Anglais d’origine bengali, auteur de romans policiers historiques multiprimés, Abir Mukherjee était invité à Lyon fin mars aux Quais du Polar parmi 125 auteurs de 18 nationalités.
Abir Mukherjee, un "british-indian" intéressé par l'histoire de l'Inde britannique
Nous avons pu poser quelques questions à Abir Mukherjee entre deux signatures et rencontres littéraires. Chaleureux et communicant, il nous a fait partager son parcours, son intérêt pour l'histoire et plus particulièrement celle de l'Inde britannique et sa vision de la France et des Français.
lepetitjournal.com : Que pouvez vous dire de votre parcours ?
Abir Mukherjee : Mes parents, originaires de Calcutta, se sont installés en Ecosse, peu de temps après ma naissance à Londres. Mon père, professeur de comptabilité dans un collège, était un homme cultivé avec des talents littéraires dont témoigne la publication d’un recueil de ses Nouvelles en bengali.
Après mes études à la London School of Economics, j’ai travaillé dans la finance, ce qui me permettait d’aller régulièrement pour mon travail à Delhi et Bombay et pour les vacances à Calcutta.
Puis en 2014, à l’aube de la quarantaine, je me suis lancé dans l’aventure littéraire à laquelle je rêvais. Je me suis présenté à un concours de polars organisé par le Daily Telegraph : le texte devait comprendre 5000 mots ainsi que le synopsis complet du livre. Et à ma grande surprise, j’ai gagné le Prix avec le manuscrit qui était le début de mon premier roman A Rising Man publié en 2016.
Récompensé par de nombreux prix dont juste avant le Brexit, celui du Meilleur polar européen 2020, A Rising man a été traduit en 15 langues dont le bengali et le français ( L’attaque du Calcutta-Darjeeling ).
L’Attaque du Calcutta - Darjeeling est le premier volume d’une série de cinq livres qui ont en commun un duo d’enquêteurs, l’un anglais le capitaine Sam Wyndham qui a fait la guerre de 14/18 et l’autre indien le sergent bengali Banerjee. La série se situe à l’époque coloniale du Raj, l’empire britannique : le premier se passe en 1919 et les 4 volumes suivants dans les années 1920 à 1923. Pourquoi ce choix ?
Je me suis intéressé à l’histoire de l’Inde britannique qui est aussi la mienne. Le roman historique permet de mettre en lumière une histoire alternative à celle créée par les Anglais. Et l’histoire correspond aussi à une recherche d’identité, les deux détectives étant une part de moi-même qui suis un "british-indian".
Ecrire est aussi pour moi une thérapie.
Sam, l’enquêteur anglais, devait avoir vécu l’expérience de la première guerre mondiale pour comprendre que ses supérieurs n’étaient pas toujours fiables. Et en Inde a eu lieu en 1919 le massacre d’Amritsar qui est considéré comme un des évènements ayant entrainé la chute du Raj britannique. C’était donc un bon début pour le livre.
Les faits historiques en toile de fond de vos romans sont ils réels ? Par exemple, la rencontre entre Subhash Chandra Bose et Chittaranjan Das que l’on découvre dans Avec la permission de Gandhi, a t-elle existé ?
Tout à fait. Pour tous mes romans, j’ai fait des recherches dans de nombreuses archives à Calcutta. Chittaranjan Das a réellement convaincu Subhash Chandra Bose à son retour de Londres, après sa formation à l’ICS, de rejoindre les forces pour l’indépendance de l’Inde. Et bien sûr, la suite de l’action de Bose n’est pas vue de la même manière par les Anglais et les Indiens. Mais Netaji Subhash Chandra Bose n’était pas fasciste.
Notre histoire est celle du colonialisme avec la famine de 1943 qui a tué 3 millions de personnes au Bengale par la faute de Churchill. Pour les Européens, la réalité de la deuxième guerre mondiale est différente et il faut connaitre les deux côtés de l’Histoire.
Cette série de 5 livres Wyndham and Banerjee Mysteries étant terminée, quels sont vos projets littéraires ?
Mon prochain livre va sortir en 2024. C’est un thriller qui se passe aux Etats Unis avec trois personnages : un Bengali, une femme blanche américaine et un Bangladeshi qui cherchent leurs enfants avant qu’une attaque terroriste ne soit commise.
Et je voudrais vraiment écrire un livre sur la période de la famine au Bengale en 1943.
Le français, la France et vous ?
J’ai appris le français deux ans au lycée et j’ai presque tout oublié. Mais j’ai un lien ancien avec la France car, avec mes parents, nous y venions tous les deux ans en vacances, en alternance avec le Bengale. Et mon père appréciait tout particulièrement Nice et la Côte d’Azur. Nous prenions un ferry pour traverser la Manche puis le train … Enfant, je rêvais de vivre en France et j’ai toujours cet amour pour la France dont j’apprécie l’art de vivre et la culture.
Mais la France n’est pas égalitaire comme elle l’affiche. Les discriminations et le racisme peuvent exister bien sûr en Grande Bretagne, mais par exemple, on ne voit que des visages blancs sur les chaines d’information à la télévision française contrairement à la Grande Bretagne.
Les Français semblent penser que leur culture est exclusive « ceci est français (ou ne l’est pas)».
En Grande Bretagne, la culture est devenue beaucoup plus « inclusive ». Par exemple, si on me demande d’où je viens, je peux répondre que je suis écossais, alors qu'il y a 20 ans, on m’aurait demandé avec insistance d’où vraiment j’étais originaire.
Mon plus jeune fils âgé de 8 ans n’a jamais expérimenté le racisme et m’a demandé récemment s’il était indien. A domicile, nous parlons anglais : ma femme, Indienne originaire d’Afrique du sud parle le gujarati et je n’ai pas transmis le bengali à mes enfants.
