C’est au cœur de la campagne, dans un magnifique jardin de manguiers à une heure au sud de Chennai, que le trust indien Irudayan Niketan (Points Cœur) accueille des personnes exclues de la société, les aide à se reconstruire et à retrouver une dignité. Cette petite communauté est menée par le Père Olivier, appuyé depuis trois ans par Anne, et par des volontaires de toutes origines.
Point Cœurs : faire face à la solitude
Points Cœur est une organisation née en France en 1990. L’idée est d’envoyer des jeunes du monde entier en mission pour offrir une présence aux plus démunis. A l’origine, elle visait la misère matérielle, mais la pauvreté est aussi souvent morale, qu’il s’agisse de solitude ou même d'exclusion. Depuis les débuts, 46 maisons se sont ouvertes dans 23 pays.
Ces installations se font au gré des rencontres et des besoins. En Inde, une entité locale a repris l’idée, d’abord à Bangalore en 1992, puis à Chennai. Dans le quartier pauvre et bruyant de Chengalpet, dans le sud de la ville, des volontaires apportent aide et réconfort aux populations. À l’écart de la ville, le Jardin de la miséricorde offre un toit et une communauté à ceux qui sont seuls au monde.
Le Jardin de miséricorde : à l’origine, un lieu d’accueil pour les enfants des villages
Au jardin de la miséricorde, Père Olivier a commencé par accueillir 14 enfants des villages avoisinants, leur offrant les conditions matérielles et l’accompagnement nécessaire à leur scolarité. Mais en 2014, suite à un changement de réglementation, l’accueil des enfants n’a plus été possible. La plupart ont été mariés ou ont repris la terre de leurs pères. Mais tous sont désormais sensibilisés à l’importance de l’éducation et on peut espérer que leurs enfants en profiteront.
Aujourd’hui encore, nous suivons ces enfants. Angèle nous a demandé d’intervenir auprès de sa famille, qui préparait pour elle un mariage arrangé alors qu’elle souhaitait continuer ses études. C’était pour elle un moyen de mieux servir sa communauté, mais sa famille n’y était pas favorable. Un compromis a été trouvé : elle étudie actuellement en ville, mais elle doit racheter sa dette à la famille dont elle devait épouser le garçon.
Anne
Aujourd’hui : un lieu de reconstruction pour les personnes isolées
Depuis, le Jardin accueille 14 personnes, hommes et femmes, de tout âge, toute religion, toute caste. Leur point commun : ils ne trouvent pas leur place dans une société très normée basée sur la famille. Orphelins, handicapés, isolés ou rejetés par leurs proches, ils n’ont nulle part où aller. Au-delà de la pauvreté matérielle, ils souffrent d’une profonde misère affective.
Elsa, 35 ans, est la plus jeune des résidents du jardin. Sa mère, française, est morte quand elle avait 8 ans. Elle a passé son enfance de foyer en foyer. Atteinte petite de la poliomyélite, elle est en fauteuil roulant. Dans son cas, malgré le handicap, la pauvreté n’est pas le principal problème : avant le Covid, elle tenait un petit magasin de fournitures scolaires, qu’elle rêve de rouvrir un jour. En attendant, elle donne des cours de soutien scolaire dans une école. Mais elle n’a aucune famille, et ici, elle se sent aimée et utile. Recueillie au jardin il y a 10 ans, elle a retrouvé une famille et le sourire.
Un cadre de vie propice à la reconstruction
Au Jardin de la miséricorde, tout est fait pour permettre à ces personnes abimées par la vie de se ressourcer. Dans cet écrin de verdure et de calme, loin de l’agitation de la ville, quelques bâtiments ont été construits pour les accueillir.
La vaste salle à manger, joliment décorée, est un haut lieu de sociabilisation : on y joue au cartes, on papote, on s’y retrouve pour des réunions sur des thèmes divers et variés. Plus loin se trouvent les bâtiments des hommes, à distance raisonnable de ceux des femmes. Un terrain de sport est à disposition, et les collines alentours promettent de belles promenades.
Père Olivier, Indien lui-même, assume la responsabilité et la gestion des lieux. Un manager salarié s’occupe de l’aspect administratif. Anne, Française en mission en Inde, prend en charge les volontaires internationaux et les résidentes femmes.
Pauline vient de Bombay où elle enseignait. Depuis la mort de son mari, elle se sent très seule, et sa fille, qui doit vivre avec ses beaux-parents, ne peut pas s’occuper d’elle. Elle a pris sa retraite il y a quelques années, ce qui a accentué son isolement. Elle ne supportait plus la solitude de sa chambrette dans le village. Inquiète de la voir sombrer dans la dépression, sa fille a contacté Point Coeur.
En arrivant au jardin, Pauline s’est définit comme un « cœur brisé ». Mais au Jardin, elle a repris espoir et, voyant le travail des volontaires auprès d’autres « coeurs en mille morceaux », elle s’est mise elle aussi à aider. Elle cuisine, accompagne des élèves à l’école et offre des cours de soutien scolaire aux enfants du village.
Permettre aux laissés-pour-compte de retrouver leur dignité
Dans ce lieu paisible et retiré, propice au recentrage et à l’introspection, le rythme de vie est très lent, voire contemplatif. Comme le dit joliment Anne : "En Inde, le temps est un ami !".
Ce qui n’empêche pas les résidents de participer au fonctionnement de leur petite communauté. Hormis l’entretien du jardin et la récolte des mangues, tout est fait par eux. Chacun se voit confier une mission en fonction de ses possibilités. À la cuisine, au jardin, ils retrouvent dignité, sentiment d’utilité mais aussi sens de la communauté, essentiel pour ces personnes violemment rejetées du groupe. Et si l’un des résidents manque à l’appel, son absence est remarquée, quelqu’un devra le remplacer : une manière aussi de sortir ces laissés-pour-compte de l’anonymat auquel ils étaient habitués, de marquer l’importance de chacun.
