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L’Hôtel des Autrices : un projet altruiste et féministe

Hôtel des Autrices 2023Hôtel des Autrices 2023
Présentation de la résidence 2023 de l'Hôtel des Autrices ©Hôtel des Autrices
Écrit par Sandra Champroux
Publié le 31 juillet 2023

L’Hôtel des Autrices est un dispositif qui explore de nouvelles façons d’écrire et de diffuser l’écriture. Il est tout à la fois un sujet littéraire, un espace de création, un objet artistique et une proposition politique. C’est un lieu de retrait, de rencontres et de transmission. Fondé par des femmes francophones à Berlin, l’Hôtel des Autrices est bilingue franco-allemand et entièrement virtuel. 

 

Créé en 2020, pendant le premier confinement, par le Réseau des Autrices, l’Hôtel des Autrices est un projet de résidences numériques d’écriture. Delphine de Stoutz, la directrice artistique, et Agnès Guipont - connue sous le nom d'artiste d'Ann Gaspe - une des fondatrices aujourd’hui résidente de l’Hôtel, racontent la genèse de ce projet ainsi que sa philosophie.

 

La création d’une résidence littéraire pendant une pandémie mondiale

En 2019, Delphine de Stoutz proposait à des femmes francophones résidant à Berlin et amatrices de littérature de se retrouver dans un café pour échanger sur leurs projets. L’association Le Réseau des Autrices naissait quelques mois plus tard et avec elle, l’idée de rassembler les autrices francophones de Berlin pour les aider à se professionnaliser, promouvoir leur travail et créer des ponts entre la scène littéraire franco et germanophone à Berlin, et au-delà. 

 

L'idée de développer des chambres à soi pour l'écriture a très vite germé. Et c'est ainsi que six membres (Marie-Pierre Bonniol, Dorothée Fraleux, Laurence Barbasetti, Agnès Guipont, Stéphanie Lux et Delphine de Stoutz) s'y sont attelées. 

 

En septembre 2020, l’Hôtel des Autrices voit alors le jour avec une première résidence expérimentale. À l’origine, les autrices avaient imaginé des espaces physiques de résidence mais le premier confinement de mars a tout chamboulé. L’association s’est alors équipée numériquement pour créer un concept inédit de résidences d’autrices à distance. 

 

Si les débuts étaient stressants, aujourd’hui les fondatrices voient ces aléas comme une chance qui leur a permis de créer un hôtel en mouvement, qui se réinvente en permanence.

 

 

 

 

Un projet pour booster l’entreprenariat féminin et la coopération dans la littérature

Selon les mots de Delphine de Stoutz, l’Hôtel est né d’une « interrogation sur les espaces d’écriture pour les femmes : les lieux physiques, les moyens financiers et leur temporalité ». Problème systémique, le confinement a exacerbé la peur pour les femmes de replonger dans le rôle du « care » à travers la gestion familiale et d’abandonner les terrains conquis : « Les femmes ont plus de mal à se dégager du temps pour écrire entre le travail et la famille. Par ailleurs, la pandémie a permis de faire entendre des paroles à la marge. L’Hôtel des Autrices répond à ces deux besoins. »

 

L’Hôtel a alors créé un lieu où, depuis chez soi, on peut fermer la porte et se retrouver dans un espace de création : « Vous êtes payées pendant le mois de résidence donc ça aide à se concentrer pleinement sur son travail, à fermer symboliquement la porte, à obtenir une chambre à soi. Il y a très peu de financements pour écrire en dehors des résidences et elles sont souvent accordées à des gens déjà établis dans le milieu de la littérature. Il y a finalement peu d’espaces pour les auteurices émergent·e·s et ces espaces ne sont pas toujours adaptés aux réalités socio-économiques. Le serpent se mord vite la queue. ».

 

Le projet a été pensé et construit par des femmes de 40-50 ans avec des enfants, ce qui a des conséquences sur l’écriture et le concept de résidence puisqu’elles sont moins à même de se déplacer. Malgré tout, aujourd’hui les participantes ont des âges plus divers, et des réalités économiques et sociales différentes : « On accueille beaucoup d'autrices de la communauté LGBTQIA+ mais on aimerait également y accueillir davantage de personnes BIPOC (Black, Indigenous and People Of Colour) », ajoute Agnès Guipont. 

