Fermées depuis le 18 mars, les écoles francophones en Thaïlande se préparent à une fin d’année scolaire fortement chamboulée avec des cours et des examens effectués à distance. Mais au-delà du simple défi pédagogique, la crise liée aux mesures pour lutter contre l'épidémie a également un impact financier sur les écoles.
Avec la fin des congés de printemps, les élèves de la maternelle à la terminale auraient dû, en temps normal, reprendre le chemin de l’école. Sauf que le 7 avril, le ministère de l’Éducation thaïlandaise annonçait que les écoles ne rouvriraient pas avant le 1er juillet afin de contenir la propagation du Covid-19 qui fait 54 morts dans le royaume depuis janvier.
Les autorités procédant à une réévaluation de la situation tous les 15 jours cela ouvre toujours la possibilité d’une éventuelle reprise des cours un peu plus tôt, mais l’ensemble des directeurs des établissements scolaires francophones n’y croient pas trop.
Cette situation extraordinaire non seulement oblige les établissements à adapter leurs méthodes d’enseignement pour assurer une continuité pédagogique à distance, mais la pression économique qu’elle exerce sur de nombreuses familles amène les écoles à devoir assouplir leurs conditions de paiement voire offrir des réductions, d’autant que certains parents estiment que les cours à distance auxquels ils doivent souvent participer ne valent pas les prestations qu’ils payent habituellement.
Class Room, Zoom, Google Drive, Book Creator sont autant d’outils devenus familiers pour les familles des écoles francophones en Thaïlande. “Dans l’ensemble, les parents et les élèves sont satisfaits des cours à distance. Par contre, nous constatons que c’est plus compliqué pour certains enfants qui avaient des difficultés scolaires avant le confinement ou pour ceux qui ne sont pas encadrés par un parent francophone ou pour les familles comptant plusieurs enfants et où il n’y a qu’un seul ordinateur”, explique David Micallef, directeur de l’École française Internationale de Pattaya (EFIP).
Les écoles maternelles, Acacia et La Petite école continuent de fournir aux parents des activités et outils d’apprentissages en ligne. L’implication des parents pour suivre la scolarité, en particulier chez les plus jeunes est l’un des principaux freins auprès des classes de maternelles.
“Nous continuons avec notre dispositif pédagogique avec des activités que les parents peuvent télécharger sur une application et nous avons ajouté des séances journalières sur Zoom. Il y a des parents qui sont très présents et d’autres moins” explique Christophe Gallian directeur de l’école Acacia Bangkok.
“La plupart des parents sont contents et impressionnés par la qualité de ce que nous avons mis en place. Après, il y a des parents qui ne peuvent pas faire un suivi complet parce qu’ils travaillent” ajoute Marie Nicou, directrice de La Petite Ecole à Bangkok.
De son côté, l’école internationale BCIS à Phuket constate qu’assurer un enseignement pour les plus jeunes ne fonctionne pas. “S’il n’y a pas un parent qui assiste l’enfant, cela ne marche pas. Nous avons environ 75% des parents d’enfants en classe de maternelles qui ont décidé de prendre une pause pour les trois prochains mois. C’est 25% de chiffres d’affaires qui passe à la trappe”, confie Laurent Minguely, le fondateur de BCIS.
Impact économique
Les nombreuses mesures mises en place pour lutter contre la propagation du virus mettent à mal l’économie du pays, de nombreux secteurs d’activités sont à l’arrêt et certaines familles sont très touchées.
Dès lors, pour certains parents qui ont perdu leur emploi, ont eu leur salaire amputé ou voient l’activité de leur entreprise en berne, payer les frais de scolarité devient compliqué. D’autant que ces mêmes parents doivent consacrer de leur temps, précieux pour ceux qui cherchent des solutions, pour assurer les cours de leurs progénitures.
Dans ces circonstances exceptionnelles, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ainsi que l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) ont décidé de permettre aux familles boursières de pouvoir demander une révision de leur bourse pour le dernier trimestre de l’année 2019-2020 et aux familles non boursières et dont les revenus ont diminué de pouvoir entrer une demande de bourse.
“En prévision de la prochaine rentrée scolaire en septembre 2020, les revenus pris en compte pour les demandes de bourses seront ceux de 2020 et non de 2019” précise le proviseur du Lycée Français International de Bangkok (LFIB), Yvan Schmitt.
