A 32 ans, Pauline Leroyer a déjà un long parcours professionnel et personnel derrière elle, caractérisé par son implication pour la cause féminine mais aussi pour son goût des valeurs et des causes justes. Comme juriste au sein du Groupe Renault en Espagne, comme Secrétaire générale de l'association d'amitié hispano-française Mujeres Avenir ou comme globe-trotter sur son voilier acheté "trois francs six sous" et qu'elle a mené d'une rive à l'autre de l'Atlantique, cette jeune Bretonne fait preuve des mêmes engagements et du même regard lucide sur le monde qui l'entoure. Rencontre avec l'une des représentantes les plus prometteuses de la génération Y à Madrid.
La petite Alba est née quelques jours avant la tempête de neige Filomena. En janvier dernier, Pauline et son compagnon Julien ont pu profiter en toute sérénité pendant une longue semaine du paysage insolite de la capitale vêtue de blanc -et bloquée par les congères- mais aussi des 16 semaines de congé maternité et paternité qu'autorise la loi espagnole. "On a souvent perçu le fait d'avoir un enfant comme un frein à la promotion de carrière", évoque la jeune maman, "dans mon cas, peut être très chanceux, il n'en a rien été". À plusieurs égards, le parcours professionnel de Pauline constitue certainement encore une exception, mais il illustre la capacité des nouveaux talents à marier leurs priorités personnelles à leurs choix de carrière. Pour la militante féministe qu'elle incarne, et pour la carriériste qu'elle ne cache pas être, il était hors de question que la décision d'être mère exclue celle de progresser dans l'entreprise. "Le congé paternité est une mesure géniale, tant pour l'homme que pour la femme", estime-t-elle donc. "Il m'a permis de me réincorporer plus rapidement dans l'entreprise, au bon moment, en pleine période de bouleversements et de réorganisation, où cela faisait sens que je sois là". Pour son compagnon, c'est en parallèle l'occasion de vivre des moments uniques avec sa fille, traditionnellement réservés à la part féminine du couple. "Son implication permet aussi de réduire ma charge mentale : il n'y a pas que moi qui sait ce dont l'enfant a besoin, cela me permet d'être concentrée au travail, de manière sereine et efficace".
10 ans dans les services juridiques du Groupe Renault en Espagne
Dans la vie comme dans l'entreprise. Au sein des services juridiques du Groupe Renault où elle a fait, il y a 10 ans à Madrid, ses premiers pas professionnels, Pauline Leroyer est une des 5 juristes à accompagner la filiale française dans les aspects les plus techniques de son développement dans le pays. Les défis sont nombreux, notamment dans un contexte où l'usage automobile et la mobilité au sens large sont en pleine révolution, et où l'électrification du secteur est à l'ordre du jour. L'aspect commercial de ses tâches lui apparaît d'ailleurs comme une évidence : "Notre devoir est d'être au plus près du business et d'expliquer en interne de la manière la plus claire ce que dit la loi, afin que l'on puisse y répondre", éclaire-t-elle. "La fonction de juriste d'entreprise est en train d'évoluer à l'américaine", complète Pauline, "on est désormais de plus en plus en amont et impliqué dès l'origine dans les enjeux mercantiles de l'activité". C'est, dès l'obtention de son double diplôme en Droit français et espagnol, délivré par l'université de Nanterre et la Carlos III, et suite à son Master II en Droit européen, mention spéciale Droit des affaires franco-espagnoles, ce pour quoi la jeune Brestoise, qui avait auparavant passé tous ses étés d'adolescente en université d'été à Salamanque, prétendait bel et bien s'investir, attirée par "l'aspect terre à terre" du métier. "On est une filiale étrangère", décrypte encore Pauline, "beaucoup de contrats nous viennent directement du siège à Paris, notre mission est aussi de les adapter à la législation espagnole". A la clé, des journées à rallonge, on s'en doute, avec un travail de coordination entre les différents services et un rôle de consulting évident, sur une multitude de sujets.
