Nous avions rendez-vous à Prenzlauer Berg, ce quartier que Christophe Bourdoiseau connait bien et qu’il a vu évoluer ces vingt dernières années. Il salue de la main une passante à vélo. Pas de doute, Christophe est bien chez lui.
C’est sous sa casquette de musicien que nous avons rencontré celui qui est également journaliste et parfois guide pour de chanceux touristes francophones à Berlin. Il est arrivé dans la capitale allemande dans les années 90, au départ pour un court séjour avec quelques amis, finalement pour s’y installer et y construire sa vie. « Berlin, à l’époque, c’était une grande ruine mais aussi un espace de liberté immense » nous explique-t-il. « On ne courrait pas après l’argent. Mais on ne peut pas dire pour autant que l’argent nous courrait après… ! » dit-il en souriant.
Le rêve inatteignable d'un vrai Heimat
Même s’il est arrivé en Allemagne un peu par hasard, son lien avec le pays n’est pas si anecdotique. « Ma mère est d’origine allemande, c’est une enfant de la guerre qui a trouvé refuge en France. Moi, je ne me suis jamais identifié comme allemand. J'ai grandi en banlieue parisienne et ma famille paternelle vient de la Loire, du Mans plus précisément. » Quand on lui demande si Berlin est aujourd’hui son nouvel Heimat, il répond par la négative. « Je me sentirai toujours étranger ici. La recherche d’un vrai Heimat est peut-être un rêve inatteignable. »
On comprend donc que le titre de ce nouvel album résonne avec l’expérience personnelle du musicien. Dans la langue française, le mot « migrant » a souvent une connotation négative nous explique-t-il. Mais la réalité derrière ce mot, c’est celle de milliers de personnes qui quittent leur foyer. « Ce n’est pas seulement un départ géographique, c’est aussi une coupure sentimentale. Il faut reconstruire son cercle, sa famille et au final, son petit village. » A travers ce nouvel album, Christophe Bourdoiseau interroge donc sur ce qui constitue le Heimat, ce terme allemand qui n’a pas d’équivalent en Français et qui plait beaucoup aux professeurs et linguistes germanistes : l’exemple parfait des limites de la traduction.
Pour Christophe Bourdoiseau, le Heimat, c’est à la fois la patrie, la maison, le chez soi. « Il y a un côté nostalgique attaché au Heimat, qu’il n’y a pas dans la Patrie. C’est l’endroit où on a grandi, où on se sent bien. Où on n’a pas besoin de se justifier. » Il nous parle des Vertriebene, ces expulsés d’Europe de l’Est, migrants contraints qui ont dû se reconstruire un Heimat dans leur pays d’adoption après la guerre.
L'Europe de l'Est et les grands noms de la chanson française
Beaucoup de grandes voix de la chanson française viennent aussi de l’Est. Aznavour d’Arménie, les parents de Gainsbourg de l’ex-URSS, la mère de Barbara était d’origine Moldave... la liste est longue. Mais celles qui ont le plus marqué Christophe Bourdoiseau dans son cheminement musical, ce sont les voix, et bien sûr les textes, de Brassens, Renaud, Brel ou encore Barbara. Ces influences, on les retrouve dans les paroles des quinze titres qui constituent ce nouvel album. Brel chantait Madeleine et Brassens l’auvergnat, Christophe Bourdoiseau, lui, nous chante les destins de Laila et de Polo (Adieu Polo). Si l’aigle noir emmenait Barbara « au pays d'autrefois », c’est aussi un oiseau maudit qui est invoqué dans la chanson centrale de cet album, La chanson du migrant : « Ne plus voler comme un oiseau maudit / je voudrais tant trouver ce beau pays ! »
Cet album est le résultat de trois ans de travail, mais aussi le fruit d’une réflexion bien plus longue. Ces thématiques, ne sont pas très gaies et elles prennent tout leur sens dans le contexte actuel avec la guerre en Ukraine et la fuite, une nouvelle fois, de milliers de migrants venant de l’Europe de l’Est. « Je pense aussi aux musiciens du trio Scho avec qui je travaille depuis plusieurs années et qui sont originaires d’Ukraine. Ils étaient musiciens de l’armée rouge par le passé, et voient aujourd’hui cette même armée bombarder leurs familles. »
Après plusieurs années consacrées à cet album, Christophe Bourdoiseau nous confie avoir l’envie d’évoluer dans son style de musique, « de passer à des choses plus légères », pourquoi pas écrire pour d’autres interprètes. S’offrir une petite pause donc, loin de tous ses soucis comme le dit l’une des chansons de l’album : « Et ça me fait voyager d’Ukraine en Sibérie / A Berlin, dans leurs cafés / Loin de mes p’tits soucis. »
Pour découvrir l'album et écouter les chansons, c'est ici.
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