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Entretien entre strip et politique avec Martini Cherry Furter

Une figure incontournable du Cabaret Burlesque à Berlin. Depuis ces six dernières années, tous les événements dont Martini Cherry est à l’affiche font salles combles. Sa rencontre nous embarque dans une ivresse folle, tout comme le cocktail du même nom. 

martini cherrymartini cherry
Écrit par Maïmouna Coulibaly
Publié le 18 avril 2024, mis à jour le 3 mai 2024

Vous reprendrez bien un Martini Cherry  ?

Plus exactement Martini Cherry Furter. Elle a emprunté le nom de famille du Docteur Frank-N-Furter, celui qui crée des êtres parfaits dans le film culte américain des années 70 The Rocky Horror Picture Show. Cherry, en clin d'œil à l’expression Haïti Chéri et Martini en référence à son île d’origine.

Je suis née et ai grandi à la Martinique jusqu'à mes 22 ans. Je me suis formée au théâtre latino-américain avec Yoshvani Medina où la voix, le corps et l’espace sont au centre du travail. Grâce à cette compagnie, j’ai enchaîné les représentations au Festival Off d’Avignon et à La Chapelle du Verbe Incarnée notamment, entre 2006 et 2009.

 

 

 

Martini poursuit ses cours de théâtre à Paris pendant deux ans au WRZ Théâtre. Elle me confie : “Pendant cette période, je ne vivais que dans le noir. De la boîte noire d’une salle de théâtre, à ma chambre, où j’avais peint tous les murs de la même couleur”. Malgré le fait qu’on apprécie son talent, elle n’est retenue dans aucun concours. Elle décide donc d’aller tenter sa chance à Lyon en commençant par être ouvreuse au Théâtre des Célestins. Les expériences artistiques ne sont pas plus convaincantes. 

Ne se décourageant pas, Martini provoque son destin le jour où elle se présente en Drag au Gus Café, là où elle commence le burlesque. L’équipe adore et lui propose d’animer les soirées de ce thème. “C’est un succès sans précédent. Le public en est fou et le show part rapidement en tournée. Je travaille en parallèle mon projet de théâtre perso.” 

 

Cofondatrice du premier club Burlesque de France 

Elle nous emmène maintenant à Lyon, en 2014. Avec une amie, elles transforment un loft en cabaret dans l’ambiance Speak Easy, ces bars des années 20-30 où il était recommandé de “parler doucement” à cause de la prohibition. “Les meilleurs performers y passent : plus d’une centaine de 30 nationalités différentes et 3000 visiteurs, en deux ans et demi.

Le nom de ce lieu de toutes les rencontres ? Le TT Twister, en référence au bar du film culte Une Nuit en Enfer interprété, co-scénarisé et produit par Quentin Tarantino. Dans ce film, la sublime Salma Hayek nous livre une des danses les plus sensuelles avec un serpent albinos autour du cou, pour mieux nous charmer, avant de se transformer en vampire hideux assoiffé de chair fraîche. 

Il y a, dans le travail de Martini, tout cet aspect de mutation et de transformation. Passer du masculin au féminin. De la vie à la mort. Une renaissance. Le tout avec une intense sensualité. À l’image des deux films d’horreur dont elle s’inspire pour son nom et celui de ce club.

 

 

Malgré le succès du TT Twister à Lyon, il doit fermer ses portes en 2019. Martini ne s’y retrouve pas financièrement, ni humainement dans une France où la politique lui laisse de moins en moins d’espoir. 

Martini fait sa première scène burlesque à Berlin en 2016 lors de la Berlin Burlesque Week pour y présenter une soirée en anglais au SAGE Beach Restaurant où un bateau fait office de scène et le public est installé sur la plage. Mais elle ne s’identifie pas aux Drag Queens berlinoises. Elle décide de rester fidèle à son authenticité et de continuer à développer son personnage avec ses propres valeurs et artifices. Ce qui la rend unique en son genre.

Son talent est si vite repéré que la famille Burlesque l’accueille les bras grands ouverts. Martini décide de poser ses valises à Berlin en 2017. La rencontre avec Pansy, Drag Queen de Berlin est déterminante. Pansy dirige la House of Presents. Chez Pansy va bientôt ouvrir ses portes. Une soirée spectacle levée de fond aura lieu le 24 Mai 2024. "Les soirées Lunacy font partie des événements burlesques qui m'ont permis de mettre du pain sur la table."

 

Berlin, ville de tolérance et d’acceptation

Martini Cherry Furter se retrouve tout à fait dans cette ville, véritable capitale de l’Europe. La ville la plus ouverte. La plus accueillante. Terre de toutes les possibilités.