Ramesh errait dans les rue de Chennai, blessé, rendu à moitié fou par la solitude. Enfant, son père a versé de l’huile bouillante sur ses pieds pour le punir d’avoir fait l’école buissonnière. Il en porte encore les séquelles. Plus tard, il est devenu pêcheur, il a fondé une famille, mais sa femme et ses enfants refusent aujourd’hui de le voir. Lorsque les volontaires de Point Cœur l’ont abordé, il était très violent. Au Jardin, il s’est apaisé. Il a tissé des liens avec les autres résidents et avec les volontaires. Certains l’appellent Ramesh Appa : Père.
Une reconstruction qui passe aussi par la responsabilisation
Outre cette notion de dignité, essentielle à la reconstruction des résidents, l’idée est de réapprendre le quotidien à des gens qui ont parfois tout perdu. Même si les conditions de vie ici sont souvent bien meilleures que ce qu’ils ont connu auparavant, le quotidien n’est pas toujours évident : le Jardin n’est pas un hôtel !
Gavin, large monsieur diminué par un diabète et la blessure permanente qu’il a au pied, a été rejeté par sa famille en raison de ses accès de violence. Les volontaires de Point Cœur l’ont rencontré dans un hôpital, où il vivait depuis 5 mois. Au Jardin, il est responsable des médicaments, qu’il va chercher à la pharmacie. Conscient de la chance qui lui a été offerte lorsqu’il a rejoint le Jardin, il prend son rôle très à cœur.
Au Jardin de la miséricorde, un mode de vie à prendre ou à laisser !
Pour que cette vie communautaire puisse fonctionner, des règles se sont imposées. Ainsi les aspirants résidents doivent expérimenter la vie au Jardin durant un mois avant d’être admis définitivement, car l’éloignement, la participation demandée aux tâches ménagères et le mélange des genres et des castes, qui font sens dans cette anti-société indienne, peuvent ne pas être bien vécus.
Sylvester, lépreux de basse caste qui a perdu coup sur coup sa femme et sa fille, a posé un réel défi à son arrivée au Jardin : personne ne voulait partager sa chambre. En Inde, les léproseries restent cloisonnées et, même si la lèpre est intimement liée au manque d’hygiène et à la dénutrition, les lépreux effrayent. Sylvester adore jardiner, ce qui lui a permis (avec un peu de pédagogie de la part de l’équipe encadrante sur la lèpre et le très faible risque de contamination) de s’intégrer peu à peu.
Le Jardin de la miséricorde : un beau défi à relever sur le long terme
Pour éviter que le Jardin ne soit vu comme une institution où déposer les personnes âgées ou malades dont la famille ne souhaite plus s’occuper, et pour que le Père Olivier et son équipe n’aient pas à assumer la responsabilité des personnes en perte d’autonomie dont, sans équipe médicale, ils ne sauraient s’occuper, chaque résident doit avoir un référent à l’extérieur. Et pour responsabiliser ceux-ci, on leur demande une petite participation financière.
Anthony a été chassé de la maison par sa fille lorsqu’il a pris sa retraite. Personne ne veut plus gérer le vieux monsieur depuis qu’il a arrêté de ramener de l’argent à la maison. Avec lui se pose une nouvelle problématique, celle des personnes âgées de plus en plus souvent abandonnées par leurs familles.
Autre défi, et de taille, auquel seront confrontés le Père Olivier et son équipe : celui du long terme. Le jardin n’est ni un hôpital, ni une maison de retraite. Que faire des personnes vieillissantes ? De celles qui vivent là depuis des années et dont on ne peut plus s’occuper ?
Le Jardin est un lieu de transition. Si la reconstruction et la réinsertion sociale peuvent être longues, ce ne doit être qu’une étape. Régulièrement, les résidents sont invités à passer quelques jours chez leur référent, pour maintenir les liens et pour leur rappeler d'où ils viennent, à quoi ressemble le monde dont ils sont protégés depuis parfois des années. Mais peu de pensionnaires, pour le moment, ont des projets d’avenir.
Roy, Anglo-Indien de 50 ans, est déficient mental. Son père, avec qui il vivait, est décédé durant la pandémie, et ses frères et sœurs, qui vivent à l’étranger, l’ont fait entrer au Jardin il y a un an. Au début, il parlait très peu, mais aujourd’hui, il est apprécié pour ses plaisanteries et sa bonne humeur. Sa sœur aimerait qu’il la rejoigne en Australie. C’est un des rares résidents à avoir un projet concret de départ.
En attendant, Pauline, Anthony, Gavin, Elsa, Sylvester, Roy, Ramesh et les autres retrouvent peu à peu confiance en eux-mêmes et en la vie.
Soutenir le Jardin de la miséricorde
Le Père Olivier et Anne sont toujours preneurs de linge de lit (et notamment de draps housse, denrée rare en Inde !), livres, médicaments et objets de la vie quotidienne (cafetière, séchoir à linge...).
Le Jardin dispose de quelques chambres que vous pouvez louer à la nuit. L'endroit est vaste et ressourçant, il dispose d'un terrain de sport et il est possible de faire de belles balades dans les collines alentours. Pour les habitants de Chennai à qui le calme et la verdure manquent, ce peut être une bonne idée de week-end, avec ou sans enfants ! Vous pourrez également apprendre avec les résidents à concevoir, par exemple, un kolam.
Pour tout renseignement, contacter Anne (en anglais ou en français) : +91 90477 81252