Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 1
  • 0

SERA - Un artiste et son hommage "A ceux qui ne sont plus là".

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 20 janvier 2014, mis à jour le 25 juin 2023

A la rencontre de Séra, artiste franco-cambodgien reconnu dont la « patte » s'exprime par différentes formes artistiques qui révèlent la palette des sentiments. De la Bande Dessinée à la sculpture, Séra nous ouvre les portes de son univers, un itinéraire qui transcende les frontières, tant physiques qu'artistiques, une quête de sens et d'identité. C'est un projet d'envergure qui ramène une nouvelle fois l'artiste dans le pays qui l'a vu naître, un Mémorial qui commémore la chute de Phnom Penh aux mains des Khmers Rouges le 17 avril 1975. «A ceux qui ne sont plus là », un hommage dont l'écho raisonne dans la mémoire collective du pays et de l'individu, une représentation de ceux qui ont disparu mais qui ne peuvent être oubliés.

Phoussera Ing, dit Séra, est né à l'hôpital Calmette de Phnom Penh en 1961, khmer par son père et français par sa mère, il effectue sa scolarité au lycée René Descartes jusqu'aux évènements dramatiques qui conduiront à son départ forcé en avril 1975. Le déracinement et la brutale séparation d'avec son père, qu'il ne reverra plus, sont un traumatisme, une lame portée au rouge insérée dans la mémoire de l'artiste. Après ses études, ses premières publications de bandes dessinées et expositions d'oeuvres picturales, Séra va revenir de plus en plus régulièrement au Cambodge. Il va notamment s'investir dans l'animation d'ateliers artistiques au Cambodge, en partenariat avec l'Institut Français en 1999, en 2005 et 2008, puis d'autres au centre Bophana en 2009 et 2011. Séra est, depuis 2012, le directeur pédagogique de l'école Phare Ponleu Selpak de Battambang et il demeure, de par ces activités, un acteur du renouvellement et de la diversité de la scène artistique cambodgienne. S'il s'exprime aujourd'hui par divers procédés artistiques, comme la peinture, la gravure et la sculpture, c'est par la bande dessinée que Séra s'est d'abord révélé.             



(Lendemain de cendre, crédits : Phoussera Ing)

Le jeune Séra dévore des revues de bandes dessinées et va s'en imprégner, commence alors  "l'immersion par les images et par le récit", "l'introduction et la compréhension du réel par l'imaginaire", pour reprendre ses mots. Des formules qui font sens et se trouvent illustrées par cette histoire : Au lycée français, il lui était expliqué les quatre saisons mais, étant né et vivant au Cambodge, il ne comprenait pas ce concept. C'est en se plongeant dans ses revues graphiques importées d'occident qu'il put s'approprier l'été, l'automne, l'hiver et le printemps. Le paradoxe est que l'enfant ramenait ses bandes dessinées à l'école alors que ce moyen d'expression, qui lui ouvrait les portes de la perception, y était prohibé. Séra contribuera ainsi bien malgré lui à la création de la première BDthèque du Lycée, mise sous clé dans le bureau du principal de l'établissement.

Depuis, bien du chemin a été parcouru, l'enfant a grandi, s'est construit dans la volonté de ne pas oublier d'où il venait, qui il était. L'artiste est aujourd'hui reconnu, à tel point que dans le numéro anniversaire de la revue  Art Absolument, publié en novembre 2012, Séra est élu comme l'un des "101 meilleurs artistes contemporains en France". 

(Crédits : Phoussera Ing)

 

Exode, souvenir et dualité

Dans nombre de ses bandes dessinées, Séra parle de la prise de Phnom Penh, de la fuite, de la peur, de ses interrogations et de son histoire qui est intrinsèquement liée à celle du Cambodge. "Il n'y a jamais nulle part où aller qu'en dedans", selon Doris Lessing* ; cette affirmation entre en résonance  avec des titres comme Impasse et Rouge, L'Eau et la Terre, Lendemains de cendre, autant d'oeuvres qui relatent une part de l'histoire d'un pays meurtri, qui peuvent également tordre le cou à certaines idées reçues.

L'artiste va explorer de nouveaux moyens d'expression, il va se faire peintre, plasticien, graveur et sculpteur. Séra est aujourd'hui au Cambodge pour travailler à un projet de mémorial, une oeuvre destinée à honorer la mémoire des victimes du génocide. Actuellement il n'y a pas de monument commémoratif à Phnom Penh, l'oeuvre, intitulée A ceux qui ne sont plus là, doit pallier ce manque, se veut une réalisation artistique et accessible qui caractérise "un passé qui ne passe pas"**. Ce projet aurait pour financement les dons de différentes institutions internationales (dont une importante contribution de l'ambassade de France), ainsi que ceux des communautés khmères de la diaspora. Le mémorial serait situé face à l'ambassade de France, un jardin accompagné de sculptures et de plaques commémoratives, ce lieu est hautement symbolique puisque c'est là qu'étaient réfugiés les derniers occidentaux encore présents au Cambodge suite à la chute de Phnom Penh aux mains des Khmers Rouges, le 17 avril 1975. C'est également depuis les fenêtres de l'ambassade de France que l'artiste vit ses compatriotes partir sur les routes, quitter leur foyer et, pour beaucoup d'entre eux, ne jamais y revenir. L'objectif serait de réaliser le mémorial pour le 17 avril 2015, soit 40 ans après la Chute de Phnom Penh sous le joug Khmer Rouge. Il faut souligner que ce projet a le soutien des avocats parties civiles dans le procès contre les dignitaires khmers rouges.

Pour Séra, la forme figurée du mémorial doit parler au plus grand nombre, au commun des cambodgiens. "La pratique artistique questionne". Pour l'artiste, elle est "un dialogue, une passerelle entre deux cultures, entre deux identités" et il lui faut en parler, "j'ai un besoin de m'exprimer sur ces sujets" dit Séra, une formulation qui n'est pas sans rappeler une phrase du philosophe Gille Deleuze dans sa conférence intitulée, Qu'est-ce que l'acte de création ?, "Il faut qu'il y ait une nécessité, sinon il n'y a rien du tout".

L'agenda de Séra

De nombreux projets et expositions de l'artiste vont voir le jour, aussi bien au Cambodge qu'en France. Parlons en premier lieu des deux grandes toiles exposées depuis mercredi 15 janvier dans le hall de la chancellerie de l'Ambassade de France au Cambodge, elles sont installées pour 6 mois.

Dans le cadre de sa collaboration avec Julianne Sibiski, Séra va également exposer à Vannes (Morbihan) et publier un recueil de poésies, "A Thing Of Smoke", où il doit illustrer les pages de poèmes rédigés en trois langues, le français, l'anglais et le khmer.

Une exposition consacrée aux bandes dessinées de Séra ouvre en avril 2014 à la galerie Oblique, située à Paris, dans le 4e Arrondissement.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur Séra et ses ?uvres, il vous est possible d'entrer en contact avec son agent, Céline Bagot, de l'agence MCConsulting :celine.bagot@mc-consulting.fr

*Doris Lessing, femme de lettre et prix Nobel de Littérature 2007.

**Formule des historiens Henri Rousso et Eric Conan à propos du régime de Vichy dans l'histoire de France.

Quentin PANNIER (lepetitjournal.com/Cambodge), le 20 janvier 2014

SyzMrqo__400x400
Publié le 20 janvier 2014, mis à jour le 25 juin 2023

Flash infos