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Drague ou harcèlement ? Des Françaises en Allemagne s’expriment

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Si la frontière entre la drague et le harcèlement est très mince pour certaines femmes, d’autres se sentent plus proches de la réaction de Catherine Deneuve qui condamnait en janvier 2018, un féminisme exacerbé par les mouvements #metoo et #balancetonporc nés il y a plus d’un an suite au scandale de l’affaire Weinstein en octobre 2017 : « Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste. ».


Nous avons interrogé plusieurs Françaises en Allemagne pour connaitre leur vision de la drague au pays de Goethe, mais aussi face au harcèlement de rue. Témoignages.


Camille, Française, 20 ans, en échange Erasmus à Mannheim, étudiante à Sciences-Po Lille en France.

Comment est-ce que ce mouvement de libération de la parole des femmes au sujet du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes est perçu en Allemagne ? Est-ce qu’il y a eu un soulèvement comme celui qu’on a pu voir en France et aux USA notamment ?

Pour moi ce qui est sûr c’est que l’Allemagne est un pays qui est bien plus féministe que la France, ça se voit dans beaucoup de situations au quotidien, et c’est quelque chose qui m’a vraiment marquée.

Y a-t-il une grosse différence entre faire ses études ici à Mannheim et ses études en France, à Lille, en ce qui concerne le harcèlement de rue notamment ?

Ouais, c’est le jour et la nuit. Je ne me suis pas fait embêter une seule fois à Mannheim, c’est une ville qui est super safe. Après il y a toujours des gens qui te disent « Fais attention, rentre pas seule le soir, etc. » Et comme dans toutes les villes, il y a eu l’histoire d’une fille qui s’est fait violer, mais en soi, quand tu rentres de soirée, c’est vraiment super safe et pas une seule fois je ne me suis fait harceler dans la rue, pas une seule fois ! Et c’est fou, parce qu’en France c’est régulier. A Lille, n’en parlons pas, à Paris pareil, et même dans ma petite ville de Bretagne, ça m’arrive aussi.

Avez-vous noté des différences en ce qui concerne la drague entre les deux cultures ?

Ouais totalement, c’est assez bizarre. Quand on arrive en tant que Française en Allemagne, on est vachement contente, parce qu’il n’y a pas de harcèlement ni rien. C’est vraiment tranquille, les mecs ne vont jamais t’aborder dans la rue, te saouler avec leurs propos débiles. Mais d’un autre côté, clairement les Allemands ne draguent pas, ils ne vont jamais faire le premier pas, et je pense qu’ils attendent beaucoup que les femmes fassent le premier pas, c’est ma supposition. C’est vraiment dans leur culture, et peu importe s’ils sont sous l’emprise de l’alcool, cela ne changera rien. Les femmes allemandes n’hésitent pas pour bon nombre d’entre elles à faire le premier pas, c’est peut-être pour cela aussi que c’est un peu difficile au début pour les Françaises habituées à ce qu’on les aborde.

 

Kenza, Française, 21 ans, en échange Erasmus à Halle. Elle réalise un mémoire sur la comparaison des discriminations sexistes envers les femmes en France et en Allemagne.

Comment est-ce que ce mouvement de libération de la parole des femmes au sujet du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes est perçu en Allemagne ? Est-ce qu’il y a eu un soulèvement comme celui qu’on a pu voir en France et aux USA notamment ?

Je dirais que globalement le mouvement #metoo a eu un retentissement en Allemagne mais moins important qu’en France, mais le hashtag est reconnu en Allemagne, et il a été utilisé par les Allemandes aussi mais dans une moindre

femme
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mesure. Après, mes amis allemands en ont parlé, surtout ceux qui s’intéressent à la France : plusieurs m’ont dit qu’ils ont été très surpris par la tribune de Catherine Deneuve « Des femmes libèrent une autre parole » parue en janvier 2018, dénonçant l’émergence d’un nouveau puritanisme et une « une haine des hommes », (ndlr) dans le journal Le Monde, ils ont vraiment trouvé ça choquant.

