Dans L’Inde, une société de réseaux, l’ethnologue Sandrine Prévot livre des clés de compréhension d’une société où l’individu s’efface au profit de la famille, de la caste ou de la communauté, avec en conséquence des comportements souvent déroutants pour les Occidentaux.
C’est le cliché des clichés : l’Inde est un pays différent des autres. L’Occidental qui y débarque s’y retrouve sans repères. La religion – ou plutôt les religions – est omniprésente mais, s’agissant de la religion dominante, incompréhensible. On ne trouve dans l’hindouisme ni doctrine officielle, ni hiérarchie. Le système politique est certes inspiré de celui du Royaume-Uni, l’ancien colonisateur, mais un système fédéral complexe avec de nombreux États dominés par des partis régionaux qui n’ont rien à voir avec Delhi en rend le fonctionnement difficile à analyser. Les catégories habituelles (gauche/droite), que les observateurs étrangers tentent désespérément d’appliquer aux partis indiens, ne conviennent guère : ces partis se distinguent surtout par leur attitude vis-à-vis de la place de la religion dans la société ou par les castes qu’ils représentent. Les castes justement : cet élément fondamental de l’identité indienne, dont on comprend vite qu’il régit des pans entiers de la vie sociale, demeure un éternel sujet de perplexité, même après des années de séjour dans le pays.
C’est tout l’intérêt du livre de Sandrine Prévot que de décrypter de nombreuses composantes de ce qui fait la vie sociale des Indiens. Avec la thèse centrale, peu contestable, évoquée dans le titre : il s’agit d’une « société de réseaux » où l’individu s’efface par rapport au groupe. Contrairement aux sociétés occidentales où l’individu est « une entité complète et indépendante de toute autre, en Inde, l’individu isolé est un être irréel », note l’auteure. Il ne se conçoit, en fait, qu’en tant que composante de plusieurs groupes concentriques ou transversaux. Avec d’abord et avant tout la famille, de loin le plus important. Puis la caste et les diverses communautés auxquelles peut appartenir un individu : communauté locale, professionnelle, etc. Dans tous les cas, le groupe prime, et c’est l’appartenance à tel ou tel groupe – une famille prospère, une caste élevée, un métier prestigieux – qui valorise l’individu.
La famille, unité de base de la société indienne
La famille est donc l’unité de base de la société indienne. Chacun se définit comme membre d’un groupe familial dont les intérêts dominent. Ce qui explique la prévalence qui dure toujours aujourd’hui des mariages arrangés, où les parents choisissent le conjoint ou la conjointe de leur enfant (la principale évolution tenant au « droit de veto » de plus en plus large accordé à l’enfant en question). Ou encore l’habitude très répandue et déroutante pour les Occidentaux, de la résidence commune de la « famille élargie » où l’on voit cohabiter sous le même toit trois générations, personne ne considérant qu’une jeune ménage doit prendre son indépendance. Le corollaire positif de cette priorité absolue donnée à la famille, c’est la solidarité sans faille entre ses membres qui en résulte. Dans un pays où le système de protection sociale est souvent inexistant, la famille « est à la fois la sécurité sociale, l’assurance chômage et la retraite » des Indiens, souligne très justement Sandrine Prévot, même si l’on peut s’étonner qu’elle ne le fasse que dans les dernières lignes du chapitre consacré à la famille, comme une réflexion venue après-coup.
Double appartenance à la famille et à la caste
La prééminence absolue de la famille a aussi son corollaire négatif : « Seul le bien-être des proches préoccupe, les problématiques des autres indiffèrent, affirme l’auteure. Envers les étrangers, on ne se sent tenu à aucune obligation. On calcule plutôt ce qu’ils ont à nous apporter et comment ils peuvent nous être utiles. » Des remarques qui aident à comprendre l’indifférence dont témoignent souvent les Indiens vis-à-vis des souffrances qui les entourent, à la surprise fréquente des étrangers.
Les conséquences de cette primauté accordée à la famille sont multiples. Sandrine Prévot s’attarde sur ...
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Article écrit par Patrick de Jacquelot pour le site Asialyst