L’Inde et le Népal forment un couple migratoire historique en Asie du Sud. Le traité de paix et d’amitié indo-népalais de 1950 donne aux citoyens des deux pays le droit de passer la frontière légalement, sans papier, de travailler, d’acheter de la terre et de s’établir dans le pays voisin.
Krishna, un Népalais installé à Chennai
L’histoire de Krishna est représentative des flux migratoires du Népal vers l’Inde qui sont facilités par le traité de 1950.
Krishna vit à Chennai depuis 10 ans. C’est un Népalais du Teraï occidental. Dans cette région, on parle plus souvent Hindi que Népali.
Krishna est né dans un petit village proche de la frontière indienne, à plus de 15 heures en bus de Katmandou. Il a aujourd’hui 29 ans. Il est l'aîné d’une famille de six enfants, quatre garçons et deux filles. Ses parents sont des paysans très pauvres dont les productions de céréales et l’élevage de bovins suffisent à peine à nourrir la famille au jour le jour.
A 13 ans, Krishna suit un oncle au Pendjab indien et devient ouvrier agricole dans de grandes exploitations céréalières. A 18 ans, ses parents lui demandent de rentrer au pays pour se marier. Il épouse une fille du village, choisie par la famille.
C’est au tour de ses sœurs de se marier maintenant. Krishna, en tant qu’aîné, doit contribuer largement à constituer leur dot. Le salaire d’ouvrier agricole, employé à la journée, ne suffit pas. Un ami lui propose de l’accueillir à Chennai. Krishna part donc pour le grand Sud, bien loin de ses montagnes himalayennes. Il trouve du travail dans la restauration puis comme agent de surveillance dans l’hôtellerie. Le salaire est modeste mais permet d’envoyer tous les mois un pécule à sa femme et ses parents. Il retourne au Népal tous les ans et demi. Trois enfants naissent ainsi, un garçon de 9 ans, puis une fille et un garçon de 8 et 6 ans aujourd’hui.
Six ans après son arrivée à Chennai, Krishna obtient un emploi de gardien d’un petit immeuble occupé par des étrangers et propriété d’un Indien installé aux Etats Unis.
Aujourd’hui, il attend avec impatience l’arrivée de sa femme et ses deux derniers enfants. Il dit qu’il a fait son devoir auprès de ses parents en finançant le mariage de ses sœurs et qu’il est temps de penser à sa propre famille. Il cherche une école pour les enfants, en Hindi car ils ne parlent ni tamoul ni anglais. Leur arrivée est imminente. Ils prendront un car depuis le Népal jusqu’à Delhi puis le train jusqu’à Chennai. Un long parcours, commun à beaucoup d’immigrés, qu’ils viennent d’un État indien éloigné ou qu’ils viennent d’un pays limitrophe comme le Népal.
Krishna dit avoir eu du mal à s’adapter à Chennai. Le climat, la nourriture, la langue. Ses seules fréquentations restent la communauté népalaise. Il est souvent nostalgique de ses montagnes mais rappelle que l’extrême pauvreté de sa famille ne lui laisse aucune perspective de retour.
(Le témoignage de Krishna a été recueilli par Annick Jourdaine)
Le Népal, un petit pays coincé entre l’Inde et la Chine
Par méconnaissance, le Népal peut parfois être assimilé à l’Inde ! Mais, le Népal est bien un pays indépendant, enclavé dans les montagnes de l’Himalaya.
C’est une république laïque et fédérale de 30 millions d’habitants, encadrée de ces deux très grands pays que sont la Chine, au nord et l’Inde sur ses autres frontières.
Ce pays est peuplé de 60 ethnies différentes, parlant des langues différentes. 45% de la population a le Népalais pour langue maternelle. La langue parlée dans le Teraï, région d’où vient Krishna est le Bhojpuri aussi parlée dans le Nord-Est de l’Inde.
La langue officielle est le Népalais ou Nepali et sa monnaie est la roupie népalaise.
Le Népal est connu pour toutes les activités sportives qu’offrent au tourisme ses montagnes les plus hautes du monde. Pour rappel, l’Everest culmine à 8848 mètres et Katmandou, la capitale, à 1400 mètres d’altitude.
Le Népal, un des pays les plus pauvres au monde
En 2015, deux tremblements de terre, d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter, ont laissé le Népal exsangue : 8 900 morts et un ½ million de maisons détruites.
L’agriculture emploie 66% de la population active, mais ce secteur ne génère que 30% du PIB; plus de 80% des pauvres vivent en zones rurales. En conséquence, souvent les hommes partent chercher du travail vers les villes ou à l’étranger.
Les secteurs de services, dont le tourisme, représentent 42% du PIB.
68% des exportations népalaises vont en Inde.
La survie de l’économie népalaise tient pour 30% du PIB, à l’argent envoyé par les Népalais ayant émigré et représentent 6 millions de dollars par an. Ces versements n’ont pas diminué durant le confinement et ont permis la survie de centaines de familles.
