« Idoles n’a pas pour but de "démolir" l'industrie de la K-Pop, qui pour moi reste fascinante malgré ses travers », nous précise d’emblée Marianne Weller. Avec son ouvrage publié aux éditions l’Atelier des Cahiers, elle nous plonge dans l’histoire de TVXQ ! et dans l’univers à part de la K-pop sphère.
Il faut chercher à comprendre la société coréenne, et le fonctionnement unique de la K-Pop
Comment vous est venue l’idée d’Idoles ?
Il y a quelques années, ma fille, adolescente à l’époque, a voulu me faire découvrir la K-Pop. J’avoue que l’univers de la Kpop m’a paru très étrange à la première écoute, aux premières vidéos visionnées ! C’est pour lui faire plaisir que j’ai voulu faire l’effort de comprendre cette musique, et je suis tombée tout à fait par hasard sur la musique de Kim Jaejoong. J’ai toujours été fascinée par la vie des artistes de scène, je fais du chant moi-même et j’écoute beaucoup de musique. J’ai voulu en savoir plus. En lisant sa biographie, j’ai d’abord eu l’impression qu’elle était romancée : c’était un véritable personnage de fiction ! Puis j’ai découvert le groupe TVXQ, leur histoire à rebondissement, et je me suis dit qu’il fallait absolument l’écrire. Pour la comprendre, il faut chercher à comprendre la société coréenne, et le fonctionnement unique de la K-Pop. Ça a été un parcours de découverte. Quand mon livre a été publié, j’ai rencontré des personnes qui connaissaient elles aussi l’histoire de TVXQ et pensaient aussi qu’il fallait l’écrire.
Qu’est-ce qui fait de TVXQ ! un groupe à part ?
Chronologiquement, TVXQ ! - que l’on a surtout appelé DBSK à l’époque, d’après leur nom coréen Dongbanshinki - est le premier groupe de ce qu’on appelle la deuxième génération de K-Pop (2004 à 2011 environ). De nombreux groupes de cette génération sont tout aussi célèbres, mais on se souvient surtout d’eux aujourd’hui à cause de leur un procès retentissant contre leur maison de production. Cette révolte leur a coûté très cher, et a entrainé le bannissement de trois d’entre eux des médias coréens pendant dix ans, mais a été un premier pas vers la reconnaissance des droits des jeunes artistes de l’industrie de la K-Pop.
Ce qui me surprend le plus aujourd’hui, c’est que le groupe à cinq membres soit encore présent dans les mémoires, jusqu’ici en France, alors qu’il n’existe plus depuis 2010. Aujourd’hui, on les connait surtout par l’expression : «TVXQ, les idoles de vos idoles », car ils ont inspiré toute la génération qui a suivi. En 2019, pour les quinze ans du duo TVXQ – les deux chanteurs restant, Changmin et Yunho – les fans ont compilé les témoignages de plus de deux cents artistes coréens qui ont été inspirés par leurs personnalités.
Pendant très longtemps, le rapport de force des maisons de production coréennes par rapport aux artistes est resté disproportionné
Est-ce que le système de la Kpop continue à faire des ravages au sein des groupes constitués et des postulants déçus ?
L’évolution de l’industrie de la K-Pop ces dernières années est très intéressante. Mais cela a pris beaucoup de temps.
A l’issue du procès des trois membres sortants du groupe TVXQ, les JYJ, la législation coréenne a imposé aux producteurs de K-Pop de limiter la durée des contrats des artistes de Kpop à sept ans. Mais la loi n’a quasiment jamais été respectée. Pendant très longtemps, le rapport de force des maisons de production coréennes par rapport aux artistes est resté disproportionné : lorsqu’un jeune avait passé trois ans à travailler jour et nuit le chant et la danse en tant que trainee, et qu’arrivait enfin le jour où la maison de production décidait de sélectionner les membres d’un nouveau groupe (ce qui n’arrive que tous les quatre ou cinq ans) les jeunes étaient prêts à accepter n’importe quelle condition pour être choisis. On a vu des contrats d’exclusivité de quinze ans, et les exigences les plus farfelues. La loi coréenne l’interdisant depuis 2010, de jeunes artistes ont rendu public leur contrat abusif pour le faire annuler. Mais la maison de production prenait alors sa revanche en répandant toutes sortes de rumeurs sur le jeune sortant, de manière à ce qu’il ne retrouve pas de contrat ailleurs ! Les jeunes savaient que dénoncer leur contrat signifiait la fin de leur carrière.
