Longtemps critiquée pour sa position dans la crise ukrainienne, l’Allemagne clarifie son discours pour convaincre ses alliés et s’imposer diplomatiquement en vue des visites d’Olaf Scholz à Moscou.
L’Allemagne secouée par les critiques dans la crise ukrainienne
« Berlin, on a un problème ». Dans une dépêche confidentielle révélée par le journal allemand Der Spiegel, Emily Haber, ambassadrice allemande à Washington, rend compte par ces quelques mots de l’image dont souffre l’Allemagne aux États-Unis. Elle enfonce le clou quelques lignes plus tard, rapportant que son pays est considéré comme « un partenaire peu fiable » qui « couche[r] avec Poutine ».
Joe Biden, qui a reçu Olaf Scholz le lundi 7 février, a tenté de désamorcer la situation en évoquant l’Allemagne comme un allié « totalement fiable » d’après des propos rapportés par le Tagesschau. Pourtant, bien que durs, les mots utilisés dans le memo d’Emily Haber sont le reflet du sentiment qu’a laissé l’Allemagne dans la gestion de la crise Ukrainienne.
Pour rappel, la Russie a amassé plus de 100 000 militaires à la frontière avec l’Ukraine laissant craindre une invasion. Les États-Unis ont réagi en plaçant 8 500 militaires en état s’alerte ainsi qu’en soutenant l’Ukraine à hauteur de 200 millions de dollars. Alors que plusieurs pays aident l’Ukraine à s’armer, le Kremlin a fait part de ses exigences pour amorcer une désescalade. Le pays souhaite que l’OTAN ne puisse plus s’élargir et même qu’elle revienne à ses frontières de 1997, synonymes d’un retrait des forces armées étrangères présentes en Roumanie et en Bulgarie. La Russie de Vladimir Poutine demande également aux Américains et à leurs alliés de cesser toute ingérence militaire dans les pays de l’Est. Des demandes jugées inacceptables par l’Union européenne comme pour les États-Unis qui cherchent une sortie de crise par la diplomatie.
La nouvelle coalition, prise dans cette tornade diplomatique internationale, s’est donc retrouvée sous le feu des critiques pour son discours peu tranché et son manque d’action. Si certains pays ont déjà commencé à livrer des armes à l’Ukraine, Berlin s’y refuse toujours. Le pays a, par ailleurs, répondu par la négative à l’Estonie qui voulait réexpédier en Ukraine des armes achetées à l’Allemagne. Cette décision a déçu en Ukraine, où le maire de Kiev, Vitali Klitschko, qualifie ce choix de « non-assistance à personne en danger » et de « trahison », comme le rapporte Le Monde.
Les propos du chef de la Marine allemande, relayés sur les réseaux sociaux à la même période n’ont, en outre, pas aidé l’Allemagne à affirmer ses positions dans la crise. Le vice-amiral Kay-Achim Schönbach a en effet qualifié « d’ineptie » l’idée que la Russie puisse envahir l’Ukraine, arguant qu’il « est facile de lui [Vladimir Poutine] accorder le respect qu'il veut, et qu'il mérite aussi probablement" comme l’explique France 24. Il a depuis présenté sa démission.
Enfin, l’Allemagne est accusée de complaisance à l’égard de la Russie par son long refus de faire pression sur le Kremlin avec le gazoduc Nord-Stream 2. Ce projet, dont la construction est terminée mais qui n’est pas encore en activité, doit permettre à la Russie d’approvisionner l’Allemagne et l’Europe en gaz, sans passer par l’Ukraine. S’il s’agit d’une manne financière importante pour la Russie et donc d’un levier de négociation, Nord-Stream 2 est aussi très attendu en Allemagne. Le pays, qui doit fermer ses dernières centrales nucléaires cette année, s’est en effet engagé pour que le gaz soit reconnu comme une énergie verte par la Commission européenne et l’utiliser ainsi massivement pour sa transition énergétique.
Berlin trouve ses marques mais reste fidèle à l’opinion allemande
Suite à cette avalanche de critiques, Berlin s’est mis à l’unisson pour clarifier ses positions et rassurer ses alliés sans pour autant renier ses convictions premières, appuyées par l’opinion générale.
