Rencontre avec Sabrina Jeblaoui, photographe et coach, qui porte depuis 5 ans le projet photographique NachtClubsBerlin.
Des débuts à Berlin sous le signe de la fête et des excès
Sabrina achète son premier appareil à New York à 18 ans. C’est un gros investissement, son seul loisir est donc pendant un moment de faire des photos en permanence ! A l’époque, elle n’a pas vraiment de projet, elle explore son intérêt pour la mode, dans les soirées parisiennes ou dans la rue, en noir et blanc ou en couleur, numérique ou, plus tard, argentique.
Pour autant, à l’époque, si elle aime la photographie, elle ne se considère pas comme une photographe. C’est à Berlin qu’elle va s’autoriser à en devenir une.
En 2013, elle rend visite à sa meilleure amie qui s’est installée dans la capitale allemande. Pendant trois ans, lors de visites régulières, elle découvre la ville. L’espace, les parcs, la verdure, les trottoirs praticables, les logements, cafés et restaurants accessibles aux petits budgets: Berlin ne correspond pas à l’idée qu’elle se faisait de l’Allemagne, elle est séduite. Et aussi, elle découvre la fête. Une fête libre, très différente de la fête qu’elle connaît à Paris.
C’est une bouffée d’air frais, et en 2017, sortant d’une période compliquée, elle décide de s’installer et de profiter de la vie, ce qu’elle n’a pas le sentiment de faire à Paris, dans son 20m2 , avec un budget limité. Et à cette époque, pour elle, profiter, ça veut dire se sentir plus légère, plus elle-même, et surtout, faire la fête.
Ce mélange des genres, cette diversité, cette ouverture d’esprit, c’était beau à voir
Et elle s’amuse. Beaucoup. Sabrina est touchée par la liberté en club, l’ouverture d’esprit, l’incroyable diversité des amateurs de techno, une foule multiculturelle et bigarrée. Son cercle est exclusivement constitué de fêtards, et ses week-ends chargés. Beaucoup de fête, pas mal de drogue aussi.
La fin d’une époque trop festive, le début d’un projet
Avec la fin de l'été arrive un peu d'introspection. Sabrina réalise qu’elle n‘est pas venue à Berlin pour faire la fête non-stop, mais pour être une artiste, faire des photos, explorer son art. Au lieu de ça, elle s’invente une vie de photographe en club, mais la réalité, c’est un boulot la semaine, et la fête le week-end. Il est temps de lever le pied.
Néanmoins, elle a envie de garder le lien avec ce monde. Chaque nuit en club, Sabrina a envie de montrer à quoi ressemble la fête à Berlin - sauf que les photos en club, ça n’est pas autorisé. C'est là que germe l’idée de NachtClubsBerlin : photographier les gens en journée, à la sortie (ou l'entrée !) des clubs.
Son premier essai, 10 photos avec un appareil argentique devant le Berghain, accompagnée par une amie pour lui donner du courage, est un succès : elle trouve des gens qui acceptent de jouer le jeu, et elle s’amuse. Quand elle voit le résultat, elle réalise que c’est exactement ce qu’elle aime faire en photographie.
Le hic, c’est qu’elle n’a pas pris les contacts des gens, mais elle veut les retrouver. Sabrina lance un compte Instagram, suit les personnes et les clubs qui font la fête berlinoise. Petit à petit, ils la suivent en retour, retrouvent leurs amis, le compte grossit - aujourd’hui, il compte 25 300 followers !
Chaque dimanche, fidèle au poste et assidue, elle fait la tournée des clubs berlinois, pas uniquement le Berghain ou Sisyphos. Le projet prend de l'ampleur, elle commence à avoir de la presse, participe à un documentaire sur ARTE.
NachtClubsBerlin dépasse d’ailleurs le cadre des photos que Sabrina prend. Sur Instagram, elle interpelle ses followers via ses stories, en leur demandant de partager selfies, looks, leur expérience de dating à Berlin, elle parle aussi de drogue, sensibilise au GHB… une vraie communauté.
J’avais envie de montrer les bons côtés de la fête, le côté lumineux, loin des clichés, montrer les gens, qui certes font la fête et se droguent, mais cela ne les définit pas.
