Le Sénat a adopté un amendement ouvrant la voie à la révocation de nationalité pour collusion avec des puissances étrangères. Une mesure contestée.


Une révision constitutionnelle controversée
Le Sénat cambodgien a approuvé le 14 juillet un amendement à l’article 33 de la Constitution, permettant désormais de révoquer la nationalité des citoyens accusés de collusion avec des puissances étrangères menaçant les intérêts nationaux. Sur les 60 sénateurs présents, 58 ont voté en faveur de ce changement, dans la lignée du vote unanime de l’Assemblée nationale le 11 juillet.
Ce projet de loi, qui vise explicitement les personnes reconnues coupables de « conspirer avec des entités étrangères pour nuire au pays », a suscité une vive inquiétude parmi les défenseurs des droits humains et les juristes, qui dénoncent une dérive autoritaire et une violation des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Hun Sen défend un “patriotisme pur”
Président du Sénat, Hun Sen s’est porté garant du bon usage de cette disposition. « Les innocents ne seront pas affectés », a-t-il affirmé, insistant sur le fait que l’amendement ne vise pas la dissidence ou les partis d’opposition.
Il a rappelé que les fondations de cette réforme avaient été posées dès le 10e amendement constitutionnel en 2022, au moment du transfert de pouvoir à son fils Hun Manet. Selon lui, les tensions récentes à la frontière avec la Thaïlande justifient l’urgence d’une telle législation. « Il est temps de prévenir plutôt que de subir », a-t-il déclaré, en évoquant la perte historique de territoires comme Siem Reap et Battambang au début du XXe siècle.
Hun Sen a aussi souligné que le Cambodge, qui a naturalisé de nombreux étrangers, ne dispose aujourd’hui d’aucun mécanisme légal pour retirer la nationalité en cas de menace à la sécurité nationale. « Si un Thaïlandais naturalisé soutient une attaque militaire contre le Cambodge, doit-on encore le considérer comme un citoyen ? », a-t-il interrogé.
Une loi pensée pour les exilés ?
L’ancien Premier ministre a justifié le besoin de cette loi par l’impossibilité d’agir contre les personnes reconnues coupables de trahison mais réfugiées à l’étranger. « Ceux qui sont au Cambodge peuvent être emprisonnés. Pour les autres, il faut un outil légal différent », a-t-il expliqué.
Enfin, il a appelé à « encourager un patriotisme pur » et à « placer l’intérêt national au-dessus de tout ». Selon lui, cette loi est une nécessité face à une histoire marquée par des pertes territoriales et des ingérences extérieures. « Ceux qui s’y opposent doivent se demander combien notre terre est fragile », a-t-il lancé.
Des critiques virulentes du monde juridique
Face à cette réforme, certains intellectuels et juristes montent au créneau. Kang Rithkiry, professeur de droit, a comparé la situation à une fable de La Fontaine, dénonçant une logique où « la force fait le droit ». Sur les réseaux sociaux, il a fustigé une réforme qu’il juge archaïque : « C’est comme utiliser une momie de pharaon pour faire des sushis frais », a-t-il ironisé.
Il avertit que désigner des « traîtres » liés au Vietnam ou à la Thaïlande ne fera qu’alimenter un cycle de vengeance sans fin. « Oui, les traîtres doivent être punis, mais selon une Constitution forte, garante des droits de tous les Cambodgiens », insiste-t-il. À ses yeux, la Constitution ne doit pas être manipulée au gré des intérêts politiques.
Une réforme qui s’inscrit dans une dynamique plus large
Depuis 1993, la Constitution cambodgienne a été amendée à dix reprises. L’amendement du 14 juillet s’inscrit dans un mouvement plus large de réforme juridique. Le 10 juillet, le gouvernement a en effet lancé un nouveau cadre stratégique de réforme du droit, destiné à harmoniser un système juridique jugé fragmenté et obsolète.
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui nous permet d'offrir cet article à un public francophone.
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