300 000 domestiques migrantes vivent au Liban. Les cas de maltraitances sont fréquents mais certaines réussissent à garder le sourire. LPJ Beyrouth s’est rendue au Migrant Community Center, dans le quartier beyrouthin de Mar Mitr, à la rencontre de Rose, domestique camerounaise.
Arrivée en février 1999, Rose est venue seule au Liban. Elle laisse ses deux enfants, ses parents et ses soeurs au Cameroun. À l’époque, elle tient un petit commerce de poissons, « mais il ne marchait pas très bien ». Problème d’argent, enfants à élever…Rose, femme indépendante, doit trouver une solution.
Sa cousine lui conseille le Liban. « Là-bas, tu trouveras un travail et tu enverras de l’argent pour rembourser tes dettes », lui recommande-t-elle. Elle n’imaginait pas rester longtemps au Liban « mais je suis encore là, 20 ans après », sourit-elle.
Je n’ai pas choisi, c’est le Liban qui s’est imposé.
Rose avait la corde au cou. « Que ce soit le Liban, le ciel ou ailleurs, je voulais payer mes dettes », confie la jeune femme. Lorsqu’elle arrive à l’aéroport, elle a froid. Elle porte des habits d’été. « Il y avait de la neige, de la glace partout. Un monsieur m’a prêté un manteau », se souvient-elle. Un homme responsable des recrutements des travailleuses vient la chercher. Il est accompagné d’une femme, celle pour qui Rose doit travailler. Pourtant, lorsque cette dernière découvre Rose, elle ne veut plus d’elle. « Je crois qu’elle me trouvait trop grosse », soupire-t-elle.
L’homme finit par l’emmener au bureau, elle se laisse guider. Le lendemain, elle se pose des questions : « Qu’est-ce que je fais là ? Je ne peux pas me tourner les pouces et ne rien faire. Je dois me mettre au travail tout de suite », se motive la jeune femme dans sa tête.
Rose appelle sa cousine qui travaille au Liban depuis quelques années. La chance lui sourit. Une femme recherche une domestique et accepte de venir la chercher pour qu’elle puisse travailler rapidement. Elle travaille 13 ans pour cette famille. Elle fait le ménage, la cuisine. « Je n’avais pas d’horaires précis. Quand on travaille pour quelqu’un, on doit toujours être à disposition de la famille, c’est la loi ici au Liban », explique Rose. Elle est payée 200 dollars par mois.
Je fais partie des chanceuses », affirme-t-elle. Elle peut appeler sa famille, manger à sa faim, distribuer la nourriture à d’autres domestiques. Elle se sent comme chez elle. Les années passent jusqu’au moment où son employeuse n’a plus les moyens de la faire travailler. Elle lui propose de partir. « J’ai travaillé dans plusieurs familles. C’était plus fatiguant mais je gagnais plus. Comme je faisais du bon travail, j’étais recommandé », raconte-elle. Elle devient « freelance ».
Sans amis, impossible de survivre
Grâce au réseau qu’elle développe, elle rencontre beaucoup de travailleuses. Elles prennent des cafés, déjeunent ensemble, vont à la plage. Certaines femmes domestiques la connaissent mieux que ses propres soeurs. « On fait le même travail, on a les mêmes peines, les mêmes joies », dit-elle. Malheureusement, toutes n’ont pas la chance de Rose. Elle estime que 90% des travailleuses domestiques sont maltraitées.
Afin de rassembler ces femmes, le Migrant Community Center est créé en 2011. À l’intérieur, les domestiques peuvent se reposer, regarder la télévision. Elles échangent et se soutiennent, même financièrement. « On paye les transports pour aller voir les femmes en situation irrégulière, en prison », explique Rose. Grâce au centre et à l’alliance du syndicat des travailleuses et travailleurs domestiques, elles luttent contre leur situation précaire.
On survit au Liban mais on ne vit pas
Rose ne veut pas rester au Liban. « Boulot dodo boulot dodo », c’est son quotidien. Elle aimerait rentrer au Cameroun et reprendre son commerce à Yaoundé. Mais pour l’instant, elle envoie de l’argent à sa famille. Sa fille vient d’avoir un enfant. Son fils veut jouer au football « comme les jeunes garçons de son âge », plaisante-t-elle. Grâce au téléphone, il est facile de les joindre. « J’essaye de retourner au pays tous les deux ans et je reste là-bas quelques mois », indique-t-elle.
« Seulement 10% ont la chance d’être accueilli par une famille qui les respecte. C’est rien du tout. C’est une goutte d’eau dans la mer ». Elle précise, une nouvelle fois, que son parcours reste différent des autres femmes.
« Chanceuse », c’est comme ça qu’elle se définit.
Publié le 23 novembre 2017