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Amnesty dénonce les effets de la “guerre contre la drogue” au Cambodge

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Couverture du rapport d'Amnesty International sur les effets de la guerre contre la drogue au Cambodge.
Écrit par Pierre Motin
Publié le 14 mai 2020, mis à jour le 15 mai 2020

Un nouveau rapport d’Amnesty International publié le 13 mai tire un sombre bilan des trois ans de « guerre contre la drogue » au Cambodge.

Selon un rapport publié par Amnesty International le 13 mai 2020, la « guerre contre la drogue » menée depuis trois ans par le gouvernement cambodgien est responsable de multiples atteintes aux droits humains dans le royaume.

Amnesty International affirme que les autorités cambodgiennes s’en prennent aux personnes pauvres et marginalisées, procédant à des arrestations arbitraires, soumettant régulièrement des suspects à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, et enfermant ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter leur liberté dans des prisons où la surpopulation est un fléau et dans des « centres de réadaptation » où ils sont privés de soins médicaux et soumis à de graves atteintes aux droits humains.

Le premier ministre Hun Sen a lancé sa campagne antidrogue en janvier 2017, quelques semaines seulement après une visite d’État du président philippin Rodrigo Duterte, au cours de laquelle les deux leaders s’étaient engagés à coopérer dans la lutte contre les stupéfiants. Celle-ci ne devait au départ durer que six mois. En mars 2020, le ministre de l’Intérieur Sar Kheng a réclamé des poursuites en justice contre « tous les drogués et dealers dans les affaires de consommation et de vente de stupéfiants à petite échelle ».

« La “guerre contre la drogue” au Cambodge est un désastre sur toute la ligne. Employer des méthodes abusives pour sanctionner les usagers de drogues est une erreur – en plus d’être totalement inefficace », a déclaré Nicholas Bequelin, directeur de la région Asie pour Amnesty International.

Dans le cadre de ses investigations, Amnesty International s’est entretenue avec des dizaines de personnes affectées par cette campagne antidrogue au Cambodge. Elles ont expliqué être confrontées à deux systèmes parallèles de sanctions : certaines sont détenues de manière arbitraire, sans inculpation, dans des centres de désintoxication, d’autres sont inculpées au sein du système judiciaire pénal et envoyées en prison.

Sreyneang, une femme de 30 ans originaire de Phnom Penh, a raconté à Amnesty International qu’elle a été torturée après avoir été arrêtée de manière arbitraire lors d’une descente de police à Phnom Penh : « Ils m’ont demandé combien de fois j’avais vendu de la drogue… Le policier m’a dit que si je n’avouais pas, il utiliserait de nouveau son pistolet paralysant. »

Selon l’ONG de défense des droits de l’homme, les personnes arrêtées dans ce cadre ne sont pas soumises à un procès équitable et sont notamment condamnées sur la base de preuves minces et insuffisantes, et jugées lors de procès sommaires menés en l’absence d’avocats de la défense. 

L’une des personnes interrogées, Vuthy, n’avait que 14 ans au moment de son arrestation. Interpellé lors d’une opération de lutte antidrogue, il a indiqué avoir été battu par plusieurs policiers et inculpé de trafic de stupéfiants. Il a décrit l’enquête et le procès : « Je n’ai pas compris la procédure ni ce que signifiaient les différentes visites au tribunal. La première fois que j’ai compris ce qui se passait, c’est lorsqu’ils m’ont annoncé ma peine de prison. Personne ne m’a jamais demandé si j’avais un avocat et personne ne m’en a procuré un. »

Une « guerre contre la drogue » liée à la surpopulation carcérale

Pour Amnesty, la campagne de lutte contre les stupéfiants est la principale cause de la crise actuelle de surpopulation dans les prisons et les centres de détention au Cambodge. En mars 2020, la population carcérale avait augmenté de 78 % par rapport au début de la campagne de lutte contre les stupéfiants en janvier 2017, atteignant plus de 38 990 personnes. Le plus grand centre pénitentiaire du pays, le CC1 de Phnom Penh, accueille plus de 9 500 prisonniers, soit presque cinq fois sa capacité. Amnesty International a rendu publique le mois dernier une séquence vidéo qui montre une surpopulation extrême et des conditions de détention inhumaines.

 

 

Maly a raconté aux enquêteurs d’Amnesty International sa détention avec sa fille d’un an à la prison CC2, à Phnom Penh : « C’était tellement dur d’élever ma fille à l’intérieur. Elle voulait bouger, avoir plus d’espace, voir le monde extérieur. Elle voulait être libre… Elle avait souvent de la fièvre et la grippe. Du fait du manque de place, ma fille dormait généralement sur moi. » 

Bien que la population totale dans les centres pour toxicomanes au Cambodge ne soit pas rendue publique, Amnesty International considère que la surpopulation à l’intérieur de ces centres est tout aussi importante que dans les prisons.

L’ONG de défense des droits de l’homme considère que les multiples récits de violences physiques s’apparentent à des tortures et mauvais traitements commis par des surveillants ou par des « chefs de cellule » – des détenus chargés par le personnel de faire respecter la discipline.

Thyda, détenue au centre pour toxicomanes d’Orkas Khnom à Phnom Penh en 2019, a déclaré : « Cette [violence] tombait sur chacune d’entre nous et c’était normal. Ce type de violences faisait partie de la routine quotidienne, de leur programme. » Sarath a quant à lui raconté son premier jour dans un centre pour toxicomanes, où il a été envoyé à l’âge de 17 ans : « Dès que le gardien est parti, le chef de cellule s’est mis à me frapper. J’ai perdu connaissance, donc je ne me souviens pas de ce qui s’est passé ensuite. » Phanith, ancien chef de cellule, a déclaré avoir vu un détenu « enchaîné par les poignets et les chevilles pour qu’il ne puisse pas circuler. Et le chef du bâtiment l’a frappé comme ça, jusqu’à ce qu’il meure. »

Amnesty International souligne que l’approche répressive des autorités cambodgiennes vis-à-vis des usagers de drogues n’a pas atteint son objectif premier, à savoir faire reculer la consommation de stupéfiants. L’ONG reconnaît cependant que le ministère cambodgien de la santé a pris récemment de timides mesures positives en augmentant la disponibilité des traitements ayant fait leurs preuves, dans des structures de proximité.

Interrogé par Reuters à propos de la publication de ce rapport, un porte-parole du ministère de l’Intérieur cambodgien a affirmé que « durant les campagnes anti-drogues, il faut mettre les droits de l’homme de côté ». Le porte-parole a en outre démenti que la police cambodgienne procédait à des arrestations arbitraires.

 

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Publié le 14 mai 2020, mis à jour le 15 mai 2020

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