A la rencontre de Yann Defond qui entreprend de revivifier un savoir-faire ancestral cambodgien, celui des cerf volant musicaux.
Connu pour sa démarche d’assimilation grâce à ses apparitions télévisuelles et grâce à son livre témoignage Un chrétien au Cambodge, Yann DEFOND poursuit son chemin avec une conversion professionnelle partielle. Il s’est formé aux cerf-volants musicaux cambodgiens. Au-delà de leur faculté de vol, ces jouets artisanaux sont le fruit d’une tradition pluri millénaire.
Utiliser des produits naturels
Sous la dénomination KLENG, Yann fabrique manuellement des aérodynes conformes à la tradition khmère. Ils sont faits de bambou, pour la structure, de rotin, pour la lamelle sonore, de cire d’abeille, pour la qualité du son, de palme de palmier à sucre, pour les queues, de ficelle de jute, pour le fil de retenue, de tiges de jacinthe d’eau, pour les liens des arceaux et de colle de riz gluant, pour fixer la voilure de papier recyclé. Notre créatif quadragénaire serait-il écologiste ?
Au début, j’ai confectionné des cerf-volants à partir de matériaux de récupération. Mais ils ne sont pas aussi séduisants que les cerf-volants faits de matières naturelles comme à l’origine.
Nous confie-t-il, et de poursuivre : “De nos jours, cette exigence est extrêmement rare. Les fabricants utilisent presque tous du nylon, de la toile synthétique ou de la colle chimique. Obtenir la même robustesse avec des matières naturelles, requière plus de travail. Mes créations résistent à des vents de force 6. Les fragiles rubans de rotin tendus sur leur arc fixé au sommet des cerf-volants sont particulièrement longs et délicats à produire. Ils sifflent mélodieusement dès que le vent les agite."
Yann s’est ainsi penché sur une tradition locale qu’il s’est appropriée. « Enfant, j’ai été lucaniste. Je me souviens en particulier de deux cerf-volants en silhouette de diamant taillé. Ils étaient en plastique, l’un représentait un oiseau et l’autre un personnage du dessin animé les GoBots que j’ai gardé. Adolescent, je me souviens aussi de ma jalousie de voir un de mes petits frères acquérir un cerf-volant en toile de spi à deux fils pour faire des figures ! En arrivant au Cambodge en 2003, j’ai progressivement découvert que contrairement à l’Europe, l’Asie du Sud-Est cultivait une véritable tradition cerf-voliste. Depuis ce temps-là, l’idée de m’initier à cet art me trottait dans la tête. Pourtant, c’est il y a seulement six mois que j’ai franchi le pas. J’ai lu des livres, des articles, j’ai visionné des heures de vidéo puis j’ai rencontré des passionnés, participé à des festivals. Finalement, un maître m’a enseigné son savoir-faire. »
Tout faire soi même
C’est ainsi que Yann s’est essayé lui-même avec, au début, plus ou moins de succès. « Initialement, je pensais qu’il s’agissait simplement d’acheter des arceaux et de coller une voilure. Mais j’ai déchanté en découvrant que la fabrication était extrêmement compliquée parce qu’il fallait tout faire soi-même ! En plus, quand on habite en ville et que l’on cherche du bambou et du rotin, on ne trouve que des meubles, pas des végétaux vivants encore tendres, prêts à être coupés et travaillés ! Après être parvenu à rassembler tous les matériaux requis, j’ai perfectionné ma technique. Le plus dur était de courber les arceaux à chaud. J’en ai cassé des dizaines sachant que la préparation d’un seul représente une heure de travail… Ça m’a coûté beaucoup d’énervement ! Néanmoins, à force de persévérance, j’ai gagné en expérience. J’ai ainsi développé un premier type de cerf-volant musical dit “à l’ancienne” de 180 centimètres de large sur 215 centimètres de haut. J’ai parallèlement élaboré un procédé de fabrication standardisée. A présent, je produis aussi un cerf-volant musical de 135 sur 150 centimètres avec une forme d’ailes dite “mâle”. De plus, pour être plus aisément transportés, ils sont désormais tous démontables.
