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Rencontre avec Paul Rondin : "la francophonie va très bien, merci"

Directeur de la Cité internationale de la langue française, inaugurée le 30 octobre 2023, Paul Rondin était à Berlin pour le festival de la francophonie. Il revient avec nous sur les enjeux et les réalités de la langue française aujourd’hui.

Paul Rondin © Emma Granier - LPJ Allemagne-DSCF9467Paul Rondin © Emma Granier - LPJ Allemagne-DSCF9467
Paul Rondin à la médiathèque de l'Institut français de Berlin © Emma Granier - LPJ Allemagne
Écrit par Emma Granier
Publié le 23 septembre 2024, mis à jour le 25 septembre 2024

Pourquoi avoir choisi Berlin comme première destination hors les murs de la Cité internationale de la langue française ? 

Berlin est une capitale plurilingue et cette idée nous plaît. Nous discutions depuis un moment avec nos amis allemands de Berlin mais aussi de la Sarre. Nous avons un intérêt commun pour la question "comment est-ce qu’on fait visiter et vivre une langue". C’est donc d’abord par affinité élective que Berlin s'est présenté, puis le projet s'est facilement et rapidement mis en place avec l'Ambassade, l'Institut français et le Centre français de Berlin. Être présent hors les murs est un processus que l’on va déployer tout au cours de l’automne ainsi que dans les années à venir. Nous irons aussi à Montréal en novembre et à Beirut en décembre si l’évolution du conflit le permet. 

La Cité, à l’image de la langue française, est en mouvement. Et c’est donc cette idée d’aller-retour permanent et cette notion de réciprocité qui nous animent. Quand on vient à la rencontre des partenaires et des francophones à Berlin, l’idée est de faire connaissance, de faire des rencontres. Par exemple, la soirée humour organisée dans le cadre du festival ce dimanche a permis de faire se rencontrer une humoriste française du festival de Montreux et le Baguette Comedy club. 

 

Quel est selon vous le moment phare de ce festival ?

Ce qui est important c’est de montrer tous les aspects de la langue française actuelle. En ce sens, tous les événements qui ont lieu lors de ces trois jours ont leur importance. Nous avons commencé par de l’humour, bien insolent en plus ! La langue, c’est cette liberté, cette invention permanente. Et nous continuons avec une réflexion sur le thème de la langue monde avec Barbara Cassin notamment, avec des textes dits et des textes rappés. Et le troisième jour est axé plus sur la chanson et rap. Nous avons envie de montrer tous ces genres et surtout pas d’en favoriser certains ou d’en enlever d’autres. C’est essentiel de montrer cet équilibre.


 

Le sommet de la francophonie aura lieu les 4 et 5 octobre prochains. Comment avez-vous préparé l’événement ? Et quels en sont les moments les plus attendus ?

Le sommet à proprement parler a lieu les 4 et 5 octobre en effet. Et la Cité organise un festival jusqu’au 6 octobre. À la genèse du sommet, il y un accord entre l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et le pays hôte, la France. C’est la première fois depuis 33 ans que la France reçoit le sommet. Ensuite, le Président de la République a voulu que le sommet se passe en partie à la Cité internationale ; un secrétariat général pour le sommet de la francophonie, qui dépend du ministère des Affaires étrangères, a été créé et on a travaillé avec eux main dans la main car ils sont les véritables maîtres d'œuvre de cet événement. C’est un événement diplomatique, politique et culturel.

Avec l’équipe de la Cité, nous avons donc travaillé à une programmation culturelle pour l’événement. L’enjeu est que la notion de francophonie, parfois un peu administrativo-diplomatique, devienne quelque chose de saisissable et que tous les citoyens puissent appréhender. C’est donc pour cela que le volet culturel est primordial. Ça peut passer par la mode, la recherche, la chanson, le théâtre. Il faut faire comprendre que la langue française n’appartient pas à la France mais au monde et que les Français appartiennent eux-mêmes à la francophonie. Cela agrandit énormément le paysage de notre propre langue.


 

 

 

Quels sont les principaux enjeux de ce XIXème sommet de la langue française selon vous ?

Il faut accepter le fait que la langue française n’est pas en concurrence avec la langue anglo-saxonne - ou plutôt le "Globish" né en Californie -, mais fait partie des langues de la diversité. C’est peut-être une langue minoritaire par rapport à l’anglais mais le combat n’est pas là. Il n’y a pas de combat. En revanche, revendiquer notre place minoritaire au côté des autres langues, crée une diversité qui est forte car elle est solidaire. Dans tous les pays francophones, il y a du multilinguisme. Et cela permet une agilité linguistique plus grande et une préservation de la diversité.

