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Là-bas, sous le ciel clair, démêler les fils d’une adoption en Corée du Sud

Soo Ja Pracca, autrice de Là-bas, sous le ciel clair, un récit sur l'adoption en Corée du SudSoo Ja Pracca, autrice de Là-bas, sous le ciel clair, un récit sur l'adoption en Corée du Sud
Soo Ja Pracca, autrice de Là-bas, sous le ciel clair
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 20 octobre 2022, mis à jour le 22 octobre 2022

Comme de nombreux enfants coréens, Soo Ja Pracca a été adoptée dans les années 70 par une famille française. A l’âge adulte, elle décide de partir sur les traces de son passé et de découvrir son pays d’origine. Dans Là-bas, sous le ciel clair (éditions Ateliers des Cahiers), elle nous livre un récit très personnel et pourtant universel sur la recherche d’un passé perdu.

 

J'avais besoin d'écrire sur la Corée comme pour retracer ce qui s'était passé, pour donner un sens à tout ça

 

Comment est né votre ouvrage ?

J'écris depuis longtemps. Des histoires, des scénarios et puis je tiens des carnets que je remplis de mes pensées ou de notes prises à la va-vite. Lorsque j'étais en Corée, j'ai commencé à écrire quotidiennement sur ce que j'étais en train de vivre. Je décrivais mes pensées, mes ressentis, mes angoisses ou mes doutes, tout ce qui me passait par la tête mais je m'efforçais à écrire tous les jours. Et puis longtemps après, en 2019, j'ai renoué avec le papa de ma fille et nous nous sommes revus. Et je crois que ça a été comme un déclic. J'avais besoin d'écrire sur la Corée comme pour retracer ce qui s'était passé, pour donner un sens à tout ça. Je voulais aussi transmettre à ma fille mon histoire, son histoire, pour qu'elle sache qui je suis, d'où elle venait. J'ai procédé par souvenir. Je pensais à quelque chose qui m'avait marqué ou que j'avais vécu et j'écrivais. Et puis j'ai repris mes carnets de Corée pour vérifier la chronologie ou certains détails.

 

Pour beaucoup de personnes ayant vécu ce trauma de l'abandon, il est difficile de se construire et de se sentir en sécurité affective

 

Certaines des personnes adoptées se nomment elles-mêmes des "handicapés du cœur". Pourquoi ? 

Je crois que lorsqu'on a été abandonné par ses parents, par sa propre mère, la blessure reste ouverte à jamais et on doit ensuite apprendre à vivre avec. Pour beaucoup de personnes ayant vécu ce trauma de l'abandon, il est difficile de se construire et de se sentir en sécurité affective. Souvent, la relation avec la famille adoptive est tumultueuse et compliquée. Et puis plus tard, à l'âge adulte, lorsque l'on commence à tomber amoureux, les choses se compliquent car on ne sait pas gérer ce sentiment et la première rupture est souvent terrible car elle réouvre en quelque sorte la blessure première. Et je pense que c'est souvent à ce moment-là que beaucoup n'arrivent plus à faire confiance et deviennent incapables d'aimer. Aimer, c'est lâcher prise, se mettre en danger et faire confiance. Accepter d'être aimé est difficile aussi je crois. La personne qui a été abandonnée par sa propre mère alors qu'elle n'était qu'un enfant, développe inconsciemment l'idée de ne pas être assez “bien” ou assez “aimable” pour mériter l'amour. Il faut qu'elle lutte contre cela. Arriver à vivre une relation amoureuse sereine et équilibrée prend beaucoup de temps car il y a toujours cette peur inconsciente mais très forte de l'abandon.

 

C'est une série d'événements ou de voyages qui m'ont ramenée encore et toujours à ma terre natale

 

Comment vous êtes-vous reconnectée avec un pays que vous connaissiez si peu ?

Je pense que ma “connexion” avec la Corée s'est faite par épisodes étalés dans le temps et de manière spiralaire si j'ose dire. Il y a eu ce voyage avec mes parents lorsque j'avais seize ans et puis ce jour, à vingt ans, où j'ai ouvert pour la première fois mon dossier d'adoption. Après cela, c'est une série d'événements ou de voyages qui m'ont ramenée encore et toujours à ma terre natale : cette fameuse journée, dont je parle dans le livre avec Min et la conversation où j'ai pour la première fois une vraie révélation quant au sentiment du han, mon voyage en 2006 où je pars quasiment sur un coup de tête à l'occasion de mon préavis dispensatoire (c'est souvent à des moments charnières de notre vie, quand des choses que l'on croyait acquises ou pérennes s'évaporent que les vrais désirs se dévoilent et s'expriment), mes nombreux voyages entre 2006 et 2009 puis les trois années où j'ai vécu à Séoul et enfin encore aujourd'hui le lien fort que je garde avec la Corée.

 

Je pense que comme beaucoup de déracinés, on est entre deux cultures, deux pays mais je vois cela aujourd'hui plus comme quelque chose de positif

 

Vous sentez-vous aujourd’hui également coréenne ? 

A certains égards oui. Par exemple au niveau de la sensibilité mais il est difficile pour moi de répondre à cette question. Il faudrait sans doute déjà que je réponde à une autre question qui serait celle de savoir si je me sens française. Oui bien sûr, je suis française, mais française avec des origines coréennes. Je pense que comme beaucoup de déracinés, on est entre deux cultures, deux pays mais je vois cela aujourd'hui plus comme quelque chose de positif, une richesse d'où l'on peut tirer sa force.

Après la question de l'identité première, on peut concevoir et accepter une nouvelle sorte d'identité plurielle et multiculturelle et la considérer comme un réel avantage.

 

Des associations comme Racines coréennes organisent des voyages et donnent toutes les informations nécessaires aux adoptés qui voudraient entreprendre des recherches

 

Quels sont vos conseils aujourd’hui pour des personnes adoptées en Corée du Sud, comme vous, qui souhaiteraient retrouver leur histoire ?

Je leur dirais juste de retourner en Corée, de ne pas y aller seuls s'ils préfèrent être accompagnés car ils pourront être confrontés à beaucoup d'émotions. Des associations comme Racines coréennes organisent des voyages et donnent toutes les informations nécessaires aux adoptés qui voudraient entreprendre des recherches. Je leur dirais que tout ne sera pas facile mais que la Corée est un pays incroyable qui mérite que l'on y aille et qu'ils s'y retrouveront sans doute à travers la terre, les Coréens et la culture, qu'ils doivent franchir le pas pour une meilleure connaissance du pays d'où ils viennent et une meilleure connaissance d'eux-mêmes.

 

Là bas sous le ciel clair, de Soo Ja Pracca

 

J'essaie d'être heureuse avec ma vie telle qu'elle est et j'essaie de vivre le mieux possible

 

Un proverbe coréen dit : “à la fin des épreuves vient le bonheur”, est-ce votre conclusion aujourd’hui ?

Je ne sais pas si j'ai atteint le bonheur car le bonheur est quelque chose qui se construit tous les jours. Ce n'est pas un acquis. Je peux juste dire qu'aujourd’hui je ressens plus de sérénité et d'apaisement. Le livre a participé aussi à cela. J'ai appris à accepter certaines choses et à faire la somme de tout ce qui va bien plutôt que l'inverse. J'essaie d'être heureuse avec ma vie telle qu'elle est et j'essaie de vivre le mieux possible. Et puis j'ai ma fille que j'aime plus que tout et qui a bouclé la boucle sur ma recherche existentielle en quelque sorte. A travers elle, c'est l'histoire familiale qui peut de nouveau s'écrire et échapper au vide et à l'absence.

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