Les Népalais en Inde
En 2001, environ 600 000 travailleurs népalais se trouvaient en Inde. En 2021, il y en aurait entre 4 et 5 millions. Dans la mesure où le passage de la frontière est libre, le comptage est aléatoire; de plus il faudrait pouvoir distinguer les migrants temporaires et ceux installés depuis plusieurs années.
Les Népalais plus aisés migrent vers la Malaisie, les pays du Golfe tels que le Qatar ou l’Arabie Saoudite.
Outre un passage aisé de la frontière terrestre, tout semble réunir les peuples népalais et indiens: la langue pour certains n’est pas très différente tout comme la religion et les habitudes culturelles et alimentaires.
Un chemin migratoire des jeunes garçons qui s’inscrit dans une logique de subsistance
Les jeunes garçons népalais, comme Krishna le raconte, quittent en groupes leurs villages népalais, en suivant leurs aînés et partent ensemble trouver du travail en Inde pour un ou plusieurs courts séjours. Il existe un bus peu onéreux qui part de Katmandou vers la frontière avec un changement pour Delhi ou Varanasi.
La destination importe peu, c’est le bouche à oreille qui fait office « d’agence pour l’emploi » et oriente le voyage par Delhi, Bombay ou Goa. Pour certains emplois, ce peut être l’arrivée de la mousson qui décide de leur prochain déplacement.
Ils exercent les métiers de gardiens de nuit, ouvriers, cantonniers, petites mains dans les restaurants.
Les jeunes Népalais sont nombreux au Ladakh où ils construisent les routes et les maisons; la plupart des restaurants sont tenus par des Népalais.
La région de Darjeeling, au Bengale occidental, est le point de rendez-vous des ouvriers agricoles népalais, qui vont travailler dans les plantations de thé. La ville initialement népalaise, fait partie de l’Inde depuis 1815. Elle en a gardé la langue.
Après une saison en Inde, les jeunes rentrent au village, se marient et parfois repartent comme Krishna.
Des travailleurs migrants bien accueillis en Inde
Lorsque les hommes ont fait plusieurs saisons dans une même ville et se sont familiarisés avec l’environnement, qu’ils disposent d’adresses et de contacts pour être hébergés et travailler, certains comme Krishna se sédentarisent.
La grande motivation pour tous ces travailleurs est l’éducation des enfants, c’est pourquoi après quelques années passées en Inde, les familles les rejoignent.
Les Népalais disent qu’ils sont bien traités par les Indiens. Les Indiens disent d’eux que ce sont des gens fidèles.
Une réalité migratoire différente pour les jeunes filles népalaises
Alors que pour les jeunes garçons, le passage en Inde est volontaire et leur permet de trouver du travail pour subvenir aux besoins de leur famille restée au Népal, ce même chemin vers l’Inde se solde souvent pour les jeunes filles népalaises par une forme d’esclavage moderne.
Attirées par l’illusion d’une vie meilleure, les jeunes filles népalaises, souvent sans qualification et illettrées, issues de zones rurales, sont les victimes faciles d’un trafic organisé qui les envoie travailler dans les maisons de passe de Goa, Delhi et Bombay et dans celles des pays du Golfe et du Moyen Orient.
Dans ce cas, même si ces jeunes filles, comme les garçons, envoient une grande partie de leurs revenus au Népal, à la différence des jeunes garçons, le chemin du retour leur est très souvent interdit par leur propre famille. L'écrivaine américaine Patricia McCormick a réuni les témoignages de plusieurs de ces jeunes femmes dans son roman Sold (ndlr : malheureusement non traduit en français), adapté à l’écran en 2014 par le réalisateur américain Jeffrey Brown.
Le gouvernement népalais et plusieurs ONG tentent de trouver comment endiguer ces départs de femmes vers l’enfer.
Les jeunes Népalais plus aisés migrent aussi en Inde mais pour étudier
Les jeunes Népalais ayant des ressources parentales, souhaitant faire des études supérieures et ayant soif d’indépendance, prennent quant à eux, le chemin des universités indiennes extrêmement réputées.
Ces jeunes partent étudier dans les Instituts technologiques et universités de Delhi, Madras (Tamil Nadu), Kharagpur (Bengale occidental), Bangalore (Karnataka). Selon leurs résultats aux concours d’entrée, ils peuvent percevoir des bourses dont certaines sont parrainées par le gouvernement indien.
En 2017, sur les 45 000 étrangers venus étudier en Inde, 8 500 étaient népalais, les autres venaient des pays du Golfe, d'Iran, de la Malaisie…
Les Népalais qui arrivent en Inde et qui, grâce à cette immigration ont une vie meilleure, comme Krishna à Chennai, disent qu’ils sont très reconnaissants à l’Inde d’offrir à leurs enfants l’espoir d’un avenir plus souriant. L’Inde est souvent leur planche de salut.