Avec Banh Mi Media, Linda Nguon met en lumière les voix asiatiques en France et ailleurs. Une aventure née d’une invisibilité, nourrie par un parcours personnel riche et un profond désir de transmission.


Des racines multiples, un regard ouvert
Née en France de parents vietnamiens et cambodgiens, Linda Nguon a grandi dans une France des années 1990 où les visages asiatiques sont encore invisibles dans l’espace public. Elle apprend très tôt à s’adapter, à observer les autres et à naviguer entre différentes cultures. « J’ai souvent été ailleurs que chez moi, raconte-t-elle. Et devoir m’adapter à de nouveaux environnements, c’est quelque chose qui a été ancré en moi très jeune. »
À 24 ans, après des études en commerce international, elle quitte la France. D’abord, elle se rend en Corée du Sud, un échange universitaire qui bouleverse ses représentations de l’Asie. Puis Singapour, où commence véritablement sa vie professionnelle et son immersion dans la diversité des sociétés d’Asie. Elle y découvre une multiculturalité foisonnante et développe une conscience nouvelle : « Je pensais que toute l’Asie ressemblait au Vietnam. Mais c’était tout le contraire. Et je me suis rendue compte qu’elle était plurielle. »
Banh Mi Media
De retour en France en 2020, Linda fonde Banh Mi Media, un média indépendant centré sur les identités et cultures asiatiques. Le nom évoque le bánh mì, sandwich vietnamien, « la baguette française coloniale transformée par les Vietnamiens ».
Banh Mi débute par des articles de blog, puis un podcast. Très vite, les échos sont puissants. Les voix qu’elle récolte — d’Asiatiques ou non, mais toutes reliées à l’Asie — résonnent auprès de milliers d’auditeurs. La formule s’élargit : créations sonores, séries enregistrées à Phnom Penh ou Bangkok, talk-show avec des femmes asiatiques (Les Tatas), projets d’illustration, collaborations artistiques et culturelles. « Ce que je veux, c’est créer un espace de transmission, de rencontre, de mise en lumière », résume-t-elle.
Une mission identitaire et universelle
Si Banh Mi parle d’Asie, sa mission va au-delà. « Ce n’est pas un média communautaire au sens fermé, insiste-t-elle. Ce sont des histoires humaines, universelles, mais racontées depuis des points de vue souvent invisibilisés. » Face à l’invisibilité médiatique des Asiatiques en France, Linda veut combler un vide et ouvrir des perspectives. Elle refuse d’opposer les récits : « Je ne veux pas être dans la confrontation, mais dans l’invitation. Montrer qu’il existe d’autres récits. »
Elle insiste aussi sur l’absence historique d’Asiatiques dans l’espace public en France : peu présents dans les médias, les arts, le sport, alors qu’ils font partie du tissu national depuis des décennies. « On n’a pas eu le temps de se raconter. Les premières générations étaient concentrées sur la survie. Aujourd’hui, on a ce luxe-là, celui de raconter. »
Une voix qui rassemble
Derrière le succès de Banh Mi — plus de 60 000 abonnés et 7 millions de vues cumulées — se construit aussi une communauté. Des créatifs, des illustrateurs, des artistes. Une agence de communication qui accompagne institutions et marques pour cibler les diasporas asiatiques et les curieux de l’Asie. Des événements comme Back to the Roots ou le festival 100% Bánh Mì, appelé Cảm ơn Day (“merci” en vietnamien) ì, qui a rassemblé plus de 5 000 personnes à Paris autour de la culture vietnamienne.
« Aujourd’hui, on est un média, un collectif, une communauté, une agence. Et on veut créer des ponts entre la France et l’Asie. » Elle évoque ses projets en Asie — notamment au Cambodge et au Vietnam — où elle retourne pour enregistrer, documenter, rencontrer. Le tout en gardant sa ligne : un média en français, mais accessible à l’international, grâce à des sous-titres en anglais et un esprit inclusif.
Faire rayonner Banh Mi… et bien plus encore
À travers son travail, Linda milite pour une France plurielle, où chacun puisse se reconnaître dans les récits proposés. Elle parle de soft power : introduire les identités asiatiques dans le paysage culturel, sans brutalité, mais avec constance. « Le message de Banh Mi, c’est ça : rassembler, partager, comprendre. Créer la rencontre avec ce qu’on ne connaît pas. »
Et pour la suite ? Un Banh Mi Book à venir, des festivals de cinéma, de musique… et l’ambition de continuer à explorer de nouveaux récits, y compris au Cambodge, où elle rêve d’un festival comme celui organisé autour du Vietnam.
« Peut-être qu’un jour, ce ne sera plus l’Asie mon sujet. Mais ma mission, ce sera toujours de créer des espaces de rencontre. »
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