Édition Cambodge

MUSIQUE - Him Sophy en symphonie

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 1 juillet 2013

Compositeur cambodgien majeur, son ?uvre Memory From Darkness, inspirée par sa vie et les atrocités qu'il vit durant la période Khmer Rouge, sera jouée en première mondiale à l'Intercontinental Phnom Penh le 3 juillet à 19h par le New York New Music Ensemble, de renommée internationale. Une soirée faisant  partie des concerts de l'amitié américano-cambodgienne organisés par l'ONG locale Cambodian Living Arts.

Comment êtes-vous devenu compositeur ?

Je viens d'une famille de musiciens, et petit je savais déjà jouer certains instruments avant d'avoir appris à en jouer à l'école. Dans les années 70, j'ai étudié le piano dans une école de musique de Phnom Penh avec des professeurs français remarquables, Mme George Denos et Mr Guy Alain Hayer. Ils m'ont marqué pour la vie et je me suis toujours souvenu d'eux, après qu'ils aient fuit le Cambodge en 1975 lorsque les Khmers Rouges marchèrent sur Phnom Penh.
De 1975 à 1979, sous le régime des Khmers Rouges, j'ai tout vu, et tout s'est imprimé dans ma mémoire. Cette période a eu beaucoup d'importance dans tout mon travail, et aujourd'hui encore. Lorsque je me remémore les atrocités dont j'ai été le témoin, les émotions remontent, et c'est cela que je veux exprimer à travers la musique. Certains compositeurs composent avec la tête. Moi, je compose avec le c?ur.

En 1979 et 1980, après la chute du régime génocidaire, j'ai composé de nombreuses chansons qui passaient alors à la radio tous les matins. Mais je n'avais pas encore appris les techniques de composition. Je m'estime très chanceux d'avoir eu l'opportunité d'apprendre la composition musicale à Moscou, avec les grands professeurs et compositeurs russes Konstantin Batashow et Roman Ledeniev. J'ai également étudié la musicologie et l'ethnomusicologie avec Professeur Yuri Kholopov jusqu'à l'obtention de mon diplôme du Conservatoire de Moscou en 1998. Je suis reconnaissant d'avoir pu acquérir toute cette expérience, qui m'a fait tel que je suis aujourd'hui. 

Cette expérience en Russie a-t-elle également influencé votre travail ?

Mes racines puisent dans la musique traditionnelle cambodgienne et la musique classique occidentale. Mais j'essaye de créer mon propre style, un style cambodgien, sans me laisser influencer. Evidemment j'apprécie le travail d'autres artistes. Debussy, Ravel, Berlioze, Bizet, Poulain, Schnittke, Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Tchaikovsky, Chopin, Liszt, Rachmaninoff... Je les estime tous. Malgré tout j'essaye de créer des ?uvres uniques, d'y mettre ma propre pate. Je souhaite que mon travail fasse sens pour tous les êtres humains.

Y a-t-il des messages à trouver dans vos ?uvres ?

Je m'adresse au c?ur des gens. Cela m'a pris huit ans pour composer Where Elephants Weep, le premier opéra cambodgien ! Il me semble que c'est le format juste pour mettre en lumière les problèmes dont je souhaitais parler : l'égalité des sexes, par exemple. À travers le personnage principal, une femme, je voulais montrer que les femmes peuvent et doivent être fortes ! Elle est jeune, libre, elle pense par elle-même sans prendre les lois traditionnelles pour des vérités inébranlables. Elle vit en accord avec ses propres principes, et c'est ce que je souhaite à tous. Bien sur Where Elephants Weep parle également de la société et de l'Histoire. L'histoire des orphelins montre à quel point les Khmers Rouges ont affecté notre société, comment ils ont installé la souffrance dans nos vies à tous, jusqu'aujourd'hui encore. Ayant moi-même fait l'expérience de diverses cultures, je voulais aussi montrer comment riches et pauvres ou cambodgiens et étrangers ont des approches différentes de la vie.

Pouvez nous en dire plus sur Memory From Darkness 

C'est la première composition que j'ai faite sur le génocide. Je l'ai écrite alors que j'étais encore étudiant, mais je l'ai écrite non en pensant à l'étudiant mais à l'artiste en moi. Je suis vraiment allé au fond des choses, j'ai accordé de l'attention à chaque petit détail de l'écriture. Cette ?uvre a été inspirée par les prisonniers, les travailleurs, les fermiers que j'ai côtoyés. Qui tous souffrirent de la famine. Qui tous attendaient la mort. La vie était un cauchemar, les gens avaient peur tout le temps. Ils savaient qu'un moment ou l'autre, des soldats Khmers Rouges viendraient pour les tuer ? ils ne savaient juste pas quand arriverait ce moment.

