure de Sri Aurobindo et de Mère”, écrit par Cristof Alward-Pitoëff, a particulièrement retenu l'attention de la Rédaction. Cet ouvrage raconte une aventure incroyable avec douceur et poésie, et dresse le portrait d’une femme incroyable, Mirra Alfassa, dite “La Mère”.