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Bertrand Massanes (Little Buddha), gourou du design en Espagne

Bertrand MassanesBertrand Massanes
Pour Bertrand Massanes, créer Little Buddha c'était aussi "apporter un souffle frais au secteur des agences" / DR
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 17 octobre 2021, mis à jour le 10 janvier 2022

Pourquoi se rend-on dans un magasin plutôt que dans un autre ou choisit-on tel ou tel produit parmi une multitudes d’articles similaires ? Derrière cette décision apparemment anodine se cache une savante stratégie de marque. Un des gourous du design en Espagne, Bertrand Massanes, nous raconte son expérience depuis qu’il a posé sa valise à Barcelone il y a 15 ans.

 

Qui pourrait imaginer qu’un Français est derrière le changement de look de la célèbre marque de pâte à tartiner Nocilla, qui a entraîné une croissance de plus de 30% de ses ventes ? Et le fait est que "le design est l'ambassadeur silencieux d'une marque". Cette phrase de Paul Rand, le grand maître du design graphique, résume parfaitement la pensée de Bertrand Massanes, fondateur et associé directeur de l'agence Little Buddha, basée à Barcelone. 

Retravailler le nom ou le packaging peut en effet être la clé pour qu’un consommateur choisisse un produit parmi une dizaine d’autres. Mais avant de créer Little Buddha, cet expatrié au long cours a travaillé pour de grandes multinationales comme Danone, Reckitt ou Havas. Il a atterri à Barcelone, ville qu’il adore et où il a définitivement –ou tout du moins depuis quinze ans- posé ses valises.

little buddha nocilla
Qui pourrait imaginer qu’un Français est derrière le changement de look de la célèbre marque de pâte à tartiner Nocilla ?


Comment êtes-vous arrivé à Barcelone ?

Je suis arrivé à Barcelone pour me “muscler” en marketing dans la dream team de Juanjo Perez-Cuesta. Et je suis finalement resté, contrairement à mes projets de jeune célibataire de faire le tour du monde, car je suis devenu papa et ça a changé ma perspective et mes priorités. 

A Barcelone la vie est assez facile. Je suis toujours allé travailler à pied ou en vélo. Au début, je passais pour un dingue de me rendre à Danone en vélo ! Barcelone est un gros village, la météo est idéale, mes parents vivent à 2h30 de route, la mer est à 10 minutes à pied de chez moi, et la culture espagnole me plaît. 

Londres et Paris étaient beaucoup plus riches culturellement, avec tant d’expo internationales, de théâtres, etc. et plus ouvertes socialement, mais l’Espagne est le pays où sont nés mes enfants et c’est leur base.

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Le bilan est clairement positif. Pour l’immense majorité des Français qui sont partis vivre en Espagne, la réalité dépasse même leurs attentes et de nombreux clichés tombent. Qualité et coût de la vie, climat, convivialité, sécurité, moins de stress sont les aspects les plus cités. Bien sûr, tout n’est pas rose, mais surmontable si l’on sait s'adapter et accepter les différences.


Pourquoi se risquer à créer Little Buddha, alors qu’il y avait plusieurs autres agences de ce genre sur le marché ?

En termes d’opportunité de marché, certes il y avait beaucoup d’agences de toutes sortes. Mais depuis mon expérience chez Danone et Reckitt je m’étais fait souvent la réflexion que la plupart des agences avec lesquelles j’avais pu travailler manquent de vision business : aucune personne dans les agences que je connaissais n’avait été assistant chef de produit et personne ne comprenait vraiment ce que nous faisions. On finit par avoir des agences qui, soit manquent de pertinence dans leur proposition, soit ne pensent qu’à obtenir des prix de publicité ou de design, et il est hélas clair que ces prix récompensent des créativités originales mais peu commerciales, voire incongrues stratégiquement parlant.

En termes de moment vital, je pensais que j’avais appris ce que je souhaitais apprendre dans des multinationales de premier ordre, je sentais que le moment était venu de tenter de créer ma propre entreprise, choisir une super équipe, vivre cette aventure, apporter un souffle frais au secteur des agences.


En quoi un bon design est-il fondamental ? 

Pour répondre à ce point, prenons un exemple de diverses disciplines. En ce qui concerne le naming, le nom du produit est un élément essentiel du mix. Ainsi, Henkel avait prévu de lancer Deo Sport, un détergent qui élimine les traces de sueur sur les habits. Nous les avons convaincus de lancer Transpirex. La marque transmet le bénéfice du produit au lieu d’un nom “confusant” qui laisse penser qu’il s’agit d’un déodorant pour sportifs. Le produit a fonctionné dès son lancement. 

Pour ce qui est du packaging, nous avons retravaillé un pack de tinto de verano de LA CASERA, de Schweppes, qui paraissait être un soft drink pour enfants, avec la maison-personnage, les couleurs et les formes plus proches de Fanta que d’une boisson alcoolisée, et nous avons cherché à rendre plus adulte, plus premium cette gamme en s’inspirant du mouvement des vermouts et des panachés.

Quant à l’identité corporative, nous avons par exemple actualisé celle de Coaliment, chaîne de supermarchés de proximité, souvent tenus par des Pakistanais. Le but était de passer d’une perception de supermarché de dépannage, où le panier moyen ne dépassait pas 10€, à une perception de magasin où l’on peut acheter des produits frais. Le simple changement d’identité corporative des boutiques a permis, selon le directeur marketing, un gain de 23% de chiffre d’affaires sur les boutiques test.

little buddha
"Le nom du produit est un élément essentiel du mix"


Et quelle est l’importance du packaging ?

