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L’ONG LP4Y à Chennai : donner les moyens aux jeunes de prendre leur avenir en main

Remise de diplômes au centre LP4Y de Chennai Remise de diplômes au centre LP4Y de Chennai
Écrit par Annick Jourdaine
Publié le 26 mai 2022, mis à jour le 19 décembre 2023

A Chennai, le quartier de Kannagi nagar est une zone de « réinstallation », où ont été construits depuis le début des années 2000 plus de 37 000 logements, dans des immeubles de quelques étages. Vingt ans après, l’état de délabrement des immeubles et l’extrême précarité de la population en font un des quartiers les plus pauvres de Chennai. C’est dans ce quartier que l’ONG, Life Project for Youth (LP4Y) a installé son centre de formation pour les jeunes de 18 à 25 ans.

lepetitjournal.com de Chennai a assisté à la remise des diplômes aux jeunes qui ont terminé la formation et a rencontré Laurène et Sonia, les deux volontaires qui animent le centre.

 

Le slogan de LP4Y à Chennai

 

LP4Y à Kannagi Nagar, Chennai

C’est la fête en ce samedi matin de mai au centre LP4Y (Life Project for Youth) du quartier de Kannagi nagar de Chennai. 

Une cinquantaine de personnes, habitants du quartier, familles, membres de LPY4 et partenaires, célèbrent la réussite des jeunes accompagnés par la structure en 2021. 

L’ambiance est chaleureuse. Chacun a porté un soin particulier à sa toilette. Le hall d’accueil est décoré de guirlandes et l’hymne national, le « Jana-Gana-Mana », donne le ton officiel de la cérémonie. 

Sept jeunes hommes et femmes du quartier défilent sur l’estrade pour dire combien l’appui de LP4Y a été décisif pour élaborer et engager leur projet professionnel et de vie. 

  • David, 22 ans, travaille aujourd’hui comme manutentionnaire mais son parcours ne s’arrêtera pas là, en perfectionnant son niveau en anglais et informatique.
  • Jothi, 20 ans, a été embauchée au service clients de Novotel.
  • Easwari, 20 ans, travaille à la crèche du centre LP4Y.
  • Varsha, 21 ans, a intégré le service secrétariat d’une banque.
  • Ruthmercy, 19 ans, entame une carrière de mannequin/actrice en décrochant ses premiers contrats dans des productions tamoules. 
  • Vijay, travaille dans une société d’informatique, à la saisie de données.
  •  Vijaya Lakshmi est employée par LP4Y comme médiatrice sociale. 

Tous sont fiers de leur réussite.

 

Dans ce quartier très défavorisé, accéder à un premier emploi suppose de franchir de nombreux obstacles, matériels (déplacements), sociaux (réputation négative du quartier, poids de la famille) et psychologiques (oser sortir de son environnement, se projeter dans l’avenir…). Chacun voit dans sa situation actuelle un premier pas vers une nouvelle vie, différente de celle que le déterminisme social lui avait à priori imposée. 

 

Les jeunes et les familles de LP4Y réunis pour la graduation

 

Depuis quatre ans, l’ONG LP4Y est implantée dans le quartier de Kannagi nagar à Chennai. Au cœur de cette cité de plus de 150 000 habitants, LP4Y occupe un petit ensemble de bâtiments loués à la municipalité pour y développer son concept de formation et d’accompagnement.  

Le centre est aujourd’hui animé par Laurène et Sonia, deux jeunes Françaises Volontaires de Solidarité Internationale (VSI). Elles ne sont là que depuis quelques mois, mais semblent déjà très à l’aise et acceptées par la population locale. Leur sourire, sens de l’écoute et disponibilité ont assuré leur adaptation. Le recrutement comme médiatrice de Vijaya Lakshmi, ancienne bénéficiaire du programme, a facilité la communication et la compréhension des codes sociaux. La tâche était particulièrement délicate après la mise en sommeil des activités pendant une grande partie de l’année 2021 pour cause de pandémie.