Ce qui me touche est mon rapport à la scène, à l’autre." nous explique celle dont le métier est aussi la passion. "J’utilise mon corps comme un moyen d’expression. Je suis rarement le sujet de ce que je présente sur scène. J’aime pousser l’autre à se poser des questions, à être différent après l’interaction, à se repositionner dans la société.”

Quand je lui demande si je dois la présenter au féminin ou au masculin, elle me dit qu’elle laisse le choix à ses interlocuteurs d’utiliser l’article qui leur convient. Et que c’est quelque chose qui en dit plus sur la personne qui l’emploie. J’ai décidé d’utiliser l’article féminin car je trouve que Martini dégage une énergie féminine très puissante et réconfortante. 

Ce que Martini retrouve à Berlin qu’elle n’avait pas en France, c’est l’acceptation.  “En général on tolère une douleur, un voisin bruyant. Ce que j’ai trouvé à Berlin, c’est l’acceptation. Ici, on accepte l’autre tel qu’il est. C’est inscrit dans la veine du Berlinois. Et Berlin attire tout le monde. La vie nocturne est très vive. La littérature et la philosophie sont des arts qui font également briller la capitale. Mais…” elle reprend son souffle. « …Berlin est une ville qui évolue très vite. Il y a encore 30 ans, elle était divisée en deux. Aujourd’hui, il y a des autoroutes en construction, ce qui pourrait de nouveau fendre la ville. » observe Martini Cherry.

 

Parler des sujets tabous ?

L’Allemagne est le leader de l’Europe. Elle est exemplaire. Elle a toujours su faire face au capitalisme en restant ce pays culturelle où l’humain passe avant tout. Aujourd’hui, elle a du mal à supporter la pression et les partis de droite progressent.
D’un point de vue extérieur, Martini déplore que le travail de dénazification n’a pas été fait. Quand des manifestations pro-palestiniennes pour un cessez-le-feu sont interdites, celles des partis nazis sont permises et protégées par la police. La Namibie est en procès avec l ‘Allemagne depuis 20 ans et on n’en parle pas. Martini soutient : « On ne répare pas les fautes du passé par le silence. » 

 

On ne répare pas les fautes du passé par le silence.

 

En arrivant à Berlin en 2017/18, des réunions sur l’appropriation culturelle se font dans le milieu du Burlesque. Après la mort tragique de Georges Floyd par un policier blanc des USA, l’appropriation culturelle est devenu un sujet mondial. En mettant en cause la responsabilité de l’Homme Blanc, plusieurs personnes qui faisaient mine de comprendre, ont préféré s’éloigner de ce sujet : « Comment faire pour combattre le racisme dans ces cas-là ? » se demande Cherry.

Elle ne se retrouve plus entièrement à Berlin. Malgré le fait qu’elle soit entourée de personnes extraordinaires et soutenue par le public, elle ne veut pas être la nouvelle Joséphine Baker : l’attraction exceptionnelle pendant que des atrocités sont commises sur d’autres personnes noires. Comme les zoos humains à l’époque de Joséphine. “Je suis intéressée par les valeurs.” me confie-t-elle.

 

 

« Cette ville est si puissante que je ne peux m’en détacher. Je pars explorer une autre culture, comme le Japon, et pourquoi pas l’Afrique. Je suis arrivée à Berlin à cause de la montée de l’extrême droite en France. Je m’étais dit que si ça se passait en Allemagne, je quitterai l’Europe. » Martini se sent démunie pour affronter tous ces aspects politiques. Elle reconnaît qu’en tant que stripper, elle ne peut pas changer grand-chose. 

Le discours de Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations Unies dans son discours sur « l’Anatomie d’un génocide » bouleverse Martini. “Il y a une schizophrénie et une paralysie sociétales, les gens préfèrent fermer les yeux parce qu’ils ne se sentent pas concernés. En partant du déni, on en arrive à de la mauvaise foi.” C’est aussi ce que déplore la musicienne Laurie Anderson dans un article du New York Times intitulé Berlin était un phare de la liberté artistique. Gaza a tout changé de Jason Farago.

La scène artistique en Allemagne - et surtout à Berlin - a été bouleversée par les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre et le siège et le bombardement de Gaza. (...) Un climat de peur et de récrimination met en péril le statut de capitale culturelle internationale de Berlin plus que jamais depuis 1989. »

Martini précise : « J’ai envie de donner plus de sens à mon art et à ce que je fais que ce qu’il m'est accordé d’accomplir à Berlin. Je vais tout de même y revenir. J’y ai des attaches précieuses. » Pour moi, c’est une très belle nouvelle de savoir que Martini Cherry Furter viendra pour nous offrir de magnifiques scènes, avec de nouveaux sens venus d’ailleurs qui tenteront de faire avancer les choses à son niveau.

La question se pose maintenant aux personnes qui ont des privilèges : “Que faites-vous ? Des solutions sont possibles si tout le monde pouvait se sentir concerné.” 

 

 

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