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Skydweller, le 1er et seul avion solaire sans pilote qui peut voler H24, est espagnol

Ce petit bijou technologique est tout sauf un avion normal. Aussi grand qu'un Airbus 340, il a le poids d'une voiture et le moteur d'une mobylette! Unique en son genre, Skydweller a réussi dans un domaine où certaines des plus grandes entreprises du monde ont échoué ou continuent d’essayer. Sébastien Renouard, Chief Commercial Officer EMEA à Skydweller Aero Inc, nous explique les enjeux et applications concrètes d'un avion "made in Spain".

skydweller dans le cielskydweller dans le ciel
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 18 septembre 2023, mis à jour le 3 février 2024

Est-ce un avion? Est-ce un oiseau? Superman? Non! C'est Skydweller! Son nom – 'habitant du ciel' en anglais- reflète particulièrement bien ce qu'est cet avion autonome sans pilote (on devrait en fait parler de drone), puisqu'il peut voler sans interruption pendant des semaines, voire des mois uniquement avec l’énergie solaire. Le projet est basé sur l’acquisition de l'avion suisse 'Solar Impulse' qui avait fait un tour du monde en 2016.

 

De l'exploit de Solar Impulse à Skydweller

Pour rappel, l'avion Solar Impulse 2 avait réalisé un tour du monde qui avait duré 16 mois, au cours duquel la seule force propulsive de l'avion était les panneaux solaires sur ses ailes qui collectaient l'énergie photovoltaïque, stockée ensuite dans quatre batteries au lithium. Une fois le voyage terminé, Solar Impulse 2 a été racheté par un groupe d'investisseurs qui l'ont emmené en Espagne en pièces détachées.

Skydweller est en train de réussir dans un domaine précis où certaines des plus grandes entreprises du monde telles que Google ou Meta ont échoué ou piétinent

Sébastien Renouard était alors directeur de la division aéronautique et espace chez Altran, société de conseil en technologies, et s'occupait du partenariat avec la Fondation Solar Impulse. Convaincu du potentiel d'un tel projet, il embarque d’abord Altran dans l’aventure et avec l'envie de se lancer de nouveaux défis, l'ingénieur sponsorise et accompagne ce qui devait devenir 'Skydweller'. "J’ai fini par rejoindre Skydweller fin 2018, parce que je sentais que ce projet allait décoller et je devais me réinventer. Entre novembre 2018 et août 2019, nous avons réussi à lever les vingt premiers millions d'euros pour lancer l’activité".

 

Sebastien Renouard
Sébastien Renouard, Chief Commercial Officer EMEA à Skydweller Aero Inc

 

Il ne restait plus qu'à trouver un pays et un site pour développer le projet. Skydweller Aero étant une entreprise transatlantique avec présence en Espagne et aux Etats-Unis, ces derniers semblaient le candidat idéal pour l'installation. "Les États-Unis sont l’endroit le plus dynamique pour créer une entreprise mais nous voulions un site européen. Aux États-Unis, la technologie des drones aurait été soumis à la régulation des exportations d’armes (ITAR). Ça nous aurait donc limité pour les exportations et on voulait rester libres, même si nos objectifs sont clairement les alliés de l’OTAN en priorité".

 

L'Espagne, un pays ensoleillé pour un avion solaire

Mais pourquoi l’Espagne plutôt que la France ou l'Italie? "Il fallait un pays ensoleillé, et l’Espagne bat tous les records d'ensoleillement, bien plus que la France, l’Italie et même le Portugal. Ensuite, en Europe, si vous cherchez à recruter des talents aéronautiques dans un pays ensoleillé, vous allez en Espagne. Ce pays a une excellente tradition aéronautique, des écoles et des universités de premier ordre. Et puis il y a le facteur économique. Enfin, nous avons obtenu des aides publiques, aussi bien du gouvernement central que de la région de Castille-la Mancha. Nous nous sommes donc tout naturellement installés en Espagne". L'entreprise, dont les bureaux se trouvent à Madrid, possède un centre d'ingénierie et de développement – avec pas moins de 100 ingénieurs- et un site d’opérations en vol avec l’avion à Albacete.

 

Pedro Sanchez devant Skydweller
Pedro Sanchez lors d'une visite des installations de Skydweller

 

1er vol autonome en janvier dernier en Espagne

Et ainsi, après trois années de travail acharné et de tests rigoureux, le prototype a effectué avec succès son premier vol autonome le 28 janvier dernier. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait personne à bord pendant les essais. "On était obligés d’avoir un pilote à bord pour des raisons de sécurité dictées par les autorités, mais il était simplement passif. Il était juste là pour communiquer avec le centre de contrôle et commenter ce qui se passait à bord. Ça a été une grande première! La prochaine étape, cet automne, est de démontrer aux autorités qu’on peut reprendre le contrôle de l’avion en cas de problème, alors on va faire un test avec une 'urgence factice'. Un pilote sera à bord mais ce sera la tour de contrôle au sol qui ramènera l’avion à distance".

 

 

Après cela, l'équipe de Skydweller effectuera une campagne de démonstrations aux États-Unis, un marché particulièrement important, pour montrer cette technologie. Puis l'entreprise, une fois l'autorisation obtenue de voler sans pilote, lancera la production de deux premiers avions, en plus du prototype qui existe, et qui continuera les démonstrations en 2024. 

