Les habitants du 12 rue Kastanienallee sont menacés par la gentrification du quartier. Nous sommes allés à la rencontre du K12 et de sa communauté.
Dans la Kastanienallee, au numéro 12 à Berlin se tient un grand bâtiment blanc sur lequel est affichée une banderole avec le message : « Ce bâtiment est une espèce en voie de disparition ». Immeuble phare de l’auto-organisation en RDA, puis lieu de rencontre et de culture underground dans les années 1980, pour enfin devenir le cœur de la mobilisation contre l’augmentation des loyers en 1992, le K12 a été le centre de mouvements de lutte pour les droits de ses habitants. Aujourd’hui les locataires sont de nouveau menacés d'expulsion.
C’est Mila, 26 ans et Angela, 47 ans qui nous accueillent au soleil dans le jardin de la résidence. Elles font partie de l’association K12 crée en 2020, qui a pour objectif de défendre la communauté de locataires menacée d’expulsion en raison d’une future vente.
La communauté du K12
Dans les quatre bâtiments, cohabitent une centaine de personnes aux profils très différents. Artistes, familles, étudiants et travailleurs entre 2 et 80 ans cohabitent au 12 Kastanienallee. Selon Angela, c’est un espace ouvert où chacun « a la liberté de rester longtemps ou très peu de temps ». Selon elle, « c’est toujours un plaisir de voir des personnes partager un moment de leur vie ici ». Au K12, l’ambiance est communautaire. Les voisins sont en bons termes et se donnent des coups de main, peu importe s’ils restent quelques semaines ou quelques années.
Grâce à cette ouverture, le K12 est devenu un lieu vivant et créatif. Les couloirs, le hall et les jardins sont tapissés d’œuvres artistiques qui se sont multipliées au fil des années. La possibilité d’avoir un atelier à prix abordable est une aubaine pour les artistes de Berlin. « Avoir un tel espace a été crucial pour moi afin de pouvoir faire mon travail. Je n'aurais pas pu faire tout ça ces 5 dernières années sans cet endroit. » explique Rajkamal Kahlon, une artiste ayant rejoint le K12 en 2016. Les artistes, les habitants, et les habitués forment une communauté que Rajkamal apprécie particulièrement et qui lui permet de s’épanouir.
La façon dont la propriétaire gérait cet endroit me rappelle le château de la Belle au bois dormant. Rien n’était rénové, rien n’était touché et c’était magique.
Des logements inhabituels
A l’image de la diversité de ses habitants, il y aussi une pluralité d’appartements. Les locataires sont responsables de leurs logements. Ils les décorent, les bricolent et les adaptent à leur goût puisque la propriétaire leur laissait le champ libre. « La façon dont la propriétaire gérait cet endroit me rappelle le château de la Belle au bois dormant. Rien n’était rénové, rien n’était touché et c’était magique » explique Angela.
Si cela a permis l’épanouissement artistique, décoratif ou manuel de certains, le besoin de rénovation se fait tout de même sentir. Les habitants se chauffent au bois ou au charbon, et le système d’électricité et de plombage a besoin d’être changé. Certains locataires partagent leur salle de bain et leur toilette au sein d’un même étage, tandis que d’autres ont installé une baignoire dans leur cuisine pour plus d’intimité. Les conditions de vies sont donc inhabituelles mais elles permettent des prix bien en dessous du tarif du quartier. Le loyer en colocation de Mila s’élève à seulement 234 euros par mois, bien qu’il faille ajouter des charges coûteuses. En ajoutant l’eau, l’électricité et le gaz, la facture monte à 450 euros. Un prix qui reste intéressant pour le quartier central et prisé de Prenzlauer Berg.
La menace d'expulsion plane sur les locataires
Seulement, cette année, tout risque de changer. La propriétaire est décédée et a légué son bien à ses deux fils. Or, selon Angela et Mila, si les héritiers « ont encore une connexion très émotionnelle avec ce lieu », ils sont en désaccord sur leur gestion. Ne parvenant pas à trouver une solution, ils ont lancé un processus de « Teilungsversteigerung », que l’on peut traduire par partage ou vente aux enchères par division. Dans le cas où les parties concernées ne sont pas d'accord sur l’avenir du bien, une vente aux enchères de partage peut être mise en place. En octobre dernier, le tribunal des enchères a validé la candidature des nouveaux propriétaires. Le bâtiment risque donc de tomber dans les mains du plus offrant, et notamment de riches promoteurs immobiliers. Les locataires ne se font pas d’illusions, le bâtiment a beaucoup de valeur. Lorsqu’il sera racheté, il sera transformé et rénové tandis que les prix, eux, vont augmenter. La plupart n’ont pas les moyens de rester, ils sont donc menacés d’expulsion.
Nous ne sommes pas des meubles dont on peut facilement se défaire.
En réaction, une partie des habitants s’est constituée en association en 2020. Depuis, le projet a pris de l’ampleur. L’association accueille des locataires mais aussi des volontaires extérieurs qui la soutiennent. Leur objectif est de s'impliquer dans la négociation de la vente dans l’espoir de sauver ces logements. « Nous essayons de faire en sorte que [les propriétaires] sachent que nous sommes là, sous la forme d'une association pour les aider à trouver une bonne solution pour nous mais aussi pour eux […] Nous voulons mettre en avant la coopération et la communication » explique Mila.
Le K12 a décidé de faire appel à un médiateur, « Häuser Bewegen », afin de « trouver des solutions pour le bien-être des habitants et des propriétaires ainsi que pour définir quel pourrait être l'avenir des immeubles » explique Angela. Cette agence immobilière coopérative négocie des options d'achat à ses sociétés membres. Avec son aide, l’association a été mise en contact avec Selbstbau eG. et Ostseeplatz eG., des coopératives pré-existantes qui ont déposé une première offre d’achat le 4 février. Cette dernière n’a pas été concluante car les coopératives et le K12 attendent encore des subventions étatiques dont la mise en place est complexe et lente. Pour ces raisons, les héritiers ne veulent pas prendre le risque d’attendre. Le K12 se retrouve dans une course contre la montre où ils espèrent avoir le temps de réunir les fonds nécessaires avant la vente aux enchères. Pour cela, les habitants continuent de se mobiliser en essayant de sensibiliser à leur cause et en tentant de gagner toujours plus de visibilité. Une stratégie qui passe notamment par leur compte Instagram.
Selon Angela et Mila, la vente ne devrait pas se faire avant le début de l’été, en mai ou en juin. Il reste à savoir si les quelques mois restant seront suffisants pour venir à bout de la tentative de rachat par les coopératives….
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