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SAISON FRANCE/ROUMANIE - A la découverte "des poésettes" de Radu Bata

Radu bata poète poésettesRadu bata poète poésettes
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 11 avril 2019, mis à jour le 11 avril 2019

A l'occasion de l'ouverture de la saison France-Roumanie à Bucarest, le 19 avril prochain, la librairie Kyralina accueillera le poète franco-roumain Radu Bata accompagné du chanteur Pierre Donoré qui prépare une tournée en mai dans tout le pays. Nous l'avons donc rencontré pour lui demander qu'est-ce qu'être poète de nos jours? Comment naviguer entre nos deux cultures? Amoureux de la langue française, il faut savoir que Radu a également été professeur de français jusqu’en 1990 en Roumanie, date à laquelle il quitte son pays pour s'installer en France et y enseigner le français, le journalisme et animer des ateliers d’écriture. "Les poésettes" de Radu Bata ont déjà rencontré un franc succès : le recueil "Le Philtre des nuages et autres ivresses" a été lauréat du prix du Salon du Livre des Balkans (Paris, 2015). Il revient aujourd'hui avec un tout nouveau recueil "Survivre malgré le bonheur".

 

 

Je suis à la lettre la marche des nuages : lexicopathe, je suis un voyageur de l’imaginaire qui ne guérit pas. Radu Bata

 

 

LePetitJournal.com de Bucarest: Le titre de votre recueil s’appelle «Survivre malgré le bonheur». Pensez-vous qu’il soit possible de créer tout en étant heureux et pleinement accompli ?

Radu Bata: Je ne suis pas sûr que l’homme puisse être heureux et pleinement accompli, il lui restera toujours une aspiration vers d’autres cieux qui peut être suffisante pour un déclic. Mais si la félicité totale lui arrive, il lui faudrait des tonnes de sagesse pour être inventif. Le cliché veut qu’on soit créatif dans la souffrance, «les plus désespérés sont les chants les plus beaux» nous assénait Musset. Je crois qu’il y a un «open space» entre ces deux extrêmes et qu’on peut cultiver son jardin artistique sans être très malheureux.

 

 

Dans votre poème «Histoire à dormir debout», on sent une certaine mélancolie due à votre départ en exil. Est-ce douloureux pour vous d’avoir quitté votre pays, la Roumanie, et si oui pourquoi êtes-vous parti ?

L’exil est sur l’échelle des catastrophes tout en haut du podium, c’est comme le décès de l’être aimé bonifié par la perte de soi ; on tombe de la carte des vivants de chair pour devenir zombie galactique. Je suis parti en juillet 1990, après la descente des mineurs sur Bucarest à la demande des putschistes menés par Iliescu. Leurs massacres, conjugués aux manipulations télévisuelles, m’ont fait perdre l’espoir d’une démocratisation réelle en Roumanie, m’ont chassé de ma maison.

 

 

Comment percevez-vous la Roumanie d’aujourd’hui à distance ? Vous inspire-t-elle encore ?

La Roumanie d’aujourd’hui me semble dynamique et pleine de promesses grâce aux nouvelles générations, ouvertes sur le monde. Malheureusement, aux manettes du pays, beaucoup de politiciens sont touchés par des affaires de corruption. Cette classe de parlementaires et gouvernants médiocres qui ne sait même pas parler bien le roumain mais s’est acheté des diplômes et des propriétés géantes sur le dos de l’état est une honte sur le front de la Roumanie.

 

 

La poésie est en sérieux recul de nos jours, les nouveaux poètes sont très peu édités et la réception du public souvent frileuse. Croyez-vous encore à un avenir possible pour la poésie ?

Dans les civilisations néolibérales où la culture devient produit et tout est régulé par le rendement, la part de rêve se réduit en peau de chagrin. Mais la poésie a plus d’un tour dans son sac : elle peut faire des étirements pour se dégourdir l’anatomie, renoncer à quelques conventions pour raviver ses convictions, revenir les pieds sur terre tout en marchant la tête dans les nuages, prendre des vacances pour échapper à la mort. Et alors elle s’appelle «poésette».

 

 

Justement comment pourriez-vous définir ce terme à nos lecteurs ?

La poésette est «un poème sans prise de tête». C’est une espèce hybride du genre lyrique qui ne se prend pas très au sérieux : elle est joueuse, irrespectueuse, amoureuse des mots et des nuages, elle peut danser sur une jambe avec un alexandrin de 10 syllabes… La poésie est une mariée sublime, une merveille sanctifiée, la poésette est une poupée faite de matières recyclables, prête à t’aimer pour ce que tu es. Parfois, avec un peu de chance, il semble que je réussis à donner vie à la poupée, comme Geppetto à Pinocchio. Mais elle ne se montre qu’à celles et ceux qui la lisent entre les lignes.

 

 

Dans votre poème intitulé «Métèques» vous parlez des allers-retours que vous faites entre les deux langues, le roumain et le français. Justement, en quoi cela change-t-il votre manière de ressentir et de décrire les choses?

Quand on est intensément habité par deux langues, c’est un remue-ménage permanent : on se réveille avec un mot roumain francisé sur la langue, après un rêve franco-roumain, on mélange les plats et les phonèmes, on saute d’un pays à l’autre comme on changerait de jambe, etc. C’est un tour de passe-passe linguistique qui te fait vivre deux fois. Je décris cet état bicéphale dans mon livre «Mine de petits riens sur un lit à baldaquin».

 

 

Que pensez-vous de toutes les propositions du gouvernement français pour rendre la langue française plus accessible et «cool»?

La langue ne se décrète pas, elle fait son petit bonhomme de chemin par-delà les décisions politiques. Je ne connais pas toutes ces propositions, mais j’ai noté et je salue le désir d’améliorer l’expression écrite des jeunes : à ce niveau, on peut intervenir, accordant, enfin, la place et les moyens nécessaires qui ont, à l’évidence, fait défaut ces dernières décennies. Pour pouvoir faire aimer et rayonner le français dans le monde, il faudrait d’abord l’aimer soi-même, sans conditions.

 

 

Pour finir, parlez-nous de ce que la France vous a apporté dans votre parcours personnel.

Dès l’enfance, la France m’a ouvert les bras de son dictionnaire ; mes parents étaient francophones. C’est, bien sûr, une renaissance que d’exister en français après avoir vécu dans une autre langue. Et il n’y a rien de plus beau que de renaître. Même si on le fait dans la douleur, contre la langue du cœur, contre la langue qu’on aime par tous les pores : la langue maternelle. La Roumanie m’habite, elle est en moi, bien que je m’en éloigne chaque jour un peu plus. Mais je pourrais habiter aujourd’hui n’importe où sur le mappemonde, je vivrai toujours dans le siècle des Lumières. Il m’éblouit encore.

 


propos recueillis par Grégory Rateau

 

radu bata

Le livre pourra être commandé dans toutes les librairies françaises ; il peut déjà être acquis sur http://www.jacques-andre-editeur.eu/web/ouvrage/380/+Survivre+malgr%C3%A9+le+bonheur.html Ce printemps, il sera disponible aussi à la Librairie française de Bucarest Kyralina lors de la fameuse rencontre : https://www.facebook.com/events/802009283488726/
 

 

 

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