Dans la jungle d’un supermarché, d’un magasin de bricolage, dans l’infini des propositions d’internet ou des réseaux sociaux, le packaging transmet à son public objectif tout ce qu’il a besoin de savoir pour décider en 10 secondes d’acheter ce produit ou un autre

Positionnement, prix, codes graphiques, bio ou pas ? Naturel ? Artisanal, pour quel usage? Tout ça doit se comprendre d’un coup d’œil, de façon intuitive. Les consommateurs achètent de façon assez impulsive, le temps de réflexion est très court et dans certaines catégories, on achète toujours les mêmes marques par routine. Pour un produit, réussir à être pris en main, puis passer en caisse, est un objectif ambitieux. 


Les entreprises doivent-elles mettre en place des stratégies pour stimuler les ventes en ligne, notamment les commerces traditionnels ?

Que cela nous plaise ou non, la dimension online est là pour rester. Le Covid nous a amené à installer des applications sur nos téléphones, à utiliser les livraisons à domicile et souvent à apprécier aussi ce type de service. Donc, tandis que beaucoup retournent à leur boulangerie dès la fin du confinement, certaines habitudes sont prises et les nouvelles générations ont, plus que nous, le reflexe online. En B2B, l’alternative online s’est imposée : le Covid nous a permis de gagner du temps et de faire des rendez-vous online quand autrefois il nous fallait bloquer une journée pour aller voir un client isolé. 

 

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Les multinationales sont vos principaux clients, mais les PME commencent-elles à avoir recours au brand design ?

Nous sommes enchantés de travailler pour des multinationales. Elles ont des marques connues hors Espagne, des budgets, souvent des équipes bien préparées. Mais nous travaillons aussi pour des toutes petites start-ups : nous avons fait le naming et packaging de Honesly, une marque de barre énergétique organique lancée par une start-up incubée à Barcelone ou encore le naming et l’identité corporative d’une entreprise de corporate finance montée par un Français en Espagne.

Bien sûr les PME ont besoin de brand design, et je dirais même qu’elles en ont plus besoin que les grandes entreprises et que c’est bien plus critique pour elles. Un produit ou service mal lancé par une grande entreprise pourra être soutenu à bout de bras par un lourd investissement (généralement, si le mix ne fonctionne pas, le produit/service ne survivra pas), mais une PME n’a pas une seconde opportunité de faire une bonne première impression. 

Nous avons eu des cas de personnes et d’amis qui nous ont dit qu’ils allaient d’abord lancer un produit dont le packaging était fait par une petite agence, ou avec une identité corporative improvisée “car ce n’est pas la priorité”. J’ai plusieurs cas en tête qui n’ont pas survécu au lancement. Le faire bien avec une bonne agence n’est pas une garantie de réussite. Bricoler une version approximative à moindre coût est en général une assurance d’échec coûteux.


Selon vous, quelle devrait être la stratégie des entreprises pour sortir plus fortes de la pandémie et de la crise ? Et comment y avez-vous fait face ?

Comme l’ont commenté plusieurs responsables d’entreprises dans notre eBook «Comment faire face à une crise économique ?», ces moments d’incertitude sont une opportunité pour redéployer l’entreprise et gagner des parts de marché. Les clients ou consommateurs sont enclins à remettre en question leurs marques ou fournisseurs et certaines entreprises profitent de la crise pour licencier, abusent du chômage technique et ne donnent pas un bon service. D’autres comme nous ne mettent pas une seule personne en chômage partiel, recrutent et progressent. C’est un moment dangereux et il faut garder les yeux grands ouverts. Mais se replier et désinvestir est un chemin rapide vers la régression. Il faut essayer d’investir au milieu de la tempête et chercher à se renforcer, gagner des parts de marché et de la “share of mind”.

 

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Quel est le profil des professionnels qui travaillent avec vous ? 

Nous donnons service à des projets aux USA, en Colombie, à Hong Kong, en France, au Nigeria, etc. il ne serait pas raisonnable d’avoir une équipe très locale. Non seulement nous recherchons des profils de tous horizons mais nous apprécions les profils qui ont voyagé, vécu dans différents pays, parlent différentes langues. Plus nous sommes riches d’expérience, plus nous connaissons les insights de certaines régions, plus nous pouvons apporter de la valeur aux projets qui nous sont confiés. Nous sommes présents à Barcelone, Madrid, Paris et Hong Kong et nous aimerions ouvrir un bureau en Allemagne et en Suisse un jour. 


Pourquoi le nom de Little Buddha?

Pour se distinguer des concurrents qui choisissent le nom du fondateur, souvent des designers. Nous avons cherché un nom qui transmette notre mission. Buddha est une figure inspirante. En Asie, sa philosophie et son image omniprésente m’ont impacté dans mes voyages et nous permettait d’articuler notre proposition : “nous faisons léviter les marques”.

Et “Little” par souci d’humilité. Depuis le premier jour il y a bientôt 15 ans nous avons défié et gagné des concours contre des multinationales du branding et de la publicité. Donc nous sommes conscients de notre taille et humbles, mais féroces et anticonformistes : “la bataille n’est pas entre les grands et les petits mais entre les lents et les rapides” disait Franck Riboud.

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