Y a-t-il une grosse différence entre faire ses études en France et en Allemagne en ce qui concerne le harcèlement de rue notamment ?

En ce qui concerne le harcèlement, j’ai pas du tout ce sentiment d’insécurité que je pouvais avoir en France quand je rentrais un peu tard à Nanterre dans la cité universitaire. Ici en Allemagne, je me sens vraiment en sécurité et même s’il y a des gens parfois qui peuvent être alcoolisés dans la rue, ils ne t’accostent pas, ils restent dans leur coin. On ne m’a jamais sifflée dans la rue, j’ai peut-être eu au maximum deux remarques depuis que je suis en Allemagne, et d’ailleurs il n’y a pas vraiment de drague.

Justement, avez-vous noté des différences en ce qui concerne la drague entre les deux cultures ?

Je n’ai jamais assisté à une drague lourde dans un lieu public. En Allemagne l’approche est très différente : dimanche dernier par exemple j’attendais mon bus, et un Allemand m’a demandé où j’allais, puis il a engagé la conversation, m’a demandé comment j’allais etc., mais d’une façon très naturelle. Et c’est seulement quand il m’a donné son numéro que j’ai compris qu’il me draguait, mais sur le moment, je n’ai vraiment pas compris que c’était de la drague en fait. Parce que simplement, et c’est quelque chose qu’on a remarqué mes amies françaises et moi, ce n’est pas des compliments lourds comme on a l’habitude d’entendre en France, c’est plus discret, c’est une conversation plus naturelle et sans aucun geste tactile ou déplacé.

Il y aussi un argument historique pour moi, j’ai lu pas mal de choses là dessus pour mon mémoire : les Allemands, de part leur passé sont peut-être plus respectueux car ils ont été élevés dans une culture beaucoup moins machiste, et du coup ils osent peut-être moins que les Français, qui eux, ont une certaine assurance.

Est-ce que vous regrettez ce désintérêt des Allemands pour la drague, pour le flirt ?

Pas du tout, je suis totalement contre ! Cette tribune de Catherine Deneuve justement m’a interpellée. Je me suis dit que les femmes qui ont signé cette tribune ne réalisent pas du tout ce qui passe et qu’elles font partie de la bourgeoisie qui est très peu confrontée aux réels problèmes de harcèlement et de violences sexuelles. Je pense qu’elles sont carrément en dehors de tout ça, et il faudrait qu’elles se mettent un peu à la place des victimes, parce que je vois ça comme un manque de compassion envers celles qui subissent du harcèlement et des violences sexuelles presque au quotidien. Ce serait bien qu’on retrouve ce sentiment de sécurité en France comme en Allemagne, et qu’on arrête de confondre la drague et le harcèlement, car certains confondent un peu les deux et croient que c’est postiche mais non ce sont deux choses bien différentes !

 

Michèle, Française, 49 ans, formatrice en français à Francfort de septembre 2003 à avril 2019

Comment est-ce que ce mouvement de libération de la parole des femmes au sujet du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes est perçu en Allemagne ? Est-ce qu’il y a eu un soulèvement comme celui qu’on a

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pu voir en France et aux USA notamment ?

J'ai l'impression qu'on en a moins parlé en Allemagne (#metoo). Je n'en ai jamais parlé ni avec mes élèves ni avec mon compagnon allemand en tout cas.

Y a-t-il une grosse différence entre travailler en France en en Allemagne, en ce qui concerne le harcèlement au bureau notamment ?

J'ai travaillé très peu en France, même pas un an. J’avais 25 ans, j’ai été courtisée mais je n’ai jamais subi de harcèlement en revanche. Pendant mes 15 années passées en Allemagne, il y a eu très peu de drague mais je n'ai pas non plus entendu parler de harcèlement, ce qui ne signifie pas bien sûr qu'il n'y en avait pas. En tant que formatrice, je n’ai pas non plus connu ces désagréments. Par ailleurs, j'ai souvent été très proche de mes élèves. Elles / ils en auraient parlé je pense.

