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"Le blues roumain", anthologie de la poésie roumaine avec Radu Bata

Le Blues Roumain Radu Bata poésie roumaineLe Blues Roumain Radu Bata poésie roumaine
Écrit par ARTA GRAFICA
Publié le 22 juin 2020, mis à jour le 5 novembre 2020

Le poète et traducteur franco-roumain, Radu Bata, nous revient avec une anthologie de la poésie roumaine traduite et initiée par ses soins, Le blues roumain, publiée aux Editions Unicité. Un pont entre le passé et le présent de la poésie roumaine à ne surtout pas manquer.

 

 

Grégory Rateau: Tout d'abord, pourquoi avoir choisi de réunir ces poètes roumains de générations et de notoriétés différentes dans cette anthologie de la poésie roumaine ? Quels ont été vos critères pour sélectionner ces poètes ?

Radu Bata: Je n’ai pas eu un plan, une stratégie pour réunir les 57 auteurs de cette anthologie. Elle est le fruit du hasard des rencontres sur les réseaux sociaux : quand des vers vus çà et là faisaient tilt en moi, je les transférais en français, sans penser hiérarchies, époques ou livre à faire, je les traduisais par plaisir. Mon ressenti a été un facteur clé de la sélection. On verra si le hasard a bien fait les choses dans le cas de « Le blues roumain ».
 

 

Le passage d'une langue à une autre ne dénature-t-il pas la force des images ?

Oui, bien sûr, il y a toujours ce risque, surtout dans la poésie, porte ouverte à mille interprétations. J’ai néanmoins essayé de transposer en français la plupart des vibrations initiales, de construire parfois d’autres ressorts qui entraînent à peu près les mêmes émotions, de trouver des équivalences aux connotations roumaines, de faire traverser l’Europe aux images casanières, de reproduire la prosodie où cela a été possible… Bref, de faire un recueil qui semble écrit directement en français.
 

 

À l'heure où les librairies sont mises à mal par la crise sanitaire et économique, comment redynamiser la vie des livres en général ?

Pendant les dernières décennies, la vie des livres a été de plus en plus affectée par le virus de la marchandisation. Tant qu’ils seront imposés comme produits, conditionnés par le marketing et la rentabilité, promus dans les grands médias par des arrangements « économiques », les livres perdront, à quelques rares exceptions, de leur attrait d’autrefois. Un renouveau pourrait venir des petits éditeurs indépendants, de l’autoédition. J’y crois plus que dans les gros éditeurs professionnels. L’artisanat littéraire a plus de chances de nous étonner.
 

 

Ana Blandiana le disait très bien dans l'une de nos précédentes interviews : durant le communisme, la poésie avait une toute autre puissance subversive. Qu'en est-il aujourd’hui ?

Sous la chape de plomb du communisme de type soviétique (nationaliste, populiste, mafieux) qui a sévi chez nous, la subversion était un bol d’air, une fenêtre ouverte dans une prison. Aujourd’hui, on peut encore être subversif car les temps s’y prêtent : il y a d’autres formes de totalitarisme, plus subtiles et nuancées, dans des pays aux armoiries démocratiques. Des nationalismes maquillés aux populismes de l’extrême centre il n’y a qu’un pas. Dans ce contexte, la subversion a de beaux jours devant elle.
 

 

Lit-on toujours autant de poésie de nos jours ?

La lecture traditionnelle est en recul : les nouvelles technologies ont transformé notre rapport aux signes écrits. Et les grands poètes engagés, dégagés de toute obligation, qui marquent la société, manquent cruellement aujourd’hui. Pourtant, je crois que la poésie connaît un regain d’intérêt : la mécanisation excessive de la vie pousse à la songerie, à des échappatoires. Le « toujours plus » de la productivité a ce bon côté : les gens en ont marre, ils ont besoin d’un ailleurs, d’un retour à la nature et à l’enfance, aux images qui font rêver. Le refuge dans l’imaginaire est une planche de salut. Nous ne serons jamais des robots dans le monde digital qui nous happe.
 

 

Vous êtes aussi poète et vous définissez votre travail avec une pointe de second degré : « les poésettes sont des poèmes sans prise de tête ». Ne pensez-vous pas, au contraire, que la poésie est une affaire très sérieuse et son avenir des plus préoccupants ?

Non, à mon avis, la poésie n’est pas une affaire et quand elle devient une affaire sérieuse, elle rate sa raison d’exister. Faire carrière comme poète est un non-sens, c’est faire partie du système qui a mis la poésie au ban, dans un coin invisible en librairie, un système qui condamne la poésie aux résultats financiers pour lui accorder une place. Moi, j’essaie modestement, avec mes poésettes qui, justement, ne se prennent pas très au sérieux, de la faire revenir dans le quotidien des jeunes et de monsieur et madame Tout-le-monde.
 

 

Vous vous êtes également associé à des musiciens comme Pierre Donoré pour présenter votre travail poétique. Pourquoi mélanger différentes disciplines artistiques ? La poésie ne se suffit-elle pas à elle-même ?

La musique et la poésie vont bien ensemble. Ce sont des arts à part mais des arts jumeaux. Avec Pierre Donoré et Jean-Christophe Prince, deux interprètes-compositeurs qui ont fait des merveilles à partir de mes poésettes, nous lançons fin juin chez Libris un album intitulé « Les enfants des nuages ». La poésie peut vivre seule mais elle se bonifie quand elle se met en couple. Et en polyamour, elle se transcende : notre CD est illuminé par les illustrations originales de l’artiste-peintre Rodica Costianu.


 

Pensez-vous que la poésie contemporaine est assez valorisée dans les écoles roumaines et françaises ?

Je ne connais plus très bien le cursus des écoles roumaines : je suis parti de Roumanie en 90 et jusqu’alors les « poésies » qui vantaient le parti, le travail et le Génie des Carpates étaient légion (les poèmes sans touche politique se comptaient sur les doigts d’une main). Dans l’Hexagone, les manuels sont en décalage avec la contemporanéité, ils abondent en vieux textes lyriques devant lesquels les élèves sont souvent largués. Attention, j’adore les vieux textes lyriques mais pour pouvoir les faire apprécier, il faudrait, avant, faire étudier des poèmes plus proches en temps et perceptions.


 

Pour finir, comment pourriez-vous définir en quelques mots la couleur de la poésie roumaine d'hier et d’aujourd’hui ?

Hier, arcs-en-ciel, aujourd’hui, multiplication et subtilités chromatiques obligent, nuancier d’imprimerie.

 

Propose recueillis par Grégory Rateau

 

 

 
Amoureux de la langue française, il faut savoir que Radu a également été professeur de français jusqu’en 1990 en Roumanie, date à laquelle il quitte son pays pour s'installer en France et y enseigner le français, le journalisme et animer des ateliers d’écriture. "Les poésettes" de Radu Bata ont déjà rencontré un franc succès : le recueil "Le Philtre des nuages et autres ivresses" a été lauréat du prix du Salon du Livre des Balkans (Paris, 2015) suivi par "Survivre malgré le bonheur".
Radu Bata nous revient aujourd'hui avec "French kiss", chez LIBRIS EDITORIAL. A découvrir ici

 

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