Depuis 2015 en Espagne et depuis 2017 en France, avec la loi Sapin II, les programmes éthique et conformité ont pris une importance croissante au sein de l'entreprise
Mais la Bretonne est habituée à des tonnerres de Brest d'une autre envergure et le travail ne lui fait pas peur, surtout si c'est pour la bonne cause. Nommée Secrétaire du Comité éthique et conformité du Groupe Renault en Espagne, pilote dans le pays du déploiement Compliance pour la France, Pauline Leroyer a la chance de pouvoir œuvrer dans sa vie professionnelle, en cohérence avec les valeurs qu'elle défend au quotidien. "Depuis 2015 en Espagne et depuis 2017 en France, avec la loi Sapin II, les programmes éthique et conformité ont pris une importance croissante au sein de l'entreprise", observe-t-elle. "Avant on faisait de la compliance par obligation, maintenant c'est une véritable priorité au sein des entreprises". Avec la spécificité de devoir développer un programme qui puisse répondre aux exigences légales des deux pays, la présence de Renault en Espagne étant aussi déterminée, on l'a vu, par son caractère de filiale française. "Nos missions consistent notamment à identifier une liste des risques -notamment les délits, comme la corruption ou le trafic d'influence- qui sont susceptibles d'être commis au sein de la structure, et d'établir une cartographie des risques", explique Pauline, "puis de mettre en place des contrôles et des audits". "Il y a vraiment un changement de la part du management", estime-t-elle. "D'ailleurs c'est primordial : il faut que ce type de message vienne d'en haut : 'Tone at the top', comme on dit". "En entreprise, l'exemplarité de l'éthique est essentielle", poursuit Pauline. "Or aujourd'hui, l'éthique et l'intégrité, on les respire un peu partout au sein du groupe. Il existe une tolérance zéro sur la question, et c'est tant mieux".
Il reste encore énormément de chemin à parcourir pour atteindre une égalité hommes-femmes dans le monde du travail
Oui, on peut en écoutant Pauline Leroyer rêver d'un monde meilleur, plus juste et plus moral. Plus égalitaire aussi, puisqu'en dépit du congé paternité, elle n'en démord pas : "Il reste encore énormément de chemin à parcourir pour atteindre une égalité hommes-femmes dans le monde du travail". Et d'asséner quelques vérités : "On est fatiguées de devoir convaincre encore", lâche-t-elle, "mais c'est nécessaire et on continuera à le faire, dans la bonne humeur". "Le féminisme n'est pas l'inverse du machisme", rappelle-t-elle encore, "nous avons tous à gagner, hommes et femmes, à une construction plus équitable de la société". Pour Pauline, la loi des quotas en entreprise reste indispensable : "On n'a pas trouvé de meilleure solution", défend-elle, "en attendant on est obligées de démontrer le double, voire le triple des hommes, pour arriver à quoi que ce soit". De fait, c'est aux côtés d'une ex du groupe Renault, Maria Luisa de Contes, Présidente de Mujeres Avenir, qu'elle s'est de longue date à Madrid impliquée. Et elle cite volontiers une autre ex de Renault, qui aura servi d'exemple à toute une génération de femmes, Odile Desforges, qui a terminé sa carrière comme directeur monde des ingénieries et de la qualité, comme si au sein du constructeur automobile français, un vent porteur d'égalitarisme soufflait depuis plusieurs années.
Profitant des alizées, Pauline a interrompu pendant près de 9 mois, sa carrière au sein de l'entreprise au losange, pour rallier en voilier la Bretagne, l'Espagne, le Cap Vert puis... les Caraïbes. Un rêve qui a donc pu se faire réalité et qui, tout comme la naissance de la petite Alba, aurait pu mettre un terme à sa carrière. Il n'en a rien été. "9 mois dans une vie professionnelle, ce n'est rien", tranche la juriste et batelière.
Mais qu'est-ce qui pousse une jeune juriste prometteuse à tout lâcher de la sorte ? Pas le ras-le-bol, ni la lassitude, en tous cas. "La vie professionnelle telle qu'on la concevait traditionnellement, ça n'existera bientôt plus", répond Pauline. Fini le boulot jusqu'à 60 ans puis les jours paisibles à la retraite. "On va travailler beaucoup plus tard et on sera beaucoup moins bien payés", assure-t-elle, "il est donc indispensable d'imaginer un autre rapport au travail, qui inclut une plus grande flexibilité". Et de conclure : "Pouvoir rentrer au terme de 9 mois d'absence et réincorporer mon poste, ça m'a énormément fidélisé à l'entreprise. Cela prouve vraiment qu'il existe une confiance réciproque".