Penser la crise est un exercice plutôt difficile pour ne pas dire périlleux : le manque de recul ou de données claires, la complexité des enjeux et surtout l’évolution continuelle de la situation. Comment établir un état des lieux à travers le probable et le douteux ?
La peur de l’inconnu semble en faire reculer plus d’un. Mais la peur n’est pas bonne conseillère et n’évite pas le danger. Or, nous sommes contaminés par le stress au sein de populations terrorisées.
Les philosophes ont-ils encore leur mot à dire sur l’épidémie pour rassurer ou attend-on davantage le discours des scientifiques ?
Pourtant les experts eux-mêmes ne s’accordent pas. Les experts du Covid-19 infectiologues, virologues, épidémiologistes analysent sans cesse l'évolution de l’épidémie et formulent parfois des messages contradictoires sur les masques et les tests. Cela renforce-t-il la confusion ou au contraire est-ce une polémique saine au vu des incertitudes qui entourent le virus ?
De tout temps, les épidémies ont décimé des populations entières
95 % de la population est touchée par la variole ou la petite vérole au XVIIème siècle faisant des ravages parmi les enfants et des têtes couronnées comme l’Empereur Joseph Ier d’Autriche, le Tsar Pierre II de Russie, Louis XV qui meurent de cette maladie. Fallait-il être à l’époque, un peu stoïcien pour accepter la maladie et la mort comme des phénomènes naturels ? Alors qu’à présent, les sociétés font tout pour reculer l’échéance de la mort et prolonger la vie en se tournant vers des solutions transhumanistes.
Le philosophe allemand Jürgen Habermas (1929- ) prend la parole au sujet de la pandémie : “Il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir”. Nous sommes aveugles en tant que citoyens lambda des moyens pour limiter la contagion et devons nous en remettre aux gouvernements qui prennent des décisions dans la nette conscience des limites du savoir des virologues qui conseillent. Selon le philosophe de l’école de Francfort, la pandémie nous place devant des défis éthiques : “Chacun a droit à la vie et à l’intégrité physique”.
La pandémie met à l’épreuve notre degré de civisme
Il est difficile de vivre dans cette période d’incertitude et de privation de certaines de nos libertés, les gouvernants naviguent bien souvent à vue... L'émotionnel prend souvent le pas sur le raisonnable.
La sagesse ou plutôt l’éthique doit renforcer les comportements de solidarité, de discernement qui disciplinent chacun pour les autres et pour soi-même. Habermas rappelle l'exigence kantienne “Ose te servir de ton Entendement !”, afin que chacun puisse dans cette cacophonie d’informations accepter par considération pour autrui et pour soi-même un certain nombre de restrictions.
La critique est facile mais bien souvent infondée or, Habermas souligne que “La critique commence par l’autocritique”.
Que nous apprend finalement cette période sur nous-même et sur notre rapport aux autres ?
Elle nous confronte d’abord avec l’inconnu et suppose des processus d’apprentissage. Il est cependant dommageable que des conspirationnistes, des complotistes viennent attiser les braises et recourir à la violence et à la provocation. Habermas s’interroge d’ailleurs sur les causes de tels comportements.
Dans un même esprit, le philosophe allemand Peter Sloterdijk (1947- ) nous invite face au repli en ce temps de pandémie au “co-immunisme”. Loin de se replier, nous devrions paradoxalement accueillir au maximum ce qui vient d’ailleurs, l’autre, l’étranger. Ce qui veut dire que la pandémie ne peut être contenue qu’en unissant nos efforts. Le monde a besoin de structures co-immunitaires solides pour y faire face.
Sloterdijk qui a été autrefois, pour l’emploi d’un concept “Selektion”, très critiqué par Habermas, le rejoint désormais dans ce contexte inédit. La pandémie nous apprend à nous connaître et à reconnaître autrui et en cela : “Tu dois changer ta vie” “ Du musst dein Leben ändern”.
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