Avez-vous noté des différences en ce qui concerne la drague entre les deux cultures ?

Concernant la drague en Allemagne, il est clair que les Allemands sont beaucoup moins entreprenants que les Français. On dirait qu'ils ont peur de draguer. C'est une chose que je regrette un peu. Jusqu'à il y a 10 ans environ (j'ai 49 ans), je me faisais plus draguer pendant mes vacances en France que pendant toute une année en Allemagne.

C'est sympa de se faire draguer, du moment que l’on n’insiste pas trop si l'autre n'est pas intéressé/e.

Mais j'ai l'impression que les Allemands ont souvent peur en général (très peur de la police par exemple).

 

Louise, 21 ans, Française en Allemagne depuis un an et demi pour un stage à Munich

Comment est-ce que ce mouvement de libération de la parole des femmes au sujet du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes est perçu en Allemagne ? Est-ce qu’il y a eu un soulèvement comme celui qu’on a pu voir en France et aux USA notamment ?

Justement j’ai eu un exemple récemment il y a quelques semaines, une copine allemande s’est fait draguer très grossièrement par un homme de 70 ans et la question d’écrire un post sur Facebook s’est posée. Finalement, on ne l’a pas fait, mais on s’est demandé si ce comportement devait être puni via un hashtag ou pas. Cela aurait été le hashtag #meetoo, car il n’y a pas de hashtag propre à l’Allemagne comme en France avec #balancestonporc me semble-t-il.

Y a-t-il une grosse différence entre faire ses études en France et en Allemagne, en ce qui concerne le harcèlement de rue notamment ?

Autant en France je me suis déjà pris des réflexions, autant en Allemagne jamais. Jamais de sifflement dégueulasse comme en France par exemple.

Avez-vous noté des différences en ce qui concerne la drague entre les deux cultures ?

Alors personnellement je me suis plus fait draguer en Allemagne qu’en France, mais j’ai l’impression que les Allemands sont un peu plus dans la discussion. Je trouve que les Français sont plus lourds. J’ai quand même des copines françaises qui ont des petits copains allemands. Donc il ne faut pas généraliser et dire que les Allemands ne draguent pas. Je les trouve drôlement respectueux les Allemands, pas forcément introvertis, mais ils se sentent très concernés par les questions liées aux libertés des femmes.

 

Hélène, Française, 35 ans, ingénieur, région de Francfort

Comment est-ce que ce mouvement de libération de la parole des femmes au sujet du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes est perçu en Allemagne ? Est-ce qu’il y a eu un soulèvement comme celui qu’on a pu voir en France et aux USA notamment ?

Le mouvement a eu moins de retentissements en Allemagne mais semble avoir libéré la parole de certaines femmes qui ont été plus nombreuses à déclarer des cas de harcèlement à la police. Avant le mouvement meetoo, il y a eu une campagne « Non c’est non » en Allemagne, suite aux agressions lors de la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne en 2015. Cette campagne avait déjà amorcé la mobilisation des femmes mais aussi a permis de renforcer le droit pénal en matière d’agression sexuelle. Le sujet est pris au sérieux !

Y a-t-il une grosse différence entre travailler en France en en Allemagne, en ce qui concerne le harcèlement au bureau notamment ?

Non pas vraiment selon moi, je n’ai jamais rencontré trop de problèmes de sexisme dans mon travail, mais il est clair que ma position est peut-être spécifique à ma génération et à mon milieu social.

Avez-vous noté des différences en ce qui concerne la drague entre les deux cultures ?

Je pense que oui, les Allemands draguent moins ou en tout cas de façon très subtile, mais ce n’est pas forcément une bonne chose, peut-être par crainte des réactions des femmes qui sont moins dans le jeu de la séduction qu’en France. Aujourd’hui tout le monde se méfie de tout le monde. C’est dommage, il ne faudrait pas qu’on se retrouve dans une société où les hommes sont castrés non plus !


Maxime Ollivier (www.lepetitjournal.com/heidelberg-mannheim)

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