C'est dans ce contexte que j'ai créé Memory From Darkness, une pièce de 25 minutes pour piano, violon et violoncelle. Ce concert est important à mes yeux : ce sera une première mondiale, au Cambodge ! Je suis à la fois heureux et nerveux. Un compositeur ne peut jamais dire s'il est satisfait avant le concert, si les musiciens vont interpréter l'?uvre comme il le faut. Mon c?ur bat toujours très fort lorsque ma musique est jouée pour la première fois !

Travailler au développement des arts du Cambodge semble particulièrement important pour vous.

En l'honneur du jour de l'indépendance des USA le 4 juillet, Cambodian Living Arts et Intercontinental Phnom Penh Hotel présenteront les Concerts de l'amitié américano-cambodgienne (The Cambodian-American Friendship Concerts), au bénéfice de Cambodian Living Arts. Ces concerts auront lieu à l'Hôtel Intercontinental de Phnom Penh et ont pour but de célébrer les relations culturelles entre le Cambodge et les USA. Le programme consiste en deux groupes américains de première classe, qui interprèteront des ?uvres musicales américaines et cambodgiennes. Ces deux groupes se rendent exceptionnellement au Cambodge et ce sera la seule occasion pour le public de les voir!

Infos : www.cambodianlivingarts.org

Oui. Quand j'étais en Russie, j'ai écrit la première documentation sur la théorie de la musique traditionnelle cambodgienne. Je suis chanceux d'avoir ces deux racines : la musique traditionnelle cambodgienne et la musique contemporaine, universelle. C'est pour cela, je pense, que mon travail est différent : il est riche. Par exemple, j'ai composé A Bend In A River pour ensemble Pin Peat, dans le cadre de la création d'une pièce de danse contemporaine cambodgienne. Dans cette ?uvre, j'ai utilisé des polyphonies, empilant les couches d'accords les unes sur les autres. Cinq différentes mélodies sont parfois jouées en même temps ! Cela est très surprenant pour des gens qui viennent d'un milieu strictement traditionnel, mais je fais ce que je veux ! Cela n'est pas incorrect, c'est simplement nouveau. Si je me contentais de copier la façon de faire traditionnelle, je n'appellerais pas cela de l'art, ce serait juste de la copie.

Pour mon opéra Where Elephants Weep, j'ai arrangé les instruments Khmers pour les rendre chromatiques et les faire jouer avec des instruments occidentaux. Toute ma vie, je me suis efforcé de créer ma propre harmonie. C'est une harmonie assez difficile à jouer au piano, et certains musiciens l'ont même appelée « l'harmonie Apsara » !

Je pense que le développement des arts tels que l'Opéra et la musique dans un pays a un impact important sur la société. Il me semble que l'on transmet des idées plus efficacement à travers les arts qu'à travers un enseignement direct, car le vecteur des émotions rend l'échange plus fort. Quand vous allez au théâtre, vous oubliez tout le reste. Vous êtes entièrement captivé par la pièce qui se joue, et il est ainsi plus facile pour les artistes d'exprimer leurs idées et leurs émotions. Cela veut aussi dire que le public doit aiguiser son sens critique, car il y a de l'art bon et de l'art mauvais. Tout dépend de vos aspirations, du message vous essayez de délivrer.

A Bend In A River a été joué pendant le festival Season of Cambodia à New York. Que pensez-vous de cet événement?

Season of Cambodia a été une belle initiative. Je crois que le festival a eu un impact sur la société et la culture à la fois au Cambodge et aux Etats-Unis. Pour une fois, le Cambodge n'était pas à l'ordre du jour pour ses camps de la mort, mais pour sa riche culture ! J'ai beaucoup apprécié le fait que les différents aspects des arts cambodgiens aient été réunis dans cet événement unique. Je suis sûr que Season of Cambodia a eu un impact positif sur les arts cambodgiens.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je voudrais ouvrir une école de musique, ici au Cambodge. Je continue également de travailler sur mon Requiem, dont un extrait a été joué par le Metropolis Ensemble à Season of Cambodia. Un réalisateur américain m'a également commandé une chanson spéciale pour un film sur les camps de la mort du Cambodge. Bien sûr il va y avoir la production du CD Memory From Darkness avec Cambodian Living Arts, aussi. Et j'ai bien d'autres projets. Voyez-vous, j'ai toujours plus d'idées qui me viennent !

Propos recueillis par  Marion Gommard

 

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Publié le 28 juin 2013, mis à jour le 1 juillet 2013

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