 

Le programme de LP4Y 

Depuis quelques semaines, un groupe de six jeunes femmes du quartier, entre 18 et 25 ans, a entamé le programme de formation selon le cadre mis au point par LP4Y pour tous ses centres. Il s’articule en trois phases pour un total de six mois consécutifs. 

Le premier mois, dit de découverte, met l’accent sur la communication, la découverte de l’outil informatique et la pratique de l’anglais.

Les deux mois suivants sont ceux de la « responsabilité » où il s’agit d’aborder entre autres le monde professionnel par un stage d’observation en entreprise d’une à deux semaines.  

Les trois derniers mois, dits de « management », visent à la fois à conforter les capacités de communication et de responsabilité en permettant aux jeunes d’encadrer eux-mêmes les nouveaux participants, mais aussi à élaborer leur projet personnel à court et moyen termes. 

 

Nous avons rencontré Padnavati, la première à avoir intégré le groupe de formation 2022. Elle a 25 ans, deux enfants de 8 et 2 ans. Son mari travaille comme éclairagiste et n’est pas souvent à la maison.  

 

Padnavati a d’abord été intéressée par la proposition de cours d’anglais. Petit à petit, elle a pris confiance. Il ne lui a fallu que deux mois pour maîtriser l’usage de base d’un ordinateur qu’elle n’avait jamais touché auparavant. C’est une jeune femme épanouie qui aujourd’hui se présente à nous en anglais. Elle joue un rôle important dans l’accueil et l’intégration des nouvelles. Elle est à la recherche d’un premier stage pratique pour découvrir le monde des entreprises informatiques. Elle sait que le parcours vers l’emploi sera long mais croit en elle. Elle veut être un modèle pour ses enfants. 

Le programme de formation de LP4Y est à la fois très cadré et en même temps adaptable à chaque situation. Le protocole en trois étapes est le résultat d’une longue expérimentation validée. Il s’appuie sur des logiciels et une pédagogie dont le premier principe est l’autonomie. La formation est exigeante, à raison de cinq jours par semaine, toute la journée.

Pour faire face aux difficultés matérielles, le centre de Kannagi nagar dispose d’une crèche ouverte aux enfants des jeunes mères en formation et d'une cuisine collective. De plus, LP4Y accorde à chaque participant une allocation mensuelle dont le cumul permettra de couvrir les dépenses d’entrée dans l’emploi (transport, habillement, garde d’enfants).

LP4Y s’appuie également sur un réseau de partenaires locaux pour élargir les compétences et opportunités : d’autres ONG comme OASIS (qui forme aux métiers de cuisine et de confection), NALLES (dans les secteurs de la construction, la robotique et le milieu hospitalier), Quest alliance qui développe différents outils pédagogiques en ligne ; des entreprises d’accueil pour des stages ; des fondations qui soutiennent financièrement le programme. 

 

La crèche de LP4Y à Chennai
Crèche du centre LP4Y

 

Laurène et Sonia, les “coachs” de LP4Y à Kannagi Nagar

La réussite de l’action repose aussi et surtout sur la qualité des accompagnants. Avant d’intervenir directement auprès d’un groupe, ceux-ci sont eux-mêmes formés aux outils.

Laurène a suivi le parcours préparatoire au Liban et Sonia faisait partie de l’équipe de coordination de Calcutta avant de rejoindre Chennai.

Toutes les deux, sans se connaitre auparavant, ont un profil semblable : école de commerce, expérience professionnelle dans le service marketing d’un grand groupe.

Abandonner le chemin tout tracé et partir en volontariat n’est pas une décision que l’on prend à la légère. C’est quitter un monde dont on connait les codes pour se plonger dans l’inconnu total et prendre le risque de se mettre à l’épreuve. Beaucoup des VSI de LP4Y et d’autres ONG sont des femmes. Plus courageuses, moins carriéristes ? Peut-être ! Quand on voit le sourire de Laurène et Sonia, on ne doute pas que l’expérience est riche en retours. 