NachtClubsBerlin fédère. Il rappelle des souvenirs, donne envie à ceux qui n’ont pas encore expérimenté la fête berlinoise, montre l'extraordinaire diversité - des gens, des races, des cultures, des âges, des statuts sociaux, des métiers. L’essence de Berlin. Il n’y a pas UN dress code, on peut avoir des petites lunettes et une chemise et rentrer au Berghain. Sabrina s’applique d’ailleurs à varier les styles, pour pour montrer l’universalité de la techno : qui qu’on soit, on peut être accepté.
Elle a aussi, de part son histoire personnelle et familiale, envie d’en découdre avec le cliché stigmatisant des drogués dark qui hantent les clubs de la capitale. Elle montre la réalité, le côté lumineux des clubs, qui ne sont pas qu’un lieu de perdition. On peut certes s’y perdre, mais on peut aussi s’y trouver : la fête qui rassemble, libère du jugement, ouvre les esprits, crée des opportunités, permet aux gens de s’assumer.
La photographie, une question d’esthétique, mais surtout de connexion
Pour Sabrina aussi, ce projet a des vertus thérapeuthiques - elle devient observatrice plutôt qu’actrice, et a désormais une approche de la fête plus raisonnée, et un peu par procuration !
L’aventure NachtClubsBerlin l’a poussée à se dépasser, à prendre confiance en elle. Ça n‘est pas si évident d’aborder des inconnus, même si aujourd’hui, la notoriété du projet lui facilite un peu la vie. Sabrina alpague, interpelle, fait des grands gestes, des blagues. Pas le moment d’avoir une énergie un peu basse quand on approche des gens devant un club - et justement, cette approche, c’est une grande partie du succès du projet ! Si elle essuie quelques refus, une majorité dit oui.
Quand on me dit oui, cela veut dire oui, je te laisse voir ma vulnérabilité, et j’ai l’impression qu'à chaque fois, c’est un cadeau.
Sabrina choisit intuitivement. Bien sûr, elle essaye de trouver des gens représentatifs de cette fameuse diversité, donc pas un seul style. Mais elle va surtout chercher la connexion. Comme les photos sont argentiques, cela nécessite de créer très rapidement la bonne atmosphère, parce qu’on ne fait pas 1000 photos en 20mn de shooting, on a seulement une ou deux opportunités.
Ce choix de l’argentique n’est pas un hasard. Sabrina est particulièrement attachée au côté documentaire de la photo, la retranscription fidèle d’un moment, de la réalité, sans artifice, brute, et le rendu de l’argentique, avec son grain, ses couleurs particulières, restitue bien la réalité, esthétiquement parlant. C’est aussi tout un process intéressant, d’attendre que les photos soient développées, de ne pas avoir de visibilité immédiate !
Ce côté documentation de la vraie vie, Sabrina le cultive. Inspirée par l'esthétisme de Nan goldin, Joel Meyerowitz, Tom Wood ou encore Sophie green, c’est là qu’elle excelle. Elle part littéralement à la chasse aux photos, avec un but. Elle approche les gens dans la rue, immortalise cette connexion éphémère, ce moment de chaleur humaine, d’échange. Évidemment, il y a une dimension esthétique, mais elle est imbriquée à l’échange d’énergie entre deux êtres humains.
Certaines photos ne marchent pas - esthétiquement, énergétiquement. Mais quand Sabrina est dans le flow, connectée à elle-même et au monde qui l’entoure, c’est un cercle vertueux : les gens acceptent facilement d’être photographiés !
Sabrina avoue avoir une histoire un peu chaotique avec Berlin, elle a déjà souvent pensé à partir, mais quelque chose la retient. Et c’est tant mieux, parce qu’il semble que la ville et elle, cela fonctionne vraiment, artistiquement. Avec NachtClubsBerlin bien sûr, mais aussi un tout nouveau projet, une série sur Mauerpark.
Ce parc qui résume si bien Berlin, cet incroyable microcosme remplit de l’essence de la ville, avec ses familles rassemblées autour d’un barbecue, des grapheurs, des skateurs, des musiciens, des enfants, des ados, des adultes, des performers, des joueurs de pétanque, des yogis, slackliners, un karaoké géant, des puces, des mini-raves improvisées… Pour le coup côté diversité, on est servi, et c’est en effet un immense terrain de jeu dont Sabrina commence à peine l’exploration, et les premières photos sont déjà très prometteuses !
Retrouvez Sabrina sur Instagram avec son projet NachtClubsBerlin et encore plus de photos, notamment la nouvelle série Mauerpark, sur son compte personnel, ou sur son site web.
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