Selon un sondage YouGov, 59 % des Allemands ne sont pas favorables aux livraisons d’armes en Ukraine. Le fil rouge suivi par le gouvernement est donc soutenu par la majeure partie de la population. En effet, si les reproches pleuvent sur cette décision, l’Allemagne est en proie à un arbitrage complexe plutôt favorable au non-armement de l’Ukraine.
La ministre des Affaire étrangères, Annalena Baerbock, a en effet expliqué combien il est difficile pour l’Allemagne, à la lumière de l’histoire, de fournir des armes destinées à servir contre les Russes. L’invasion par le IIIe Reich de l’Union soviétique durant la Seconde Guerre mondiale a été un traumatisme et les dizaines de millions de victimes dans le camp soviétique pèsent aujourd’hui encore dans les décisions prises par l’Allemagne. Par ailleurs, le désarmement est un sujet récurrent dans l’opinion publique allemande et une décision d’armer l’Ukraine, au-delà de l’efficacité nuancée que cela pourrait avoir, irait à contresens de la politique traditionnelle de restriction des exportations d’armes. « Elle s’est attiré une réponse cinglante de son homologue ukrainien qui lui a répondu que l’argument historique valait aussi pour les millions de victimes ukrainiennes du nazisme. » rapporte ainsi France Inter.
L’Allemagne a cependant décidé d’agir à sa manière au sujet de la situation en Ukraine. Ce sont tout d’abord 5 000 casques qui ont été envoyés en Ukraine plutôt que des armes, ainsi qu’un hôpital de campagne prévu pour février. Ces propositions ont provoqué des réactions en Ukraine, où l’on estime que ces efforts sont insuffisants.
Par ailleurs, Christine Lambrecht, ministre de la Défense allemande, a annoncé lundi 7 février l’envoi de 350 soldats allemands supplémentaires en Lituanie pour une mission de l’OTAN. L’organisation renforce ainsi sa présence en Europe de l’Est, signe que si la diplomatie reste le moyen privilégié, l’utilisation de la force n’est pas exclue. Ces militaires viendront donc s’ajouter aux 500 soldats allemands déjà sur place dans le cadre de cette mission.
Enfin, le chancelier Olaf Scholz s’est exprimé sur le sujet du gazoduc Nord-Stream 2, assurant qu’il pourrait faire partie des sanctions appliquées à la Russie en cas d’invasion de l’Ukraine. À l’occasion de la rencontre entre les deux hommes, Joe Biden s’est également exprimé sur le sujet affirmant que "si la Russie envahit (l’Ukraine), cela veut dire des chars et des troupes qui traversent la frontière de l’Ukraine, encore une fois. Alors il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin." relate Le Figaro. Moins direct, Olaf Scholz a qualifié les deux pays comme « unis » en indiquant qu’il ne fallait pas tout « mettre sur la table », sous-entendant qu’il s’agissait là d’un argument d’ultime recours.
Olaf Scholz sera à Kiev et Moscou les lundi 14 et mardi 15 février pour tenter d’apaiser la crise et d’en sortir à terme de manière diplomatique. Il suit ainsi la décision prise par Emmanuel Macron de se rendre dans les deux capitales le 7 et 8 février. Le président français a ainsi été le premier chef d’État occidental à se rendre sur place pour évoquer la crise en cours. Au-delà de la mise en scène organisée pour la rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron (chacun à une extrémité d’une table gigantesque), les choses semblent bouger lentement. En effet, Moscou se serait engagée à ne plus amasser de militaires à la frontière et à faire repartir en Russie les soldats en exercice en Biélorussie. Malgré cela, Vladimir Poutine n’a pas hésité à rappeler la puissance de feu nucléaire que possède la Russie pour la première fois lors de négociations autour d’un conflit. Un dialogue terrifiant par son symbole, celui d’un retour en arrière et de l’histoire qui se répète.
Olaf Scholz a donc beaucoup à faire dans les semaines à venir, notamment en prévision d’un sommet à 4, format Normandie, entre les chefs d’États de la France, de l’Allemagne, de l’Ukraine et de la Russie.
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