« British » est un très bon mot car il peut être associé à beaucoup d’autres, comme « irish-british, welsh-british, british-indian, british-bengali » etc., ce qui signifie que nous avons quelque chose en commun et aussi quelque chose d’unique.
Bien sûr , il y a toujours quelques racistes mais pour la majorité des Anglais, cette « britishness », cette britanicité, est identique pour un « british-indian » à celle d’un « welsh-british » par exemple.
Dans ce contexte, avoir un premier ministre d’origine indienne comme Rishi Sunak ne pose aucun problème alors que cela parait impossible en France. Et même si je ne partage pas ses choix politiques, je suis très heureux que quelqu’un qui me ressemble occupe ce poste et c’est aussi un très bon signe pour l’avenir de mes enfants.
Actuellement, être britannique issu de l’immigration semble plus facile qu’être enfant d’immigré en France.
Les romans policiers d'Abir Mukherjee
Grand héritier de la culture bengalie et de sa tradition du « adda », Abir Mukherjee aime discuter de littérature et de politique. Et grâce à son talent, il nous fait découvrir avec précision et humour, la version indienne de l’Histoire de l’Inde coloniale de 1919 à 1923, à travers 5 romans policiers dont 4 sont déjà traduits en français.
La série Wyndham and Banerjee Mysteries met en scène un duo d'enquêteurs : le capitaine Sam Wyndham, ancien inspecteur de Scotland Yard qui a fait la guerre de 14/18 dans les tranchées et le sergent Banerjee, brahmine bengali diplômé de Cambridge. Très vif d’esprit, il a pour prénom dans la version anglaise Surendranath avec Surrender-not comme surnom et en français, le prénom Satyendra abrégé en Sat qui signifie la vérité.
Pour Abir Mukherjee, « le cadre historique permet de mettre en lumière d’une part les zones d’ombres de l’histoire indienne et aussi des similitudes avec l’actualité » , comme la peur de l’étranger dans Le Soleil rouge de l’Assam, à l’image de celle qui a généré le Brexit.
Dans ses romans, les victimes sont des personnages dont Abir Mukherjee est en désaccord avec les actions ou les objectifs. Par exemple, une des victimes dans « L’Attaque du Calcutta-Darjeeling », a pour nom Macaulay. Ce nom rappelle celui du responsable de l’enseignement à l’anglaise en Inde qui a été imposé au détriment de la culture et des langues indiennes.
L’ATTAQUE DU CALCUTTA-DARJEELING
A Rising Man Ed Harvill Secker 2016
Historical Gold Dagger Award 2017
Ed française Liana Levi 2019 Gallimard Folio Policier 2020
Prix du polar européen 2020
Dans ce premier livre qui se situe en 1919, le capitaine Wyndham nouvellement muté à la Police de Calcutta doit, avec l’aide du sergent Banerjee, enquêter sur le meurtre d’un haut fonctionnaire britannique. Peu de temps après se produit une attaque du train postal Calcutta - Darjeeling.
Calcutta, centre de tous les mouvements culturels et politiques, n’est plus la capitale des Indes britanniques mais les mouvements indépendantistes s’y intensifient, sur fond de corruption du pouvoir colonial et de moiteur tropicale caractéristique du Bengale.
LES PRINCES DE SAMBALPUR
A Necessary Evil Ed Harvill Secker 2017
Ed française Liana Levi 2020
Gallimard Policier Folio 2021
Nous retrouvons le duo d’enquêteurs Sam le britannique et Sat l’indien en 1920, témoins du meurtre par un fanatique hindou, du Prince Adhir, héritier du trône du Maharaja de Sabalpur. Situé dans l’Orissa, le petit royaume que le Prince Adhir cherchait à moderniser, est connu pour ses mines de diamants et ses chasses au tigre. Et l’année 1920 est celle de l’établissement de la Chambre des Princes, institution crée pour fournir un lieu spécifique aux dirigeants des états princiers indiens jusque là ignorés par le gouvernement colonial.
AVEC LA PERMISSION DE GANDHI
Smoke and Ashes Ed Harvill Secker 2018
Ed française Liana Levi 2022
Gallimard Folio policier 2023
En s’échappant d’une fumerie d’opium, le capitaine Sam Wyndham, qui espère garder secrète son addiction, découvre sur son passage le corps d’un chinois porteur de blessures inhabituelles. Mais la survenue d’un autre meurtre avec des blessures similaires lui permet d’enquêter avec le sergent Sat, ces assassinats les menant à d’étranges découvertes. Et à Calcutta se prépare en 1921 à la venue du Prince de Galles sur fond d’agitation politique et de rencontres des grands leaders indépendantistes.
LE SOLEIL ROUGE DE L’ASSAM
Death in the East Ed Harvill Secker 2019
Gold danger Award 2020
Ed française Liana Levi 2023
Début 1922, alors que Gandhi arrête son mouvement de non coopération pacifique, le capitaine Wyndham part pour l‘Assam dans un ashram pour guérir de son addiction à l’opium. En arrivant, il croit voir un fantôme venu de sa vie à Londres et se remémore ses débuts à Scotland Yard en 1905 lors de sa première enquête pour meurtre. La découverte d’un décès suspect lui permet de faire venir Sat Banerjee pour élucider les énigmes. Avec un va et vient entre les deux époques et lieux, ce roman est le meilleur de la série, en attendant la traduction du 5° déjà paru en anglais.
THE SHADOWS OF THE MEN
Couverture du dernier livre de la série postée sur le compte Instagram d'Abir Mukherjee
BONNES LECTURES