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États-Unis–Cambodge : un rapprochement pragmatique sous Donald Trump

Washington multiplie les gestes envers Phnom Penh sous Trump, entre baisse des tarifs, reprise militaire et médiation régionale, dans une relation jugée surtout pragmatique par les analystes.

États-Unis–Cambodge - un rapprochement pragmatique sous Donald TrumpÉtats-Unis–Cambodge - un rapprochement pragmatique sous Donald Trump
Photo AKP
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 19 novembre 2025

Les liens entre le Cambodge et les États-Unis se sont resserrés sous l’administration Trump, contrairement à la période Joe Biden, durant laquelle Washington exerçait des pressions sur Phnom Penh pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme. Mais, selon plusieurs analystes, cette proximité récente relèverait davantage du pragmatisme que d’un véritable partenariat durable.

Ces derniers mois, des responsables américains ont régulièrement exprimé leur volonté de réengager le Cambodge comme partenaire potentiel dans l’Indo-Pacifique. Un porte-parole du Département d’État a déclaré à des médias internationaux que Washington entend améliorer le climat d’investissement et la réputation internationale du Cambodge, notamment en démantelant les réseaux d’arnaques en ligne visant des citoyens américains, en mettant fin aux poursuites à motivation politique et en permettant à des médias indépendants d’opérer librement.

 

Virage après des tensions commerciales

Ce repositionnement intervient après une période agitée dans les échanges bilatéraux. En avril, l’administration Trump a imposé un tarif de 49 % sur les produits cambodgiens — le deuxième plus élevé — accusant le pays de servir de plateforme de transbordement pour des marchandises chinoises destinées à contourner les tarifs américains. Les États-Unis restent pourtant le premier marché d’exportation du Cambodge, notamment pour les vêtements, les chaussures et le matériel électrique.

Le ton a toutefois changé dans les mois suivants. En août, le président Donald Trump a annoncé une réduction du tarif à 19 % sur les importations cambodgiennes. Puis, en octobre, un accord commercial bilatéral a été conclu en marge du sommet de l’ASEAN en Malaisie. Dans ce cadre, le Cambodge s’est engagé à appliquer des droits de douane à zéro pour cent sur les produits américains.

 

Médiation dans le conflit frontalier et éloge politique

Le président américain est également intervenu pour mettre fin aux cinq jours d’affrontements entre le Cambodge et la Thaïlande en juillet, ce qui a conduit à la signature de l’accord de paix. Le Premier ministre Hun Manet et plusieurs hauts responsables ont publiquement salué son rôle dans la résolution du conflit frontalier meurtrier, allant jusqu’à proposer sa nomination au prix Nobel de la paix.

Le 6 novembre, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a levé l’embargo de longue date sur les ventes d’armes au Cambodge, citant la « recherche assidue de la paix et de la sécurité » par Phnom Penh, ainsi que le renforcement de la coopération en matière de défense et de lutte contre la criminalité transnationale. Les deux pays ont également convenu de reprendre l’exercice militaire conjoint Angkor Sentinel, interrompu depuis 2017.

 

Rupture avec l’ère Biden

Ces nouvelles marques d’ouverture contrastent avec la période Biden, marquée par des relations tendues. Washington exprimait alors régulièrement ses inquiétudes concernant les atteintes aux droits humains, la répression des médias et les liens militaires du Cambodge avec la Chine. Quelques jours après les élections de juillet, lorsque Hun Sen a transmis le pouvoir à son fils Hun Manet, l’administration Biden avait estimé que le scrutin n’était ni libre ni équitable, tout en annonçant de nouvelles restrictions de visas et de financements.

Durant cette période, l’homme d’affaires Ly Yong Phat avait également été sanctionné pour son rôle présumé dans la traite d’êtres humains et les réseaux d’arnaques en ligne. Les États-Unis s’étaient aussi alarmés de l’expansion chinoise de la base navale de Ream, craignant l’établissement d’une installation militaire chinoise.