“Par contre, ces bourses ne concernent que les ressortissants français, pour les autres nationalités, il n’y a pas d’aides. À l’EFIP, cela représente 30% de nos effectifs. Pour l’année prochaine, si la crise se prolonge, il y a des familles qui ne vont pas s’en sortir”, ajoute David Micallef.
Pour venir en aide aux familles, certaines écoles proposent, en plus des remboursements de frais de cantine et de transports, des réductions ou des aménagements dans les paiements. “La communication avec les parents est très importante", explique Christophe Gallian. "J’ai ainsi proposé une réduction de 30% pour ceux qui n’avaient pas encore payé ce trimestre et 30% d’avoir sur la prochaine inscription pour ceux qui ont déjà payé. Après, j’ai fait savoir que si certains rencontraient de grandes difficultés, ils pouvaient toujours me contacter pour en parler. Et au final, certains parents peu impactés ont décliné l'offre de réduction parce qu’ils veulent soutenir l’école. Le coût financier pour Acacia se compte en plusieurs millions de bahts. Néanmoins, si nous pouvons ouvrir au plus tard en septembre, je suis confiant, nous devrions passer entre les gouttes”, confie Christophe Gallian.
Le LFIB, La Petite École et EFIP ne proposent pas de réduction sur les inscriptions, mais plutôt un échelonnement des paiements. “L’aspect financier est un sujet délicat, les enseignants et le personnel administratif travaillent normalement et nous ne pouvons pas changer la rémunération en cours d’année. Donc pour cette année, nous ne pouvons pas changer. Mais nous étudions les options pour éventuellement nous adapter l’année prochaine”, explique Yvan Schmitt.
Perspectives incertaines
L’école BCIS à Phuket propose une solution un peu hybride aux parents avec d’une part une réduction de 30% pour les élèves en maternelles et un plan de paiement étalé sur cinq mois pour les primaires et secondaires. “À la fermeture, nous avions envoyé un courrier ouvert aux parents pour inviter à échanger. Au début, nous avions reçu beaucoup d’encouragement, mais quand ils ont reçu la facture début du mois d’avril pour payer le trimestre, certains parents se sont demandé si les cours en ligne justifient le montant. C’est pour cela que nous avons mis un rabais pour les maternelles et un étalement pour les autres parce que nous estimions que ce que nous avions mis en place valait cet argent”, explique Laurent Minguely.
Anticipant sur la prochaine rentrée et pour encourager les parents à soutenir l’école, BCIS a offert une réduction de 20% aux familles qui payeraient l’inscription pour l’année 2020-2021. “30% des familles ont déjà payé pour l’année prochaine, il faut encore en convaincre 70%”, ajoute le directeur de l’école de Phuket.
La prochaine rentrée scolaire de septembre est à l’heure actuelle encore floue pour la plupart des écoles, les craintes d’une deuxième vague de contamination au Covid-19 pesant sur les perspectives d’une rentrée scolaire dans des conditions normales.
Le LFIB s’attend déjà à une centaine d’inscriptions en moins en septembre 2020. “Ce sont des prévisions au vu de la situation actuelle, mais si la crise se durcit, peut-être que d’autres parents retireront leurs enfants”, craint Yvan Schmitt. Le directeur d’Acacia, Christophe Gallian prévoit 20% d’élèves en moins : “il y a des familles qui devaient arriver de France et qui finalement ne vont pas venir, d’autres familles qui vont quitter la Thaïlande et certaines qui seront touchées par la crise et ne pourront continuer à inscrire leur enfant”.
“En même temps, j’ai l’impression qu’il y a des gens qui veulent fuir l’Europe et qui pensent à venir en Asie. Pour les familles déjà installées ici, si la crise dure trop longtemps, il faudra trouver des solutions pour l’année prochaine” ajoute David Micallef.
Pour anticiper les risques d’une fermeture prolongée de son établissement, le directeur de BCIS travaille déjà au développement d’une plateforme pédagogique en ligne plus poussée. “Toutes les écoles vont y laisser des plumes, certaines risquent de fermer, BCIS passera entre les gouttes, mais il ne faut pas que les écoles soient fermées jusqu’en décembre. C’est pour cela que nous travaillons sur un programme de cours en ligne en béton pour l’année prochaine! Si les cours ne reprennent pas en septembre, les parents et les élèves ne vont plus se contenter d’un petit coucou sur Zoom, les gens partiront pour d’autres cours en ligne moins chers!”, conclut Laurent Minguely.