L’origine de la tradition du cerf-volant khmer
Le premier cerf-volant est né dans l’archipel indonésien durant la préhistoire. Il fut inventé au sein d’un peuple de pêcheurs en mer familiers de l’usage de la force du vent. Avant de devenir mondiale, l’utilisation de ce type d’aérodyne s’est d’abord répandue en Asie du Sud-Est où, au cours des siècles, chaque pays a élaboré sa propre tradition. Des cerf-volants volent dans la péninsule du sud-est asiatique depuis au moins 2000 ans. Nul ne sait à quelle époque remonte le dessin définitif des différentes silhouettes de cerf-volants khmers. De nos jours, seuls les caractéristiques cerf-volants pnong et les cerf-volants kândaung (carré) subsistent véritablement. Parmi les 27 types de cerf-volants khmers recensés, le plus courant est le cerf-volant pnong. Ce nom remonte à avant l'époque du Funan, soit avant la naissance du peuple khmer. Il est vraisemblable que ce sont les bounongs, ou pnong en khmer, qui inventèrent cette famille de jouets volants comprenant l’emblématique cerf-volant musical dont la lamelle de rotin émet un son au contact du vent. Au début de l’ère chrétienne, cette ethnie autochtone n'avait pas encore trouvé refuge dans les régions vallonnées et forestières. Ainsi son influence dans les sociétés de la péninsule indochinoise était plus marquée qu'elle l'est aujourd'hui. Une autre explication voudrait que le mot pnong provienne par dérivation phonétique du mot khmer prolœng, âme, puisque le cerf-volant est un symbole universel qui relie terre et ciel. Selon cette explication, la dénomination pnong ne serait donc pas liée à l'ethnie bounong.
Et à Yann de conclure :
Mon ambition à long terme, est d’élargir ma gamme en faisant revivre toutes les silhouettes de cerf-volants khmers tombées en désuétude.
Le cerf volant une activité qui réunit les générations
Depuis la nuit des temps, l’usage des cerf-volants est lié au rythme du travail agraire. On les fait principalement voler en saison sèche, entre les récoltes et le nouvel an du calendrier bouddhique théravada soit de décembre à avril. Il s’agit depuis toujours des mois de l’année où les paysans sont le moins occupés. Cet espace de temps est également favorable d’un point de vue météorologique puisque les vents y sont plus réguliers.
Ce sont plutôt des adultes qui font voler les cerf-volants pnong et en particulier des hommes. Etant donné leur taille, il est préférable d'être plusieurs pour les faire décoller. Ce jeu favorise les dimensions collective et intergénérationnelle. Au-delà de l’excitation ou de l’apaisement que procure ce jeu, ces cerf-volistes ressentent généralement une grande fierté à perpétuer une tradition ancestrale qui avait disparu durant les années de guerre.
La légende khmère de NénChey raconte comment cet homme ingénieux échappa aux mains de l’empereur de Chine grâce à l’invention du cerf-volant musical. Porteurs d’une symbolique reliant profane et sacré, matériel et spirituel, ces silhouettes de papier étaient utilisées au Cambodge pour des cérémonies royales et des rites religieux. La croyance selon laquelle le malheur s'abattait sur le foyer dont un cerf-volant tomberait sur la maison perdure. Cette superstition explique pourquoi on joue habituellement au cerf-volant loin des habitations.
KLENG est une transcription en caractères latins du mot khmer ខ្លែង [khlaɛ:ɲ] qui signifie cerf-volant. En réalité, ce mot avait à l'origine un autre sens qui, de nos jours, est désuet. Il désignait le balbuzard pêcheur (pandion haliaetus), espèce de rapace diurne répandue dans une grande partie du monde dont l'Asie du Sud-Est.
Les commandes se font en ligne. KLENG livre gratuitement dans toutes les villes du Cambodge.
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