Né de la rencontre entre Sophie Bernado et Céline Grangey, Océans Infinis explore les profondeurs sonores de la planète, avec un basson, des enregistrements marins et un engagement écologique.
Rencontre à double anche
C’est une alliance peu commune : celle d’une bassoniste aventurière et d’une ingénieure du son passionnée. Ensemble, Sophie Bernado et Céline Grangey forment le duo Lila Bazooka, né d’une rencontre au sein de l’ensemble de la pianiste Eve Risser. « Le basson est un instrument délicat à capter, explique Céline. On a sympathisé autour de cette recherche de la meilleure prise de son possible. » Très vite, une envie partagée émerge : créer un solo de basson… à deux.
Sophie Bernado rêvait d’un projet mêlant électronique, sons non conventionnels et enregistrement de l'espace sonore. « Je voulais explorer le basson autrement, faire surgir des sons qui ne lui sont pas habituellement associés. Et pour ça, j’avais besoin de quelqu’un comme Céline. »
Un voyage sonore au Japon
C’est au Japon que le duo trouve son point de départ artistique. Inspirées par les musiques traditionnelles, notamment le gagaku et ses instruments à anche double comme le shō ou le ichiriki, les deux artistes réalisent de nombreux enregistrements sur place. « On captait tout : les temples, le métro, les paysages sonores du quotidien, raconte Sophie. Ensuite, on composait à partir de cette matière. »
De cette immersion est né leur premier album, Arashiyama (2022, Ayler Records), véritable fresque sonore tissée de basson, voix, électronique et sons traditionnels japonais, avec la participation de Ko Ishikawa au shō.
Quant au nom du duo, il résume bien l’esprit du projet : « Le bazooka, c’est mon instrument, s’amuse Sophie, qui trouve que son instrument ressemble à cette arme – mais avec Lila devant, ça devient une fleur au fusil. Une douceur explosive. »
Dans le sillage des baleines
Depuis 2019, le duo plonge dans un nouveau cycle de création : l’écoute des baleines. Une première collaboration avec la musicienne Aline Pénitot, autour du projet La réponse de la baleine à bosse, les avait amenées à La Réunion. « On n’a pas vu de baleines à cause d’une tempête, mais on avait accès à de nombreux enregistrements », se souvient Sophie.
Elles commencent alors un travail de transcription musicale des chants de cétacés, avec le soutien du bioacousticien Olivier Adam et de Oceania Project en Australie. « Les baleines sont de grandes chanteuses. Certaines peuvent émettre un chant pendant vingt minutes d’affilée. J’ai relevé leurs motifs musicaux comme on le ferait pour une partition. »
En février 2024, elles embarquent pour Hawaï pour un projet art-science. Collaborant avec le scientifique Jean-Yves Georges pour une recherche sur la communication inter-espèce par le biais de l'émotion et la musique, elles partent à la rencontre des baleines dans le cadre d’un protocole expérimental mêlant art et science : envoi de sons sous-marins via haut-parleurs, capteurs cardiaques, observations croisées... « Une baleine s’était rapprochée de nous par curiosité. C’était si fort que son chant saturait nos casques. »

Le lien entre le basson et les cétacés devient évident :
« Avec le glissando, le basson imite certaines vocalises de baleines. Il y a une vraie proximité sonore. »
Improviser au Cambodge
Invitées au Cambodge sur l'initiative de Fanny Pagès, qui a soutenu leur projet en France et a souhaité les inviter dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan 2025 qui se tiendra le 6 juin à Nice (France), Sophie et Céline ont animé un atelier aux Beaux-Arts de Phnom Penh. « Fanny a été essentielle, souligne Céline. C’est grâce à son engagement que nous avons pu présenter notre approche ici. »
Lors de cet atelier, Sophie partage sa vision de l’improvisation comme une porte de sortie face aux enseignements classiques très codifiés. « L’impro, c’est une fenêtre ouverte », résume Sophie.
L’atelier, qui a réuni une vingtaine d’étudiants, s'est déroulé dans une ambiance chaleureuse et stimulante. « C’était leur première fois avec ce type de musique. Mais ils se sont prêtés au jeu. On a senti une vraie curiosité. »
Le mardi matin, elles sont allées toutes les deux à la rencontre de deux classes de seconde du Lycée français. Échanges très riches avec les élèves, Sarah Richardot qui s'occupe des projets culturels au lycée, et Élodie Bazzo Bortot, leur professeure de physique-chimie. Les élèves nous ont notamment raconté leur projet scientifique sur les éléphants et nous avons pu échanger sur leurs engagements écologiques.

Écouter la nature, éveiller les consciences
Au-delà de l’expérience musicale, Lila Bazooka revendique un projet profondément écologique. « Notre société s’est séparée de la nature. Or, nous incarnons la nature. » Pour elles, les cétacés sont des peuples océaniques dont il faut respecter la sagesse ancienne. « Ils sont là depuis bien plus longtemps que nous. »
Leur projet Océans Infinis, soutenu par le CNRS, vise à sensibiliser à l’écoute du vivant : conférences, concerts, rencontres avec des chercheurs…
« On a besoin de reconnecter l’émotion, l’écoute et la science. C’est aussi ça, la communication inter-espèce. »
Et dans ce monde en crise, leur message reste simple et vibrant : écouter pour mieux vivre. « Écouter les baleines, c’est se souvenir que sous la surface, il y a un monde immense, fragile et plein de musique. »

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