La K-Pop compte aujourd’hui énormément plus de fans dits « internationaux » que de fans coréens
Ce qui a profondément changé cette situation, à mon avis, c’est le regard qui a été porté par les Occidentaux sur l’univers de la K-Pop, à partir des années 2016-17, ce qui correspond au succès des BTS aux Etats-Unis. La K-Pop compte aujourd’hui énormément plus de fans dits « internationaux » que de fans coréens. A titre d’exemple 90% des fans des BTS se situent hors de la Corée. Et certains scandales ont placé la K-Pop dans le collimateur des médias européens et américains : en 2017, le suicide du chanteur Kim Jong Hyun, et en 2019 celui des chanteuses Sulli et Goo Hara, ainsi que le scandale du Burning Sun, qui a provoqué la démission d’un des plus grands producteurs de K-pop. Les maisons de production coréennes ont senti que leurs pratiques devaient évoluer, sous peine de voir le marché occidental se retourner contre elles. Petit à petit, on a vu paraître dans la presse coréenne des critiques ouvertes sur le traitement des artistes. Un procès notoire a été celui du groupe TRCNG, en 2020. Les membres du groupe, maltraités de toutes les façons, y compris physiquement, ont eu le courage de réunir des preuves et d’intenter un procès. La presse coréenne les a soutenus. Dix ans auparavant, tout aurait été fait pour étouffer l’affaire ! La maison de production a dû fermer ses portes. Bien sûr, il s’agissait d’un cas extrême, mais désormais, les producteurs de K-Pop montrent patte blanche, rendent publiques les conditions d’hébergement et de travail des jeunes, les moyens mis en œuvre pour assurer leur sécurité, leur accordent des congés… Tout n’est pas parfait, mais il serait trompeur de comparer les conditions de vie et de travail des artistes de K-Pop en 2022 avec celles de 2010.
De nombreux jeunes talentueux peuvent aujourd’hui se permettre de choisir entre différents producteurs
Est-ce que la Kpop a évolué avec ces nouveaux fans internationaux ?
Dans le même temps, certaines évolutions ont suivi les goûts du public américain, qui ne supporte pas, entre autres, l’idée qu’un chanteur de K-Pop ne soit qu’un interprète, sans qualité artistique et sans connaissance de la musique. Ce qui a obligé les producteurs de K-Pop à reconnaitre le talent – qui, bien souvent, était en fait déjà là ! – chez de nombreux jeunes, qui peuvent aujourd’hui composer leurs propres titres, et surtout être crédités pour cela. Aujourd’hui, un véritable artiste sera valorisé davantage que sa maison de production, et si un producteur entre en procès avec un jeune qui veut rompre son contrat, d’autres maisons de production le récupéreront. Ainsi, on retrouve enfin un équilibre entre l’offre et la demande, et de nombreux jeunes talentueux peuvent aujourd’hui se permettre de choisir entre différents producteurs et – ô miracle – négocier les conditions de leur contrat. On voit aussi l’influence de la présence dans les groupes d’aujourd’hui d’une part de plus en plus grande de « non-coréens » (un membre thailandais pour le public thailandais, un membre chinois, un membre coréen ayant vécu aux Etats-Unis pour le marché américain…) Ces membres apportent une nouvelle perception de ce que peut-être un plan de carrière, les « non-coréens » se sentant beaucoup plus libres de refuser ce qui ne leur correspond pas.
Tout le monde connait les avantages et les inconvénients des métiers de la K-Pop
Je crois aussi qu’avec la popularité mondiale de la K-Pop, et l’ouverture croissante de la Corée, tout le monde connait les avantages et les inconvénients des métiers de la K-Pop. Les jeunes font leur choix en connaissance de cause, ne se laissent plus impressionner, et ne se lancent plus à corps perdu dans ce métier. Avec du recul, à l’époque de TVXQ, la K-Pop était encore en phase de lancement, cette industrie est plus stable et plus mature aujourd’hui.