 

Des caractéristiques uniques

Il faut dire que le Skydweller est tout sauf un avion normal. Ce géant des airs a l'envergure d'un Airbus 340: ses ailes mesurent 72 mètres d'une pointe à l'autre. "En revanche -évoque le CCO de Skydweller Aero, il pèse 2,5 tonnes, comme une grosse voiture, et il a la puissance d’une Mobylette, donc c’est un rapport qui n’a rien à voir avec la physique habituelle. Il s'agit d'un appareil capable de voler, au moins dans les zones équatoriales et tropicales, 365 jours par an, à une altitude maximale de 13.500 mètres, avec une charge utile maximale de 400 kilogrammes. Il se déplace lentement, entre 45 et 90 km/h, ce qui est pertinent et très utile car il est pratiquement géostationné; ce n’est donc pas un avion pour transporter des passagers, car ça n'intéresse personne de voyager à 90 km/h!".

 

Skydweller pendan son 1er vol
L'equipe se prépare pour le 1er vol autonome, en janvier dernier

 

L'avion fonctionne de manière autonome grâce à ses 300 m² de panneaux photovoltaïques et ses batteries de plus en plus légères. Dans ce projet, l'énergie solaire et l'intelligence artificielle vont de pair, de telle sorte que la première est chargée de fournir l'énergie nécessaire au vol et la seconde de le piloter. Bien que l'appareil puisse voler de manière totalement autonome, de nouveaux ordres peuvent lui être envoyés pendant le vol, et le système de navigation les execute tandis que le système d'intelligence artificielle en permanence analyse et ajuste aux conditons en temps réel.

 

Des applications civiles et militaires

Nombreux sont les gouvernements et organisations qui suivent de près les avancées de cette entreprise. À ce jour, plusieurs pays de l'OTAN sont intéressés par le produit Skydweller, notamment les États-Unis, l'Espagne, la France, le Luxembourg et la Grande-Bretagne. Cependant, les applications de l'aéronef développé par Skydweller sont loin d'être uniquement militaires.

 

Skydweller
Skydweller a l'envergure d'un Airbus 340

 

Le fait que le Skydweller ne fasse pas de bruit, qu'il puisse transporter des centaines de kilos d'équipement et atteindre de hautes altitudes le rend idéal pour les observations météorologiques, les activités antiterroristes - par exemple, au Sahel -, le contrôle de l'immigration, les activités de pêche illégale et de contrebande, le contrôle des frontières ainsi que les groupes de pirates dans l'océan Indien et en Afrique de l'Ouest. En outre, comme il dispose de moteurs électriques, il ne produit pas de chaleur, ce qui le rend difficilement détectable par les radars antiaériens ou hors d’atteinte de des projectiles utilisés par certains groupes terroristes et trafiquants de drogue. "En France par exemple, il est souvent question de la surveillance des zones économiques exclusives, vu que la France a un des plus grands domaines maritimes à surveiller. Ce sont des étendues d'eaux gigantesques qui souffrent de la pêche illégale, des trafics en tous genres, et ça c’est un vrai casse-tête pour le pays".

 

l'équipe au sol regarde les écrans de contrôle
L'équipe au sol qui contrôle le Skydweller dans le ciel

 

On peut également citer comme usage prometteur la détection anticipée des feux de forêt ou des phénomènes naturels dans les océans. "On est plus près et permanent que des satellites, on est absolument imbattable en terme d’autonomie et de charge utile. Lorsqu'il y a eu l'éruption du volcan à Palma, le Skydweller aurait pu être là non seulement pour apporter une vision détaillée mais aussi pour pouvoir remettre en service les communications; Skydweller aurait alors servi comme antenne volante de télécommunications". Cette capacité à fournir des services internet 5G et de communication dans des zones reculées ou montagneuses ou lors de situations d'urgence est aussi l'une des raisons pour lesquelles les entreprises de télécommunication sont intéressées.

 

Skydweller, seul sur le marché

Et la concurrence? Qu'est-ce qui fait du Skydweller un produit unique en son genre? Skydweller est en train de réussir dans un domaine précis où certaines des plus grandes entreprises du monde ont échoué ou piétinent, comme les sociétés technologiques américaines Alphabet (Google) et Meta (Facebook). "Une telle machine n’existe pas. L’alternative aux constellations de satellites, qui se révèlent plus chères et moins versatiles de par leur trajectographie fixe, cette ultra persistance dans les airs, le fait que ça ne pollue pas et sa capacité de charge utile en font vraiment un objet unique. Nous sommes les seuls sur le marché en terme de vol permanent de charge utile et de puissance disponible."

 

D'autres projets sont actuellement en cours comme celui d’Airbus, qui s'en rapproche le plus, appelé Zéphyr. A la différence du Skydweller qui vole dans l’atmosphère, jusqu’à 45.000 pieds, Zéphyr vole dans la stratosphère, c’est-à-dire à 60.000 pieds, dans des conditions plus compliquées en terme d’énergie et de charge utile très réduite. Il y a aussi des ballons mais leur problème est qu’ils dérivent facilement. Il existe également un projet de dirigeable, réalisé par l'entreprise Thalès mais il ne devrait pas sortir avant plusieurs années.

 

Un carnet de commande qui va se remplir

En 2025 Skydweller lancera officiellement sur le marché ses trois premiers avions. Le carnet de commande va vite se remplir, avec deux possibilités. "Nous vendrons nos plateformes, accompagnées du service pour l’opérer. Ou alors un service clé en main, c’est-à-dire une location longue durée, une sorte de leasing. L’objectif évidemment c’est une croissance organique pour construire plus d’avions et nous avons déjà prévu d'en construire une première série de trente-cinq. Les bons de commande se feront à partir de l’année prochaine".