Le féminisme a pris plus de temps à s’installer en Allemagne qu’en France ou dans le reste du monde. Mais quelle est l’histoire du féminisme allemand ? Et quels sont les courants féministes actuels ? En bref, qu’est-ce qu’être féministe en Allemagne de nos jours ?
Les combats actuels, « la colère des féministes »
Selon Marianne, âgée de 20 ans et étudiante en sciences politiques, être féministe en Allemagne au XXIe siècle signifie revendiquer des droits « qui devraient être fondamentaux et accordés depuis longtemps. » Elle précise que selon elle, le droit à l’avortement n’est toujours pas acquis, ce dernier étant dépénalisé mais pas légalisé. En effet, le 19 septembre 2020 a eu lieu à Berlin une marche anti-avortement et nommée « Marsch für das Leben » qui prend place presque chaque année. En réponse à cela, des féministes ont également manifesté pour la légalisation de l’avortement. Pour Marianne, il y a un paradoxe en Allemagne concernant les droits des femmes : « même si beaucoup de femmes travaillent et sont bien placées dans les entreprises (nous avons d’ailleurs une chancelière et pas un chancelier), elles doivent souvent faire le choix entre la carrière et les enfants. Et si elles choisissent leur carrière, elles sont mal perçues. C’est assez paradoxal d’avancer pour l’égalité mais en même temps de critiquer les femmes lorsque leur rôle progresse. »
Même si en Allemagne les mentalités ont évolué, il reste des gens stigmatisés parce que transgenres ou parce que différents.
Le 9 octobre dernier, une autre manifestation féministe a eu lieu, suite à l’expulsion de femmes et de transgenres d’un squat légal à Berlin. Cette manifestation a exposé la violence que peuvent montrer certaines féministes pour revendiquer leurs droits, des voitures ayant par exemple été brûlées. Paula, 21 ans et étudiante en droit y était. Bien qu’elle ne soit pas d’accord avec la violence, elle comprend « la colère de ces féministes car elles ne se sentent pas assez écoutées et intégrées dans la société. Le squat représentait une part de la société en marge. Même si en Allemagne les mentalités ont évolué, il reste des gens stigmatisés parce que transgenres ou parce que différents. » Par ailleurs, elle ajoute que contrairement à la France, « il n’y a quasiment pas de problèmes par rapport aux poils et à la nudité, la mentalité allemande en ce qui concerne la relation au corps est plus ouverte qu’en France. »
Des campagnes pour un monde plus égalitaire
Depuis quelques décennies, un grand nombre de féministes allemandes ont ouvert le féminisme aux femmes du pays entier, sans distinction de classes ou d’origines. Elles ont observé comment les femmes pouvaient cumuler davantage d’inégalités en fonction de leur classe sociale, de leur ethnie, de leur situation financière ou selon d’autres situations. Le courant du féminisme intersectionnel est né. Aujourd’hui, les enjeux actuels des féministes allemandes sont la division du travail, l’avortement, la sexualité en politique et les violences sexuelles. Il est difficile de dire qu’il existe une seule façon d’être féministe en Allemagne car les mentalités étant plus ouvertes, la liberté d’expression l’est aussi et les idées féministes sont donc plus nombreuses.
une grande volonté de se battre ensemble a jailli au sein des féministes du monde entier
Les campagnes féministes se font plus régulièrement sur les réseaux sociaux où il est plus facile pour les féministes allemandes mais aussi françaises d’échanger toutes ensembles. Par ailleurs, un véritable mouvement féministe et transnational est né : le mouvement des collages féministes. Il s’agit de militantes placardant des messages forts sur le viol et les violences sexistes et sexuelles. Si ce mouvement est très répandu en France car c’est son pays de naissance, il se diffuse cependant en Europe et dans le reste du monde, il est présent à Berlin, Hambourg et dans de nombreuses autres villes allemandes. Dès lors, bien qu’il y ait de nombreuses manières d’être féministe en France ou en Allemagne, une grande volonté de se battre ensemble a jailli au sein des féministes du monde entier, pour un monde plus égalitaire. Cependant, la presse allemande ne voit pas toujours d’un très bon œil les « néoféministes ». Le Tagespost titre d’ailleurs « France : la « croisade » contre l'homme - la nouvelle haine des hommes » citant le livre d’Alice Coffin, Le génie lesbien comme un ouvrage quelque peu extrême. Elisabeth Badinter, de son côté, a publié une tribune dans laquelle elle y dénonce un « néoféminisme guerrier » et une pensée binaire des féministes françaises post-MeToo.
Féministes allemandes et féministes françaises : points communs et oppositions
Alice Schwarzer, une des plus célèbres féministes allemandes, a permis de créer un véritable lien entre le féminisme français et le féminisme allemand. Née à Wuppertal en 1942, elle s’installe à Paris en 1963 puis fera ses études en France où elle y deviendra journaliste. Elle est considérée comme la « traductrice culturelle » de Simone de Beauvoir car étant très féministe en France, elle a beaucoup diffusé la pensée de la philosophe française en Allemagne. Elle a aussi participé à la création du Mouvement de Libération des Femmes dont les idées se propageront outre-Rhin. Lorsque parait le « Manifeste des 343 » dans lequel des personnalités françaises avouent s’être déjà faites avorter, Alice Schwarzer publie dans le magazine allemand Stern un manifeste identique mais signé par 374 allemandes et nommé « Wir haben abgetrieben! ». Encore aujourd’hui, l’Allemagne lui doit de nouvelles avancées féministes comme des lois concernant la prostitution.
