Notre rédaction est allée à la rencontre de Romain Giudicelli, un jeune Français aventureux passionné par la Roumanie et par son côté sauvage et authentique. Après s'être formé avec les artisans traditionnels de Transylvanie pour se reconvertir dans la maçonnerie dite à "pierre sèche", Romain et sa compagne roumaine Irina pourraient revenir s'installer définitivement en Roumanie.
Il y souffle encore un vent de liberté, de courage, de générosité et d'intelligence qui me semble relativement absent en Occident.
Grégory Rateau: Pouvez-vous vous présenter?
Romain Giudicelli: Je vis actuellement en France, maçon du bâti ancien, après une formation professionnelle en restauration du patrimoine terminée en Juin 2022. Je me spécialise de plus en plus dans la maçonnerie dite "à pierre sèche" (c'est à dire sans mortier), cette activité étant celle qui me passionne le plus dans l’éventail des spécialités du bâti vernaculaire, tant pour des raisons d'affinités avec le matériaux, la pratique en elle-même, que pour des motifs intellectuels, écologiques, voire spirituels. C'est une pratique à travers laquelle pourrait se recréer un peu, d'une certaine manière, un lien avec des modes de vie ruraux que nous avons oubliés, et qui pourrait remettre un peu de continuité historique dans notre univers moderne très décousu. J'en fais le vœux en tout cas.
Comment vous est venue cette passion pour la maçonnerie ?
Il s'agit de qu'on appelle communément une "reconversion professionnelle", après un parcours dans le monde du dessin et du graphisme. J'ai en effet fait mes étude à l’École Supérieure de l'Image d'Angoulême et me destinais il y a 15 ans de cela à être dessinateur de bande dessinée et/ou illustrateur. J'ai terminé l'école en 2008 et puis j'ai mis la bande dessinée de côté pour travailler en tant que graphiste et web-designer par la suite. Faire sérieusement de la bande dessinée est vraiment une activité de moine-copiste, et il faut avoir en soit cette capacité à demeurer des journées entières dans la solitude de sa chambre. La passion du trait et du dessin est cependant restée, et je compte bien réaliser un jour prochain un recueil de dessins à propos de la Roumanie.
Pourquoi êtes-vous venu découvrir la Roumanie? Qu'est-ce qui vous a le plus parlé?
J'ai mis pour la première fois les pieds en Roumanie en Mai 2018, pour rejoindre mon ex-compagne roumaine, que j'avais rencontrée quelques mois plus tôt en France. Une histoire qui s'est clôturée en 2019 mais qui m'a mis le pieds à l'étrier, m'a donné toute la motivation nécessaire pour apprendre le roumain et désirer me faire une place dans le pays. La découverte de la culture dite "traditionnelle" roumaine (spécialement en ce qui concerne le travail du bois) a été un vrai tournant. J'avoue volontiers, sans être passéiste, et en assumant une part d’attrait pour un certain exotisme, que c'est bien plus cette Roumanie là qui me parle, l'univers culturel paysan concret et symbolique, plutôt que la Roumanie qui s'engouffre dans les nouvelles technologies et la vénérations des marchandises. Les choses évoluent aujourd'hui très rapidement et la décennie qui vient sera décisive en ce qui concerne le destin culturel de la Roumanie. Le pays saura-t-il faire vivre et renouveler sa culture spécifique et authentique ou cette dernière sera-t-elle muséifiée comme c'est le cas pour la plupart des cultures régionales d'Europe de l'Ouest ? Pour cela il ne suffit pas simplement de conserver les choses en l'état, mais il faut encore comprendre et aimer l'assise spirituelle et anthropologique qui, en association avec la géographie, a donné naissance à un répertoire de formes, de couleurs, de sons, et d'activités humaines.
Pourquoi y être resté ensuite pour vous former, pour y travailler?
Je suis resté par la suite en Transylvanie par goût pour l'aventure, pour des raisons intellectuelles, spirituelles mais aussi d'affinités. J'y ai rencontré les personnes les plus inspirantes qu'il m'ait été donné de croiser jusque-là, dont ma compagne actuelle Irina. Il y souffle encore un vent de liberté, de courage, de générosité et d'intelligence qui me semble relativement absent en Occident. Ce qui m'a le plus frappé en Roumanie c'est justement cette résistance et l'humour de beaucoup face à des situations qui laisseraient de nombreux occidentaux dans la détresse.
J'ai voulu faire fructifier mon séjour entre 2018 et fin 2021 autant que possible et c'est pour ça que j'ai amorcé ma reconversion professionnelle là-bas, en travaillant en tant qu'apprenti menuisier sur Sibiu, puis sur des chantiers de construction de maisons à ossature bois en tant que manœuvre, dans le Maramures, puis dans les environs de Brasov. J'ai aussi un peu travaillé, après la parenthèse du Covid, pour une petite entreprise fabriquant des produits à base de plantes médicinales. C'est vraiment en Roumanie que j'ai ressenti la nécessité de m'orienter vers un travail manuel qui me donnerait la possibilité d'être moins dépendant de l'environnement urbain. Et fin 2021 je suis reparti en France pour me former à la maçonnerie du bâti ancien, en Provence.
Un aspect de la Roumanie qui vous a surpris lors de votre séjour?
La survivance dans les campagnes de modes de vie basés essentiellement sur les ressources locales et ancrés dans une culture authentique, riche de sens, est ce qui me semble le plus précieux. Il y a tout un mouvement, sans doute assez confidentiel, mais bien réel, de jeunes Roumains, viscéralement liés à ce monde rural, préoccupés par la réception et la transmission de savoir-faire artisanaux ou agricoles, et qui ont compris que tout ces savoirs et ces trésor naturels constituent leur richesse et leur avenir. L’héritage culturel et architectural et leur diversité est aussi une préoccupation, et on assiste notamment à la formation de collectifs bénévoles de sauvetage et de restauration du patrimoine.
Des rencontres marquantes ?
J'ai fait de très belles rencontres, comme celle de Raluca Olaru pour qui j'ai travaillé un temps dans son projet Hodaia, et qui conçoit des produits à bases de plantes médicinales. En plus de l'énorme travail que Raluca fournit sur la collecte des pantes, la réactualisation de savoir-faire anciens et les processus de transformation dans son laboratoire, elle est aussi impliquée dans des démarches de sauvetages de maisons traditionnelles. J'ai aussi travaillé sur quelques maisons à ossature bois et notamment une dans le Maramures avec Lucian Lupse de l'ONG Baza Ulmu. J'ai été frappé par la gentillesse, la force de caractère, la détermination et le grand sens pratique de toutes les personnes que j'ai pu rencontrer.
Des projets?
Je suis actuellement toujours en Provence, avec ma compagne Irina qui m'a rejoint. Je cherche encore à progresser dans le domaine de la pierre sèche, avec en tête l'idée de revenir très prochainement en Roumanie. Mon interrogation du moment étant de savoir s'il serait possible de développer une activité en pierre sèche là-bas, suffisante pour faire vivre une famille. La Roumanie n'est pas un pays européen où la pierre sèche s'est beaucoup développée, y a-t-il une clientèle pour ça ? Je vais commencer une petite enquête auprès d'amis et de connaissances.