                                                                         

La philosophie derrière l’Hôtel des Autrices, c’est également de rapprocher les notions de projet intime et projet collectif, de remettre le collectif dans une pratique intime et d’aller contre le repli sur soi pour créer des ponts entre les pratiques artistiques, les langues, les autrices…

 

 

Échanger avec les autres autrices, ça permet de se décoller de son travail et d’ouvrir des portes sinon la matière reste trop sclérosée.
- Ann Gaspe, résidente

 

En somme, si les autrices sont en résidence pour réaliser leur projet personnel, elles le nourrissent en interagissant entre elles : « Échanger avec les autres autrices, ça permet de se décoller de son travail et d’ouvrir des portes sinon la matière reste trop sclérosée. La structure collective nous permet de nous entraider à poursuivre nos projets individuels ainsi que de nous accompagner mutuellement dans nos démarches vers des maisons d’édition, pour postuler à des résidences, des concours, ou encore des appels à texte. ».

 

 

 

Diffuser la littérature francophone à Berlin 

Delphine a été claire lorsqu’elle a présenté l’Hôtel : ici, on représente la francophonie, pas la France ! 

 

Afin d'élargir son amplitude de pensée et de créer un modèle européen qui change les paradigmes, l'Hôtel est d'une part devenu un acteur important de la scène indépendante (Freie Szene) berlinoise et multiplie les collaborations avec les institutions sur place, mais se développe aussi à l'étranger.

 

 

Ici, on représente la francophonie, pas la France !
- Delphine de Stoutz, directrice artistique

 

Mais là où le projet innove d’autant plus, c'est à travers son partenariat avec trois autres villes : La Marelle à Marseille, le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris (qui émane de Wallonie-Bruxelles International), et les Productions Rhizome à Québec. Cela a du sens compte tenu de la nature numérique de la résidence et de la volonté de représenter la langue française et non l’hexagone. Chaque ville choisit alors une des quatre candidates qui entrera en résidence. 

 

 

Une candidate parfaite pour l’Hôtel des Autrices, selon Delphine, c’est une écriture et une voix forte. Le but est aussi que la résidence ait quelque chose à apporter à l’autrice dans son parcours professionnel, qu’elle lui fasse prendre des risques et tester de nouvelles choses. Elles doivent présenter le projet sur lequel elles souhaitent travailler dans l’Hôtel, ce qu’elles ont envie d’explorer et évidemment montrer qu’elles ont compris la philosophie du lieu. Chaque candidate choisie aura un impact sur le choix de la candidate suivante, de sorte que chaque « promotion » de l’Hôtel est une alchimie complexe.

 

 

Un concept qui a donné du fil à retordre administrativement 

 

Une résidence littéraire numérique, c’est inédit et ça ne rentre donc dans aucune logique de financement publique : « En France ou en Allemagne, on reconnaît la littérature par rapport à son média qu’est le marché du livre. Alors qu’au Québec par exemple, il existe la notion « d’arts littéraires » qui considère la littérature en tant qu’art et non bien », explique Delphine de Stoutz. 

 

Un autre point auquel on ne pense pas forcément, c’est que les notions de liberté d’expression, d’art et les contrats des droits d’auteur sont différents d’un pays à l’autre. En Allemagne par exemple, il y a un vrai statut de la rémunération de la prestation scénique. Si harmoniser le tout est une gageure, cela permet également de tester les limites de la création littéraire au niveau européen et de faire avancer les choses.

 

 

Maquette fictive de l'Hôtel des Autrices
Maquette fictive de l'Hôtel des Autrices ©Marie-Pierre Bonniol

 

 

Une promotion 2023 de haut niveau 

 

Pour la résidence de cette année, plus de 140 candidatures de grande qualité ont été déposées pour 4 sélectionnées.

 

Le projet se divise en deux temps : un mois dédié à l’écriture en mai et une création in situ à Marseille en décembre.

 

Pendant la résidence d'écriture, chaque autrice est accompagnée d'une lectrice attitrée qui l’aide à garder le cap sur le projet, à poser des questions quand l’écriture est encore obscure. Cela est d’autant plus utile car la résidence est courte. 

 

La résidence 2023 travaille sur le thème de l’intimité de l’écriture dans une dynamique collective, ce qui donne lieu à des pratiques pluridisciplinaires. 

 

L’autrice marseillaise, Gorge Bataille aka Elodie Petit, fait partie l’avant-garde queer francophone et travaille notamment sur l’affichage sauvage. Artiste à la voix imposante, elle a mis la barre haute pour la sélection des suivantes. 

 

Gorge Bataille aka Elodie Petit
Gorge Bataille aka Elodie Petit ©Gaelle Matata

 

Venue du Québec, Sarah-Louise Pelletier-Morin écrit une thèse à l’université de Montréal sur les grands scandales du théâtre contemporain. Poète la nuit, elle s’intéresse aux conditions de la création, qu’elle interroge à partir de sa propre expérience et de celle des autres résidentes à travers des monologues intérieurs.