Pendant de longues années suite à la réunification allemande, le modèle familial allemand était bien plus conservateur et traditionnel qu’en France, les mères étant parfois considérées comme « indignes » de laisser leurs enfants en crèche toute la journée lorsqu’elles allaient travailler. Elles sont d’ailleurs souvent surnommées les « mères corbeaux ». Par ailleurs, le nombre de places en crèche étant à l’époque très insuffisant, les mères se voyaient obligées de garder leur enfant chez elles et ne pouvaient pas aller travailler pendant les premiers mois de l’enfant.
Mais le modèle familial allemand a évolué au fil du temps. Déjà, la natalité a connu une forte baisse car les femmes ne pouvaient pas travailler librement si elles devenaient mères, et ce en raison du manque de places dans les crèches. Le taux allemand de fécondité a longtemps été l’un des plus bas en Europe mais a aujourd’hui un peu augmenté : 1,5 enfant par femme en Allemagne face à 1,9 en France. De plus, des politiques ont été mises en place menées par l’ancienne ministre de la Famille au sein du gouvernement Merkel, Ursula von der Leyen. Il est désormais possible pour les parents d'interrompre leur activité professionnelle pendant quatorze mois, douze mois pour le premier parent et deux mois pour le deuxième, tout en étant indemnisés à hauteur de 67 % du salaire net et avec au maximum 1 800 euros mensuels. On pourrait donc dire qu’aujourd’hui, il est plus simple d’être une mère en Allemagne qu’auparavant et peut-être même plus simple qu’en France contrairement aux idées reçues outre-Rhin !
Enfin, à l’instar des féministes françaises, les féministes allemandes sont en désaccords sur de nombreux sujets tels que la prostitution, la maternité, la pornographie, la religion et particulièrement le voile ou encore la notion de féminité.
Mais au fait, comment le féminisme a-t-il réellement commencé en Allemagne ?
Révolution de mars : fer de lance de la révolution féministe allemande
En 1848 a lieu la révolution de mars en Allemagne. Dès lors, à l’instar du printemps des peuples germaniques qui a pour but d’établir des libertés politiques et une unité nationale, les premières féministes allemandes souhaitent obtenir leur liberté et une place dans la société. Le 12 mai 1849, Louise-Otto Peters, journaliste et avocate du droit des femmes fonde le journal politique « Frauen-Zeitung » (Journal des femmes en français). Elle lance un appel aux ouvrières afin que ces dernières se rassemblent autour d’associations féministes pour mieux défendre leurs intérêts.
En 1865 est fondée l’Association générale des femmes allemandes toujours par Louise-Otto Peters ainsi qu’Auguste Schmidt, revendiquant l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, en particulier le droit à l’éducation pour les femmes. En effet, à cette époque, les femmes ne peuvent passer leur baccalauréat ou accéder aux universités. De plus, les seules professions qui leur sont accordées sont celles de gouvernante ou d’institutrice et celles liées aux tâches ménagères, uniquement pour les femmes issues de la bourgeoisie. Plus tard, les féministes s’unissent autour de la « Bund Deutscher Frauenvereine », l'Union des organisations féministes allemandes, en revanche les femmes des ouvriers n’y étaient pas les bienvenues. De leur côté, elles s’organisaient autour des femmes socialistes, la coopération entre les femmes de différents groupes sociaux étant à l’époque difficilement concevable.
La République de Weimar : entre avancées et immobilité
Durant la Première Guerre mondiale, en Allemagne comme en France, les femmes ont pris le relais des hommes dans les usines et les commerces. Lorsque la République de Weimar est proclamée, une Constitution plus égalitaire est mise en œuvre. Cette dernière traite de l’égalité dans l’éducation, l’égalité des chances ainsi que l’égalité de rémunérations dans les professions libérales. L’Allemagne était alors pionnière concernant l’égalité des sexes (le terme « genre » étant utilisé plus tard). En 1919, les femmes obtiennent le droit de vote et en 1933, juste avant le régime nazi, on compte 35 femmes au Reichstag. Bien que les femmes aient connu de grandes avancées durant la République de Weimar, cette période a aussi été chaotique économiquement, notamment à cause des guerres. De nombreuses femmes se sont retrouvées veuves avec leurs enfants et dans une extrême pauvreté.
Le régime nazi : un paradoxe féministe
Le régime nazi, lui, a eu pour volonté de paralyser toutes les avancées féministes, considérant que l’unique place de la femme était à la maison, soumises à leur mari. Mais en réalité, les femmes ont eu un rôle à jouer au sein de l’organisation politique. De nombreuses femmes étaient obligées de travailler, qu’elles le veuillent ou non, les nazis préparant la guerre et ayant besoin d’aide. Si d’une part, des femmes ont pu travailler pour le régime, d’autre part, Hitler continuait d’affirmer que l’unique rôle de la femme était la maternité.
RFA et RDA : deux types de patriarcat, deux sortes de féminisme
En République fédérale allemande, une nouvelle génération de féministes est née dans une société plutôt conservatrice. De nouveaux groupes militants, plutôt situés à gauche de l’échiquier politique se sont créés, allant jusqu’aux groupes terroristes anti-patriarcat comme la « Rote Zora ». En 1977, Alice Schwarzer, dont nous avons parlé précédemment, a fondé un magazine féministe nommé EMMA. Après la création du parti politique des Verts en 1980, le combat sur l’avortement a été relancé et les femmes ont été davantage incluses au sein du monde politique.
De son côté, la République démocratique allemande inscrivait l’égalité femmes-hommes dans ses idées, les auteurs communistes et marxistes Engels ou Bebel ayant dénoncé l’exploitation des femmes par la société capitaliste. Si les femmes étaient considérées comme égales et avaient donc toutes le droit de travailler, les parts des tâches n’étaient pas réparties équitablement. Les femmes de la RDA étaient donc surmenées malgré les avancées féministes comme le congé parental d’un an pour les pères, que ces derniers prenaient rarement…