La France et l’Espagne ont la recette de la réussite en matière de tourisme. Mais quand la recette commence à s’essouffler et qu’il faut satisfaire toujours plus de demandes, on est en droit de poser la question des défis à relever dans le secteur du tourisme pour les années à venir. Ainsi, cinq professionnels du tourisme se sont rencontrés lors d’un débat organisé par Diálogo, association d’amitié franco-espagnole, lundi 21 janvier, afin de discuter des défis à relever.
La France est la première destination touristique au monde, et l’Espagne la troisième. La ministre espagnole de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme, Reyes Maroto, a annoncé la semaine dernière un nouveau record pour l'Espagne, avec 82,6 millions de visiteurs étrangers enregistrés sur 2018 dans le pays. Des chiffres en hausse, mais avec une certaine inflexion cependant.
Dans ce contexte, et alors que se profile cette semaine la grande Feria du tourisme Fitur, l’association Diálogo a organisé lundi 21 une conférence sur les défis du tourisme à l’heure actuelle. L’association accueillait pour cela cinq professionnels du milieu qui ont ainsi pu débattre pendant la soirée. Tomeu Bennasar, CEO de Logitravel Group ; Luis Cueto, coordinateur général de la Mairie de Madrid ; Dominique Maulin, Directrice d’Atout France en Espagne et au Portugal, et Hugo Rovira, Directeur Général pour le Sud de l’Europe et les États-Unis de NH Hotel Group. Manuel Molina, Directeur du magazine professionnel Hosteltur était modérateur au cours de cette soirée.
L'Espagne doit sortir du 'sol y playa' et du 'bueno, bonito, barato'
Très vite, les cinq professionnels ont abordé la question de la massification. Pour Dominique Maulin, l'enjeu aujourd'hui réside clairement dans le développement de nouvelles offres, à destination de nouveaux territoires. "Vendre Paris, la Côte d’azur, les châteaux de la Loire, ce n'est pas compliqué. Ce que nous cherchons, c’est donner une chance aux autres destinations et démassifier les zones très touristiques". Et de souligner qu'une telle politique ne va pas sans un investissement public et privé, permettant d'accompagner le développement des infrastructures dédiées à l'accueil d'un nouveau flux touristique.
"La France comme l'Espagne doivent réinventer leur manière de faire du tourisme", a pour sa part tranché Hugo Rovira. "L'Espagne doit sortir du 'sol y playa' et du 'bueno, bonito, barato', qui ne sont plus des créneaux d'actualité. Le pays doit chercher la qualité au lieu de la quantité". Tourisme culturel, gastronomique, sportif, tourisme de santé ou tourisme d'affaires, la diversification de l'offre est source d'une dilution dans le temps et l'espace des flux touristiques. "Le problème reste qu'il n'existe pas en Espagne, à la différence de ce qui est fait en France, un véritable pacte d'Etat pour structurer un secteur qui pèse pourtant entre 10 et 12% du PIB". Les compétences des communautés autonomes sur de nombreuses questions liées au secteur contribuent à brouiller le message et l'image transmise à l'étranger, ont appuyé les intervenants. Le Majorquin Tomeu Bennasar a évoqué les facilités faites par les autorités locales à destination des compagnies aériennes, pour affréter des vols à prix dérisoires. "Si on ouvre la porte, il ne faut pas s'étonner que le public s'y engouffre massivement", a-t-il lancé.
“Para Madrid sería un desastre pasar de 10 a 14 millones de visitantes, el reto es el crecimiento sostenible. Estamos a tiempo de trabajarlo, pero hay algunos barrios donde tenemos el miedo de convertirnos en parques temáticos.” @LuisCueto12 , Coor. Gral. @MADRID. #TurismoEsFr
— Asociación Diálogo (@DialogoEsFr) 21 janvier 2019
Au final, "massification" et "tourismophobie" constituent les deux faces d'une même pièce. Elles posent la nécessité du développement d'un tourisme respectueux de l'environnement, naturel et social. Les hôtels qui grignotent du terrain, le marché immobilier qui explose, les boutiques traditionnelles qui disparaissent… sont autant d'éléments qui contribuent au rejet de la part des résidents du phénomène touristique. Pour Hugo Rovira néanmoins, attention aux amalgames. "Le secteur hôtelier fait travailler du personnel de façon règlementée, avec une protection aux risques professionnels, une formation continue et 70% d'embauche en CDI. Il investit dans des infrastructures adaptées au public handicapé, minimise son impact écologique, réinvestit, au travers de fondations, des montants destinés à améliorer le quotidien des citoyens du pays. Peut-on en dire autant des plateformes dites collaboratives, comme Airbnb, qui ne paye pas d'IVA en Espagne ? La tourismophobie naît de la sensation que les résidents ne profitent pas des masses de flux touristiques, mais au contraire en pâtit les effets, on doit s'interroger sur le rôle de chacun des acteurs".
"Se trata de redefinir el modelo turístico y buscar el equilibrio entre residentes y visitantes. Porque ese es el problema de la mal llamada turismofobia: la ciudadanía no ve cómo le revierte la presencia de turistas.” Hugo Rovira, @nhhotelgroup. #TurismoEsFr
— Asociación Diálogo (@DialogoEsFr) 21 janvier 2019
Luis Cueto, coordinateur général à la Mairie de Madrid, a défendu l'importance de la planification du développement touristique au sein de la ville. "Lors de l'Orgullo gay, nous accueillons 1 million de visiteurs : nous nous efforçons alors d'organiser des événements décentralisés, pour que tout le public ne soit pas concentré au même endroit", a-t-il expliqué. "Nous essayons par ailleurs de transmettre l'idée que découvrir Madrid, c'est une expérience qui peut être aussi positive dans une salle de concert à Carabanchel que dans un marché gastronomique de la Puerta del Sol". Et de compléter : "Nous acceptons que des bureaux puissent être reconvertis en hôtels, mais nous ne permettons pas que le même type d'opération se fasse au détriment de logement riverain. Le message est clair : l’investissement touristique est bienvenu, mais il doit se faire sans déséquilibrer la ville".
L’investissement touristique est bienvenu, mais il doit se faire sans déséquilibrer la ville
Au final, les intervenants se sont accordés sur un point : attention à ne pas tuer la poule aux œufs d'or. Les touristes constituent finalement les premières victimes de la massification touristique. Pour éviter que certaines zones se transforment en de véritables parcs thématiques, se dégradent et finissent par perdre de leur attrait, la gestion des flux touristiques, le développement de nouvelles destinations et de nouvelles offres, la recherche de nouveaux marchés, sont autant de pistes qui permettront d'assurer la viabilité du secteur.