 

Sarah-Louise Pelletier-Morin
Sarah-Louise Pelletier-Morin ©Marc-Etienne Mongrain 

 

L’autrice belge est Maud Marique. Déjà présélectionnée en 2021, elle intègre aujourd'hui l'Hôtel en y apportant son expertise sur les écritures numériques et crée un pont entre les projets passés et ceux de cette année.

 

Maud Marque
Maud Marique ©Lou Verschueren

 

Enfin, l’autrice berlinoise choisie pour la résidence 2023 n’est autre qu’une des fondatrices du Réseau des Autrices, à savoir Ann Gaspe. Le projet sur lequel elle travaille dans l’Hôtel explore la relation entre l’allemand et sa langue maternelle, le français, au travers de son histoire familiale.

 

Ann Gaspe
Ann Gaspe ©Graham Hains 

 

Cette année, Delphine confie que l’Hôtel réunira les autrices à Marseille en décembre pour travailler in situ et présenter leur travail commun aux Mercredis de Montevideo, ainsi qu’au festival Promesse de l’aube à Aix-en-Provence. 

 

Les travaux réalisés dans l’Hôtel seront également publiés sur leur plateforme dès l’automne, en français et en allemand. 

 

 

  

De fondatrice à autrice en résidence à l’Hôtel : le parcours d’Ann Gaspe

Ann Gaspe fait partie des membres fondatrices du Réseau et de l’Hôtel. Mais cette année, elle a troqué cette double casquette pour celle d’autrice en résidence.

 

Depuis le tout début du projet, elle a fait partie des autrices francophones vivant à Berlin invitées par Delphine de Stoutz à se retrouver régulièrement au Café Plume à Neukölln.  

 

Comme beaucoup d’autres membres actives du projet, Ann Gaspe occupe un rôle multi-tâches au sein du Réseau des Autrices : gestion et développement des activités de l’association mais aussi relecture, accompagnement des autrices ou création en commun de dispositifs à l’intérieur de l’Hôtel, participation aux évènements littéraires scéniques ou numériques du projet.

 

Formée initialement au théâtre (École Jacques Lecoq), elle a publié deux recueils de poésie à Paris avant d’emménager à Berlin en 2002, puis a perfectionné sur le tard sa pratique musicale pour réunir aujourd’hui ces trois disciplines dans les projets qu’elle initie.

 

Je traverse des moments « d’hallucinations sémantiques », c’est-à-dire que sous la vraie signification des mots, il m'en apparait involontairement une autre que je sais totalement liée à mon histoire familiale passée et présente.
- Ann Gaspe, autrice résidente 

Issue d’une double culture franco-allemande du côté de sa mère, Ann Gaspe s’est installée à Berlin en 2002, avec la volonté de nouer un lien plus privilégié avec l’Allemagne. Son lourd passé familial a empêché la transmission de la langue allemande à sa génération, mais aussi de l’histoire de la famille pendant la 2ème Guerre mondiale : celle d’Allemands partisans du nazisme précipités dans un exode massif à l’arrivée de l’Armée rouge à la fin de la guerre.

 

Ann Gaspe a débuté un projet littéraire sur cet épisode de son histoire familiale il y a trois ans. Une bourse du Sénat lui a été octroyée pour faire des recherches sur sa famille et sur des faits historiques dont on parle peu car ils sont aujourd’hui encore sujets à controverse : la fuite de la population civile allemande des territoires de l’Est devant l’Armée rouge, épisode historique en réalité traumatique mais qui a pu sembler dérisoire lorsqu’on le compare aux victimes du nazisme. 

 

L’autrice cherche à rassembler les morceaux de son histoire familiale sous une forme poétique, en travaillant sur la mémoire transgénérationnelle (résonance des souvenirs non transmis ou non verbalisés d’une génération dans les suivantes). Elle interroge sa perception la plus intime de la langue allemande en réalisant ce qu’elle appelle « un glossaire subjectif » où elle explique comment certains mots allemands perdent leur sens premier dans sa perception : « Je traverse des moments « d’hallucinations sémantiques », c’est-à-dire que sous la vraie signification des mots, il m'en apparait involontairement une autre que je sais totalement liée à mon histoire familiale passée et présente. ».   

 

 

Informations utiles 

Pour en savoir plus sur le Réseau des Autrices ou devenir membre, rendez-vous sur leur site 

 

Leurs réseaux : Twitter  / Instagram / Facebook / Youtube 

 

Pour être membre du Réseau des Autrices et participer à leurs ateliers, la cotisation est de 40€ par an. 

 

L’appel à texte pour le prochain podcast, intitulé « Ma pire nuit », et en cours jusqu’au 1er juin. 

 

La prochaine Lesebühne aura lieu le 14 juin à Oblomov sur le thème « la vie en rose » avec Bo Ferret et la Chanteuse du bar en maîtresses de cérémonie.

 

 

 

 

 

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