 

Laurene et Sonia les coachs de LP4Y à Chennai

 

Il est facile de les rencontrer à Kannagi nagar. Elles vous communiqueront leur enthousiasme. Elles recherchent de nouveaux partenaires, pour intervenir auprès des jeunes, pour leur proposer des stages, des emplois et pour un soutien financier. Alors n’hésitez pas. 

 

LP4Y, c’est quoi ? 

LP4Y est un mouvement international, créé à la fin des années 2000 par des Français à partir de leur expérience de vie aux Philippines. Il est aujourd’hui présent dans treize pays différents, s’appuyant sur des organisations locales. L’objectif est de promouvoir et soutenir des solutions innovantes pour l’insertion professionnelle et sociale de jeunes en situation de grande pauvreté et victimes d’exclusion, en particulier de jeunes femmes entre 17 et 24 ans. 

En Inde, LP4Y travaille auprès de la population urbaine de Delhi, Calcutta, Bombay, Bangalore et Chennai. La structure a également ouvert deux centres en zones rurales, dans les états du Chhattisgarh et du West Bengal. 

 

Kannagi nagar à Chennai, c’est quoi ?

Coincé entre l’OMR et l’ECR, le quartier de Kannagi nagar est une zone de « réinstallation », où ont été construits depuis le début des années 2000 plus de 37 000 logements, dans des immeubles de quelques étages. 

Le programme visait à reloger les habitants de bidonvilles détruits pour des raisons d’aménagement urbain (zones inondables, embellissement de la ville) ou financières (utilisation du foncier pour des constructions de luxe). En 2004, les pécheurs dont les habitations avaient été détruites par le tsunami y ont également été installés. 

Vingt ans après, l’état de délabrement des immeubles et l’extrême précarité de la population en font un des quartiers les plus pauvres de Chennai. Les réseaux d’eau et d’assainissement sont défectueux ; bon nombre d’habitants ont dû installer des réserves d’eau de substitution. Les appartements de 23 m2 en moyenne sont peu adaptés aux familles nombreuses.

Le déplacement des populations autrefois plus proches du centre ville a souvent entrainé la perte d’emploi pour des personnes employées dans les commerces, le nettoyage ou chez les particuliers. 

Le taux de chômage dans le quartier est particulièrement élevé et les indicateurs sociaux sont très négatifs. Selon une étude de 2020, 48 % des familles disposent de moins de 3 000 roupies par mois. 85 % des enfants connaissent des violences familiales, 62 % des femmes ont subi des violence sexuelles et 53 % des filles doivent accepter un mariage précoce.   

Kannagi nagar est considéré comme le foyer de tous les crimes à Chennai. Ses habitants sont stigmatisés ; fournir une adresse du quartier est souvent discriminatoire dans la recherche d’emploi. 

 

Mur peint par St+art India à Kannagi nagar Chennai

 

Pour améliorer l’image du quartier, la municipalité a décidé d’en faire une zone de culture en confiant à St+art India Foundation, une organisation co-fondée par la conservatrice d'art contemporain italienne Giulia Ambrogi, la réalisation d’un programme de fresques murales. Quinze artistes dont cinq venus de Suisse, Autriche, Espagne, Canada et Australie, ont peint une vingtaine de gigantesques tableaux sur les façades des immeubles. Le projet a eu un écho médiatique important. Selon les initiateurs, il s’agissait à la fois de faire un listing des immeubles, d’attirer l’attention sur le quartier et de montrer que l’art peut contribuer à améliorer le sort des plus défavorisés. 

 

Mur peint par St+art India à Kannagi nagar Chennai

 

Interrogés, les habitants reconnaissent que leurs immeubles sont aujourd’hui bien plus agréables à regarder. Ils ajoutent néanmoins qu’ils ne comprennent pas vraiment le sens du projet et que cela ne règle pas leurs problèmes quotidiens. 

Esthétiquement, il est vrai que le résultat est réussi ; n’hésitez pas venir l’admirer. Une occasion également de rencontrer cette population marginalisée, à quelques pas des immeubles abritant la technologie informatique indienne de pointe sur l’OMR et de la douceur de vivre de la côte sur l’ECR. 

 

mur peint par St+art India à Kannagi nagar Chennai

 

 

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