 

Un pragmatisme américain plutôt qu’un véritable alignement

Pour la politologue indépendante Ly Sreysrors, la position stratégique du Cambodge est depuis longtemps perçue comme « précieuse » par les États-Unis comme par la Chine. Elle estime que l’intervention de Trump dans le récent conflit frontalier témoigne d’une attention renouvelée envers le Cambodge, mais surtout parce que le président accorde moins d’importance aux enjeux démocratiques que les administrations américaines précédentes.

« Lorsque les États-Unis ne se concentrent pas sur les valeurs démocratiques, le Cambodge et la nouvelle administration semblent s’entendre facilement », explique-t-elle. « Cette dynamique a permis aux deux parties de forger une relation plus étroite. »

Cependant, elle souligne que cet engagement demeure guidé par les intérêts américains, plutôt que par la place du Cambodge en tant que véritable partenaire stratégique.

Ly Sreysrors rappelle également que, malgré le rapprochement apparent, il est peu probable qu’il affaiblisse les liens de longue date entre Phnom Penh et Pékin. Elle note par ailleurs des évolutions régionales, citant la Thaïlande — traditionnellement proche de Washington — dont le roi vient récemment de se rendre en Chine.

 

Une relation « en dents de scie »

Le commentateur politique Ro Vannak a déclaré à CamboJA News que la politique étrangère du Cambodge vis-à-vis des États-Unis est « en dents de scie », en référence aux alternances entre les politiques de Biden et de Trump. Mais, selon lui, ces politiques s’inscrivent dans un contexte plus large de volonté américaine de réduire l’influence chinoise dans la région, et en particulier au Cambodge. Ainsi, les États-Unis pourraient traiter Phnom Penh comme un pays important sur le plan géopolitique, sans pour autant en faire un « partenaire stratégique ou un véritable allié ».

« Trump utilise le pragmatisme dans sa politique étrangère avec le Cambodge, mais ce n’est pas durable à long terme, car il ne pense qu’aux intérêts américains [la limitation de l’influence chinoise]. Donc, lorsque le Cambodge sert les intérêts américains, Trump coopérera », indique Ro Vannak.

Il ajoute que la différence majeure entre les deux administrations réside dans le fait que la période Biden visait à étendre et renforcer la présence et la puissance américaines par la mise en œuvre d’une « politique de l’hégémonie libérale », c’est-à-dire la promotion d’institutions libérales, du commerce multilatéral et des droits humains.

Trump, en revanche, « ne valorise pas » la démocratie et les droits de l’homme, mais plutôt les intérêts économiques dans la région, ainsi que les bénéfices et le prestige que le Cambodge peut apporter aux États-Unis — et à lui-même. C’est pour cette raison, dit-il, que le gouvernement cambodgien cherche à « plaire » à Trump, jusqu’à proposer sa candidature au prix Nobel de la paix.

« Si l’on regarde de près, Trump est celui qui a provoqué des déséquilibres dans l’ordre mondial, mais il semble finalement être encensé pour vouloir trouver la paix », ajoute-t-il.

Selon Ro Vannak, dans la ligne actuelle de la politique trumpienne, les États-Unis coopéreront avec le Cambodge lorsque cela présente des avantages, tandis que les droits humains et la démocratie pourraient revenir à l’agenda lors du prochain mandat présidentiel.

Il recommande toutefois au Cambodge, pour garantir une bonne coopération avec Washington, d’adopter pleinement les principes démocratiques, de renforcer l’état de droit, l’intégrité politique et de lutter contre la corruption et les arnaques.

 

Neutralité constitutionnelle

Sollicité par CamboJA News, le porte-parole du gouvernement Pen Bona a décliné tout commentaire, renvoyant à l’article 53 de la Constitution, qui stipule que le Cambodge poursuit une politique de « neutralité permanente et de non-alignement ».

Seoung Nimol

Avec l'aimable autorisation de CamboJA News, qui a permis la traduction de cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.

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