Les enjeux actuels de la révolution numérique et de l’âge de l’intelligence artificielle sont évidemment présents. Cette révolution, soit on la subit (et plutôt en Globish), soit on décide de l’investir et de considérer l’IA comme une chance. Car l’IA, si on alimente bien tous les moteurs de recherche, peut nous permettre de préserver toutes les langues. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas des enjeux de traduction, mais au moins, on pourra avoir une existence de toutes ces langues. Donc en ce sens, il ne s’agira pas seulement du sommet de la francophonie, mais du sommet des diversités linguistiques. 


 

La langue française est-elle menacée aujourd’hui ?

La Cité internationale de la langue française n’est ni un musée, ni un conservatoire. Nous ne sommes pas là pour protéger ou défendre la langue. Cela me fait penser à ce tract de Gallimard signé les linguistes atterées et qui s’intitule « La langue française va très bien, merci » Et j’aime bien le paraphraser en disant : la francophonie va très bien aussi, merci. 

 

Il faut faire confiance à une langue. C’est parce qu’on la triture, qu'on la tord, qu’elle reste une belle langue. Sinon, c’est du latin, et c’est une langue morte. 

 

Tout dépend toujours de comment vous vous situez. Si vous êtes dans une notion de langue protégée, immobile, qui doit être tout le temps validée… c’est le travail de l’Académie française, qui réalise le dictionnaire, ils font ça très bien. Nous, on est là pour montrer, faire entendre, animer et incarner la langue comme elle se montre et s’invente au quotidien. Je prends souvent l’exemple de la gouaille des Tontons flingueurs qui fait marrer tout le monde, même les plus grands défenseurs de la langue, parce que le temps est passé et qu’on peut maintenant en rire. Mais ces mêmes grands défenseurs qui rigolent des Tontons flingueurs vous diront que les jeunes qui écrivent le rap malmènent la langue française.

Ce que l’on veut expliquer, nous à la Cité internationale, c’est qu'il faut faire confiance à une langue. C’est parce qu’on la triture, qu'on la tord, qu’elle reste une belle langue. Sinon, c’est du latin, et c’est une langue morte. Si on fait confiance à ceux qui augmentent la langue française en permanence, alors oui, la langue française va très bien. Il faut y croire. 

 

Quel bilan tirez-vous de la première année de la cité internationale ?

C’est une belle fierté, nous avons eu 240 000 visiteurs en 11 mois. Ça veut dire que la langue est un vrai sujet. C’est un sujet populaire, qui attire les gens. La question de la langue et la question des langues françaises est un sujet extrêmement sexy. Il permet une forme de réconciliation intellectuelle et culturelle. On est libre de faire ce que l’on veut avec la langue, de la réinventer même. C’est ce que l’on fait avec la langue du quotidien, un peu trivialisée. On rit à l’humour des comiques et c’est bien de la langue française. On écoute du rap ou de la chanson et c’est bien de la langue française. 

Il n’y a pas une grande langue et une petite langue. Et cela donne la possibilité à tout un chacun d’être fier de la langue qu’il parle. Et donc de s’ouvrir à d’autres choses. Reconnaître aux jeunes que le rap est une langue française, c’est leur permettre de répondre “si vous considérez que c’est une langue française, ça me donne envie d’aller voir les autres langues françaises”. Je me bats depuis des années pour faire reconnaître qu’il y a dans le rap une matière extraordinaire. Je n’ai jamais vu d’aussi bons passeurs de littérature que les rappeurs eux-mêmes. Sofiane, Vicky R, Disiz, ce sont des gens qui parlent énormément de littérature. 

Il y a réconciliation aussi avec l’idée qu’une langue identitaire c’est un mensonge absolu, c’est une supercherie. On ne peut pas se construire avec une langue restrictive au sens de son évolution ou de ses frontières. Donc l’autre message important qu’on a vu durant ces onze mois c’est que la langue française s’est constituée à travers les siècles et les continents et qu’on utilise au quotidien des mots de toutes les langues et que, quoi qu’on pense, on dort toutes les nuits sur un matelas qui est un mot qui vient de l’arabe. 



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