Institutionnels, experts et capitaines d’industrie alertent sur le risque de stagflation en Thaïlande, en raison des effets de la guerre en Ukraine sur l’économie fragilisée par la politique sanitaire
Avec une économie ravagée par une politique sanitaire excessive et chaotique, une hausse de l’inflation amorcée depuis six mois et boostée par la guerre en Ukraine, la Thaïlande comme d’autres pays dans le monde se dirige vers une stagflation, selon plusieurs capitaines d’industrie, analystes et institutionnels interrogés par le Bangkok Post, parmi lesquels le président de l'Université de la Chambre de commerce thaïlandaise, Thanavath Phonvichai.
Selon lui, l’économie thaïlandaise ne devrait pas faire mieux que 2 à 3 % de croissance cette année, tandis que l'inflation devrait probablement rester autour des 5 % si le conflit russo-ukrainien se prolonge sur l’année.
La Fédération des industries thaïlandaises (FTI) estime aussi que la hausse des prix mondiaux du pétrole provoquée par le conflit russo-ukrainien accroît le risque de stagflation alors que l'incertitude commence à pousser les fabricants thaïlandais à ralentir leur production.
Inflation et précarité en hausse
Même analyse pour Sanan Angubolkul, président de la Chambre de commerce thaïlandaise, qui a déclaré au journal en langue anglaise qu'étant donné le taux d'inflation plus élevé, le taux de chômage élevé et la faible croissance économique, les perspectives d'une entrée en stagflation de la Thaïlande s'accélèrent.
Le taux de chômage officiel de la Thaïlande est retombé à 1,64% au cours du dernier trimestre de 2021, représentant seulement 630.000 chômeurs, contre 2,25% au trimestre précédent - au premier trimestre 2020 le taux de chômage était de 1,03%. Mais les chiffres thaïlandais du chômage sont peu fiables car ils ne tiennent pas compte des quelque 19 millions de travailleurs informels estimés, soit 52% de la population active, la partie la plus vulnérable.
"Le conflit peut durer et avoir des effets négatifs sur le commerce mondial car la Russie et l'Ukraine sont d'importants producteurs de matières premières. S’il y a une pénurie des produits de base, cela affectera inévitablement les coûts de production des fabricants thaïlandais", estime Sanan Angubolkul.
Le risque d’une intensification des sanctions occidentales
Des craintes partagées par Nipon Puapongsakorn, chercheur au Thailand Development Research Institute (TDRI), qui a exhorté le gouvernement à mettre sur pied un plan de restructuration économique à long terme pour renforcer la confiance envers le pays tant chez les acteurs du secteur privé du royaume qu’à l'étranger.
Patchara Samalapa, président de Kasikornbank, pointe le risque d’intensification des sanctions occidentales sur la Russie qui ferait monter encore plus haut les prix de l'énergie et "pourrait générer dans le pire des cas une situation de stagflation mondiale".
Ces craintes interviennent alors que l'invasion russe en Ukraine a produit des ondes de choc sur les économies du monde entier, les prix du pétrole brut ayant atteint 130 dollars le baril, frappant dans le royaume des entreprises déjà fragilisées par une activité atone en raison de la politique sanitaire désastreuse du gouvernement.
La stagflation se caractérise par une situation économique combinant une stagnation de l'activité, de la production, et par l'inflation des prix.
Quelques optimistes
Les quelques voix qui osent encore souffler de l’optimisme viennent des agences et organisations étatiques à l’image d’Auttapol Rerkpiboon, président et directeur général du groupe pétrolier national PTT, qui insiste sur le fait que la Thaïlande dispose de suffisamment de ressources en énergie pour alimenter l’activité économique malgré l'escalade du conflit.
De son côté, le directeur général du Bureau de la politique et de la stratégie commerciales, Ronnarong Phoolpipat, estime peu probable en dépit de la forte inflation que la Thaïlande entre en stagflation cette année. Il appuie notamment son analyse sur une amélioration de l'économie avec l’essoufflement de l’épidémie de Covid-19 annoncée pour avril-mai, et sur l’espoir que le conflit russo-ukrainien se règle sous peu par des négociations.
Le problème est que dans ce contexte de double crise mondiale -énergétique et sanitaire-, la haute saison touristique touche à sa fin, et que les excès du ministère de la Santé en termes de restrictions sanitaires et d’annonces intempestives ces derniers mois ont miné pour un certain temps la confiance des professionnels du tourisme et des voyageurs dont beaucoup vont se tourner naturellement vers des pays moins compliqués ou vont rester dans le leur pour profiter de la douceur de l’été à moindre coût.
Alors que l'agence de planification de l'État attendait 5,5 millions d'arrivées en 2022, soit plus de 450.000 par mois en moyenne, le royaume n’a enregistré en janvier que 134.000 visiteurs de l’étranger. Un bien mauvais départ, d’autant qu’avant la crise du Covid-19, la Thaïlande accueillait 3,3 millions de voyageurs en moyenne par mois.