De nombreux groupes voient le départ de leurs membres les plus connus, qui préfèrent démarrer des carrières solo
Toutefois, un « effet secondaire » se fait sentir depuis 2020 environ : de nombreux groupes voient le départ de leurs membres les plus connus, qui préfèrent démarrer des carrières solo, moins contraignantes, dès qu’ils ont atteint une certaine popularité au sein d’un groupe. La production musicale doit s’y adapter en permanence, et le public n’est pas toujours satisfait. L’image du groupe soudé, « inséparable », ne fait plus recette. S’y ajoute le fait que le nombre de groupes de K-Pop est en croissance exponentielle. Le résultat est que de nombreux groupes peinent aujourd’hui à se distinguer, à trouver une identité, et à la faire vivre dans le temps.
Qu’est-ce qui fait selon vous le succès de cette musique auprès du public international et notamment français ?
De tous temps, les jeunes, et plus particulièrement les jeunes filles, ont adulé des groupes musicaux. Les adolescents ont un fort besoin d’identification à des représentations positives qui les aident dans leur développement, dans leur entrée dans la vie. L’image présentée par les stars américaines est souvent décevante pour eux. Les jeunes d’aujourd’hui n’apprécient pas la vulgarité, l’abus de contenus sexuels et les excès de comportement. L’image souvent angélique des idoles de K-Pop, aux manières exemplaires, est l’alternative toute trouvée. Le jeune âge des idoles de K-Pop – le même âge que leur public – leur permet de toucher un public pré-adolescent, ce que seuls les artistes Disney font aux Etats-Unis, mais d’une manière peu convaincante. On parle aussi souvent de la proximité des idoles de K-pop avec leur public, du fait de leur présence constante dans les médias et sur les réseaux sociaux. C’est ce qui fait l’objet de nombreux débordements, à la fois pour les artistes dont les emplois du temps sont trop chargés, et pour les jeunes, qui fantasment une proximité qui n’est pas réelle. Mais c’est aussi un moyen extraordinaire de toucher un public à l’autre bout du monde. Et les moyens marketing déployés par les maisons de production pour toucher leur public sont très supérieurs à ceux des producteurs de musique occidentaux, qui ne ciblent pas spécifiquement le public jeune et n’exploitent pas les techniques médias d’aujourd’hui avec la même inventivité que les Coréens.
J’ai entendu l’Office du Tourisme coréen dire que la France était le pays d’Europe qui connaissait le mieux la Corée
Je pense que les Français sont à la fois des fans de K-Pop et des fans de la Corée. J’ai entendu l’Office du Tourisme coréen dire que la France était le pays d’Europe qui connaissait le mieux la Corée. Les Français étant très ouverts aux cultures étrangères, les fans de K-pop français n’hésitent pas à apprendre le coréen, l’histoire et la culture coréenne. L’exotisme de la Corée les attire beaucoup. Généralement, ils savent qu’il y a un degré de déformation notoire entre l’image que renvoie la Hallyu et ce que la Corée est réellement, mais ils n’hésitent pas à regarder de l’autre côté du miroir. C’est aussi pour cela qu’ils restent fans plus longtemps. Contrairement aux Coréens, ils ne considèrent pas que l’on cesse d’écouter de la K-Pop au-delà d’un certain âge « de raison », car ils élargissent leur intérêt pour la K-Pop vers la Corée, et même l’Asie en général.
J’ai souvent entendu dire « DBSK ? C’est le premier groupe que j’ai écouté ! » Les Français gardent longtemps la nostalgie de ce qu’ils ont écouté adolescent, alors que les Coréens devenus adultes après avoir été des fans « activistes » préfèrent souvent ne pas se souvenir des excès de leurs jeunes années !
Les producteurs de K-Pop se moquent bien d’être détestés par les fans
Est-ce que la fandom a également sa part de responsabilité dans les dérives de la K-pop ?
Pour moi, la seule responsabilité des fans est peut-être d’avoir de tout temps continué à soutenir les idoles de K-Pop en achetant leur musique, tout en faisant part de leur désapprobation quant aux dérives des maisons de production. Continuer à acheter revient de toute façon à enrichir les producteurs et non les interprètes, et les producteurs de K-Pop se moquent bien d’être détestés par les fans. Mais les fans pensent généralement, en toute innocence, que s’ils boycottent un album, celui qui va en pâtir le plus est le chanteur... Difficile de savoir s’ils ont tort ou raison.
