Berlin portait le rêve d’un urbanisme doux et moins excluant. Avec le temps, il s’est écorné... Retour sur la gentrification accélérée de la ville en mots et en photos.
Berlin, un autre modèle pour contrer la gentrification
Après la chute du mur, Berlin devient la ville de tous les possibles. Elle est la ville libre, celle qui met en avant la nouvelle scène techno, celle qui fait foisonner les squats autogérés par des artistes, celle qui abrite la Love Parade, le festival promettant liberté, amour et exubérance… Bref, Berlin est porteuse d’espoir.
Les années 1990 en font une capitale rebelle qui peut rêver d’un autre modèle urbain, moins libéral, moins inégalitaire et moins gentrifié. Outre les initiatives des habitants pour proposer des modes de vie alternatifs, Berlin est devenu, avec le lancement de l’initiative IBA de 1987, le modèle grandeur nature d’une ville dans laquelle les politiques de rénovation des bâtiments anciens étaient censées ne pas résulter en l’éviction des habitants appartenant aux classes populaires. L’objectif est de permettre la reconstruction et rénovation des habitations tout en permettant une politique sociale et le compromis avec les squatteurs. Berlin veut mettre en place un urbanisme doux permettant une mixité sociale, à l’opposé de ce qui se fait à Londres ou à Paris.
L’échec de l’urbanisme doux : une gentrification accélérée
Mais rapidement, ce qui constitue le cœur de l’identité urbaine de Berlin se trouve en contradiction avec les logiques d’investissement immobilier. Dans les années 90, la ville est acculée dans un véritable marasme économique. Le Sénat de Berlin choisit de faire des concessions sur ses idéaux, et l’urbanisme équitable devient un rêve lointain. Selon les chercheurs Denis Bocquet et Pascale Laborier, si le marché immobilier peu dynamique semblait préserver la capitale des logiques d’embourgeoisement et d’exclusion des classes populaires, tous les « ingrédients sociologiques d’un tel phénomène étaient bel et bien là ». En effet, la ville est branchée, attractive à l’internationale pour sa scène artistique innovante et avant-gardiste, en rénovation, et elle propose un urbanisme hybride mêlant dynamisme et tradition. En 2010, il y a donc un réel « boom de la gentrification ».
C’est d’abord Berlin Est qui se gentrifie dès les années 90, avec l’arrivée de ce que les chercheurs Dangschat et Friedrichs appellent « les pionniers », qui sont des individus jeunes, entre 18 et 35 ans, avec un niveau de formation élevé mais dont les revenus sont faibles. Typiquement, ce sont les étudiants, les artistes et les intellectuels venant souvent de l’ex-Berlin Ouest. Ils s’installent à Mitte, puis dans les quartiers de Spandauer Vorstadt et Rosenthaler Vorstadt, ainsi que dans le Bezirk de Prenzlauer Berg, à Kollwitzplatz, Helmholtzplatz et enfin plus tard Friedrichshain. Ces lieux deviennent rapidement des lieux branchés, avec l’arrivée de théâtres, de clubs, de galeries et d’ateliers, abritant des communautés d’artistes, d’étudiants et LGBTQ+. D’abord illégaux, ces lieux se légalisent avec le temps et deviennent attractifs pour une autre classe sociale plus aisée. Les jeunes actifs issus de l’industrie des médias et de la culture, telles les productions cinématographiques et musicales, l’édition, le design et la publicité affluent et reprennent ces quartiers.
Les partisans de l’anti-capitalisme laissent donc place à un capitalisme culturel et « bobo » à une vitesse surprenante, malgré les combats des militants. En parallèle, Berlin devient aussi plus touristique. Entre 2006 et 2016, le nombre de visiteurs double, passant de 15 millions à 31 millions ! Un chiffre record.
La ville mue et il semblerait qu’elle ne soit plus aussi « alternative » et mixe qu’elle ne le prétend… Aujourd’hui les codes de l’anticapitalisme et les codes populaires semblent détournés par certaines entreprises de tourisme, des bars, des boîtes, ou bien des restaurants pour faire des profits. L’entrée en boîte techno coûte en moyenne 20 euros, de nouveaux kebabs branchés émergent et facturent le sandwich à 8 euros, les supermarchés et restaurants bios ou végans abondent sans être réellement accessibles et enfin, les friperies, mêmes caritatives comme Humana, proposent des vêtements parfois plus chers qu’en boutique… En bref, tout commence à coûter cher et les logiques de consommation ont eu raison des valeurs initiales de la ville. Néanmoins, le bilan n’est pas tout noir. Il existe encore de nombreuses initiatives qui luttent contre ces logiques de gentrification : associations, coopératives et squats sont encore très présents dans la ville. Preuve d’un certain succès, les berlinois ont réussi à faire de l’ancien aéroport de Tempelhof un lieux public et à bloquer les loyers pendant une année, avant que la loi ne soit annulée par la cour constitutionnelle.
Berlin dans les années 1990 VS aujourd’hui
Mainzer Strasse
1990
VS 2022
Kastanienallee
1990
VS 2022
Le squat K86 existe toujours, mais il est l'un des derniers de la rue qui a bien changé.
Potsdamer Platz
1990
VS 2022
Fehrbelliner Strasse
1993
VS 2022
Brunnenstrasse
1993
VS 2022
Eberswalder Station
1993
VS 2022
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