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SOCIAL - De l’usine au “beer garden”...

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 février 2018

 

 

De l'usine au "beer garden". La crise économique a mis à la rue des milliers d'ouvrières. De nouvelles venues dans le secteur du divertissement racontent leurs difficultés.

Des hôtesses attendent le client à l'entrée d'un beer garden (Sovan Philong)
Une foule de jeunes femmes lambinent devant l'entrée d'un 'beer garden'. Elles sont des hôtesses et attendent des clients. Leurs robes sont coupées court, et leur maquillage est savamment  appliqué sous leur chevelure sculptée. Nous sommes face à une scène typique de l'une des antres de la boisson de Phnom Penh. Pourtant une partie des femmes de cet établissement - et sûrement d'un nombre incalculable d'endroits similaires - sont fraîchement arrivées dans le secteur du divertissement.

Sorties d'usine
Selon des chiffres du Ministère du Commerce, la crise financière mondiale a entraîné, au Cambodge, la perte de 75.000 emplois dans le secteur textile entre septembre 2008 et octobre 2009. Les employées licenciées peinaient  à trouver une nouvelle place, aussi certaines ont accepté de travailler comme hôtesse et entraîneuse dans des beer gardens où le marché informel du sexe au Cambodge prospère au grand jour.

C'est exactement l'histoire qui est arrivée à Huon Chetra, 26 ans, après que l'usine textile qui l'employait ait fermé ses portes l'année dernière. Disposant de peu d'autres alternatives, elle a accepté une place d'hôtesse à Toul Kork. "La première semaine, j'ai été choquée que les hommes saouls harcèlent continuellement mes collègues. L'alcool aidant, ils désiraient nous toucher partout!", se souvient Huon Chetra, qui s'était sentie alors obligée de s'accommoder de ce genre de comportements. "Si j'avais essayé d'empêcher un client de me toucher, il se serait énervé et m'aurait repoussée", continue la jeune femme "et ensuite il m'aurait remplacée par une autre hôtesse. Ce genre de chose arrive à n'importe quelle femme qui travaille dans un beer garden !".

Huon Chetra affirme connaître les dangers du SIDA et être au courant de l'importance d'avoir des relations sexuelles en toute sécurité. Pourtant, la jeune femme  précise aussi qu'elle n'est pas toujours aussi prudente avec ses clients : "Parfois, quand le client est trop saoul, je ne demande pas à utiliser un préservatif". Elle poursuit : "Les dérapages qui arrivent ici ne sont pas surprenants ! Les consommateurs  viennent pour s'amuser et des hommes qui boivent ont envie de toucher une femme et de faire l'amour. Nous nous devons donc d'être 'divertissantes' pour les clients. Si nous les rendons heureux, ils reviendront encore et encore et le beer garden restera ouvert."

Des employés d'un beer garden montent sur scène (Phnom Penh Post)
Des chiffres et des bières

Le nombre d'anciennes employées du textile qui se sont laissées prendre dans l'engrenage du secteur du divertissement, reste vague. Une  mission réalisée l'année dernière par le projet inter agences sur le trafic humain des nations unies (UNIAP), a démontré qu'environ une femme sur 6 parmi les 357 hôtesses interviewées, étaient d'anciennes employées d'usines de textile. "Les salaires déclinent et les heures de travail augmentent", raconte le rapport, "cela conduit ces femmes à quitter leur situation  pour trouver des emplois mieux payés et aux conditions de travail plus favorables, quand bien même il s'agirait du secteur du divertissement."

Chea Mony, président du Syndicat Cambodgien des Travailleurs indépendants, affirme lui, que les syndicats ont entrepris des études pour mesurer dans quelle branche, les 75 000 employés licenciés ces deux dernières années,  se sont reconvertis.  Selon lui, il est très clair que nombre d'entre eux ont migré vers le milieu du divertissement. "J'en ai eu la preuve en parlant individuellement avec les travailleurs" déclare Chea Mony

Reconversion inquiétante
Mais le gouvernement  avoue également manquer de données sur le nombre d'anciennes employées du textile qui se retrouvent aujourd'hui dans l'industrie du sexe. Ros Seilavath, secrétaire générale adjointe de l'Autorité Nationale contre le SIDA annonce  déjà qu'avec ou sans chiffres, la situation actuelle, selon les professionnels de la santé, est alarmante: "Nous nous inquiétons qu'une migration de plus en plus importante de femmes en direction du secteur du divertissement, ne produise une épidémie de SIDA. Il est très difficile de leur permettre l'accès à des informations concernant le virus."

Enfin, des avocats, s'occupant du dossier des travailleurs du sexe, expliquent qu'il est devenu incroyablement difficile d'apporter à ces femmes de l'information vitale sur leur santé et de leur garantir l'accès aux efforts de prévention contre le SIDA. Les mesures sévères sont continues  à l'encontre des établissements typiquement associés avec l'industrie du sexe (salons de massages, bars de karaoké...). Aussi, les femmes sont de moins en moins disposées à s'appeler elle mêmes 'travailleuses du sexe', trop effrayées des conséquences potentielles. Cela rend donc laborieuse l'identification des filles touchées par le phénomène. "Il est difficile de savoir exactement d'où elles viennent" affirme Ly Pisey, une assistante technique engagée dans le Réseau des Femmes pour l'Unité, "mais bien sûr, il y a beaucoup de personnes sorties des usines de vêtements qui travaillent maintenant dans les karaokés et les salons de massage. Elles essayent juste de survivre !"

Pas de regrets
C'est aussi comme ça, que Bopha, 25 ans, s'est retrouvée à travailler comme hôtesse sur la capitale. L'usine de vêtements dans laquelle elle travaillait a fermé l'année dernière, la laissant sans aucune forme de revenus. Quand on l'interroge, elle affirme qu'elle préfère de loin travailler dans un beer garden qu'à l'usine, où les heures étaient interminables et le travail ennuyeux. "Je regrette pas mon changement de vie", déclare-t-elle ainsi, "je suis plus heureuse ici qu'à l'usine. J'ai le choix d'aller ou non avec un homme. Au final, la décision me revient toujours."

Les parents de Bopha ne savent cependant toujours  rien de la nouvelle occupation de leur fille. Elle explique son silence : "Je pense qu'ils seraient en colère. Beaucoup de gens s'imaginent que les femmes qui travaillent en tant qu'hôtesses sont des prostituées."

Vong Sokheng de notre partenaire The Phnom Penh Post
Traduit par MLT (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) lundi  14 juin 2010

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Publié le 12 juin 2010, mis à jour le 8 février 2018
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