Ceci dit, je crois qu’il faut garder en tête que cette fandom – en réalité de très nombreuses fandoms différentes - est avant tout la création des producteurs de K-Pop. Je l’ai vu décrite dans certaines études comme une « créature » qui leur aurait échappée. Quoiqu’il en soit, ils en sont les concepteurs, et continuent, à des fins évidemment lucratives, d’encourager son existence, et aussi malheureusement ses excès.
On sait que des artistes peuvent y laisser leur carrière, si ce n’est leur vie.
Tout tient à la manière dont les producteurs coréens ont souhaité constituer leur public, avec des règles très précises : lorsqu’un groupe est lancé, après une première étape qui consiste à nommer le leader du groupe, il est convenu que la communauté des fans de ce groupe se verra attribuer un nom (comme les ARMY pour les BTS). On se croirait déjà sur un champ de bataille. On leur permet ensuite de se distinguer les uns des autres avec des lightsticks aux couleurs du groupe, de rigueur dans les concerts. Le fanclub du groupe sera généralement géré par la maison de production. Il n’est pas rare qu’un rituel s’impose, avec un test de connaissances à l’entrée du fanclub, car être fan se mérite ! Des symboles et un vocabulaire codé volontairement ésotériques sont employés, comme une secte le ferait. On joue sur le désir d’intégration des adolescents, leur souhait d’appartenance à un groupe, qui rappelle le scoutisme. Ensuite, ce sont aussi les producteurs de Kpop qui font entrer en compétition les artistes – et donc leurs fans - dans des shows télévisés, ce qui a évidemment pour effet de les monter les uns contre les autres. Cela pourrait ressembler à une compétition sportive, mais quand la moyenne d’âge des participants est très basse, cela peut vite mal tourner. Pour les jeunes coréens, la K-Pop est un défouloir. J’ai déjà assisté sur les réseaux sociaux à des tentatives de manipulation de jeunes adolescentes cherchant à colporter des rumeurs sur un groupe concurrent de celui qu’elles soutenaient, dans le seul but de faire chuter leur audience et de remporter un nombre de votes supérieurs dans un sondage ! On sait que des artistes peuvent y laisser leur carrière, si ce n’est leur vie.
La constitution des fandoms et leur activisme reste largement encouragé par les producteurs
Evidemment, le cyberbullying est maintenant surveillé, mais la constitution des fandoms et leur activisme reste largement encouragé par les producteurs. Les médias continuent par exemple de glorifier le nombre de vues obtenues sur Youtube pour un titre de K-pop – même lorsque l’on sait qu’elles ne correspondent en rien au nombre de personnes intéressées, mais seulement à l’acharnement d’adolescents qui auront passé leurs nuits à streamer en boucle la vidéo en question. L’effet publicitaire est optimal, mais entretient chez certains fans un sentiment de toute puissance malsain, car totalement fictif.
Je crois que malheureusement les comportements irresponsables sont provoqués par une industrie qui a elle-même ignoré ses responsabilités vis-à-vis du jeune public pendant des années.
Ceci dit, je crois que seule une minorité de fans sont vulnérables et ont des comportements excessifs, et que la moyenne d’âge des fans de K-pop dans le monde se situe bien au-delà de l’adolescence. On en parle moins, mais la capacité des fans à s’organiser, à se soutenir et à entretenir des liens d’un continent à l’autre est prodigieuse. Il m’est arrivé de penser que si la K-Pop venait à disparaitre, les fans de K-Pop continueraient d’exister !
Je connais peu de fandoms aussi bien que celle de TVXQ et de JYJ
Je connais peu de fandoms aussi bien que celle de TVXQ et de JYJ, et il s’agit peut-être d’un cas très particulier, mais j’ai été très impressionnée, en écrivant mon livre, de découvrir à quel point les fans avaient pu s’investir pour les défendre. La lutte de JYJ pour continuer à se produire a été soutenue par de nombreux fans adultes, dont des professionnels du droit, de la presse et du spectacle, qui ont pris des risques pour les défendre, car il s’agissait de la liberté d’expression des artistes, une cause universelle. Malheureusement, des années de critiques virulentes des fans n’ont pas suffi à inverser le mouvement. Seule la pression des médias occidentaux a réussi à faire évoluer les choses, des années plus tard.