Selectra, c'est un comparateur des fournisseurs d'électricité, de gaz et d'accès à Internet né en 2007, dans le garage, ou presque, de deux étudiants de Science-Po : Aurian de Maupeou et son comparse Xavier Pinon, aujourd'hui à la tête du leader de l'information du consommateur sur les factures courantes en ligne, une entreprise qui a facturé 54 millions d'euros en 2019 et emploie 1300 personnes dans le monde, dont un bon millier en Espagne. Avec des projets plein les cartons et des perspectives d'expansion dans plusieurs pays du globe, aux Etats-Unis, en Inde, au Brésil ou au Méxique notamment, Selectra dispose de 5 implantations dans le pays de Cervantès, avec dans la capitale quelque 7000 m2 d'installations dans le quartier de La Guindalera, mais aussi des locaux à Barcelone, Valence, Seville et Malaga.
Le 1er juillet 2007 a eu lieu en Europe l'ouverture totale des marchés du gaz et de l'électricité aux particuliers. Et là où la grande majorité des consommateurs craignaient que leur accès à l'énergie allait se complexifier et finalement observaient que peu ou prou changeait dans leur accès à l'énergie -il a fallu attendre quelques années pour que la concurrence se fasse réalité, dans toutes ses nuances et à destination de tous les utilisateurs-, deux jeunes étudiants parisiens voyaient en cette nouvelle donne une opportunité d'affaire unique, comme seuls peut-être à vingt ans ont peut rêver avoir mis le doigt sur le business du siècle. Cette idée, celle de comparer les prix et les prestations sur un marché jusque-là soumis au monopole, de les décrypter aux consommateurs et de facturer aux fournisseurs les leads ainsi obtenus, ils l'ont dans un premier temps exploitée en dilettantes, en parallèle de leurs études, dédiant l'essentiel de leur temps à référencer leur site sur les moteurs de recherche et à positionner leur page web sur les mots clés. Ce n'est qu'en 2010, diplôme de Sciences Po Paris en poche, qu'Aurian de Maupéou a fait le choix de se donner à temps plein à son comparateur. Un choix qui s'est avéré payant et une aventure où depuis lors tout est allé très vite, avec dès 2012 des diversifications sur le marché des comparateurs d'accès à Internet et en 2014 un premier pas hors des frontières hexagonales, avec la collaboration d'un autre camarade d'études, originaire de Séville et devenu depuis associé de l'aventure Selectra, au sud des Pyrénées.
Surtout pas de bling bling
Selectra a poussé vite, avec aux rênes une direction bicéphale, composée des deux fondateurs d'origine. À Madrid où il a vécu 4 ans, et où il continue à partager avec Lyon sa vie et ses passions, Aurian, jeans, sourire et baskets, garde néanmoins dans ses locaux flambants neufs, la tête froide. En dépit de la moyenne d'âge des employés qui ne doit pas dépasser la trentaine et de l'ambiance globalement décontractée qu'il se respire au sein de la structure, les dirigeants de Selectra ont à cœur de se démarquer de l'esprit start-up : "Nous n'avons fait depuis l'origine aucune levée de fonds et notre capacité d'investissement, c'est l'argent que nous avons gagné jusque-là, un point c'est tout", pose Aurian qui dans le duo de direction joue le rôle du geek touche-à-tout, en charge de l'internationalisation et des sujets techniques. Surtout, pas de bling bling, malgré l'indiscutable succès qu'a rencontré en si peu de temps la... SARL, car c'en est une. "On fait les choses à notre rythme, dans notre coin, et si on peut démontrer à nos clients que ça marche, cela nous suffit", déclare Aurian. A l'âge où la majeure partie des dirigeants de demain commencent à gravir les échelons qui les mèneront au sommet de la hiérarchie, le Parisien a pourtant derrière lui déjà un remarquable parcours entrepreneurial, marqué par une discrétion exemplaire. Et pourtant : interrogez les compatriotes fraîchement débarqués en Espagne, faites le tour de vos connaissances qui débutent sur le marché de l'emploi, surfez sur les forums des Français d'Espagne : tous connaissent Selectra, et pour cause.
Précurseur des call-centers en Espagne
"Le marché de l'emploi à Paris est en surchauffe", estime Aurian de Maupéou. "La bulle des start-ups fait qu'il est devenu difficile pour les entreprises de trouver des talents". Arrivées en Espagne en 2014 de la main de l'associé sévillan, les équipes de Selectra ont en quelque sorte joué le rôle de précurseurs dans la création de call-centers français dans la Péninsule. Ils sont depuis nombreux à avoir saisi l'intérêt d'une destination qui attire car il y fait bon vivre, même si les salaires restent plus bas qu'en France et les heures travaillées plus importantes. "Les Espagnols sont compétents", confirme Aurian, qui supervise l'embauche et le développement de carrière d'un personnel qui, dans sa grande majorité, débute dans la structure au poste de commercial. Ces jeunes employés, micro et oreillette en position, reçoivent les appels entrants d'internautes, souvent avec des problèmes de contrat, parfois en recherche de fournisseur -d'énergie ou d'accès Internet. Ils les renseignent, sont chargés de résoudre leurs doutes et -aussi et surtout- de vendre les prestations des fournisseurs. Ce sont ces ventes et les commissions associées qui assurent des salaires motivants, mais aussi les ressources de l'entreprise. "Notre critère d'embauche, c'est le talent", insiste pourtant Aurian. "Ce qui nous intéresse, c'est le potentiel de la personne que l'on embauche, non seulement ce qu'il est, mais ce qu'il va pouvoir devenir". "Il y a une infinité de portes d'entrée chez Selectra", ajoute son fondateur, et même si la partie commerciale est essentielle, le développement informatique et la réaction de contenus sont des pôles structurants de l'entreprise.
Ce qui nous intéresse, c'est le potentiel de la personne que l'on embauche, non seulement ce qu'il est, mais ce qu'il va pouvoir devenir
"L'évolution vers des postes de supervision ou de management constitue le développement de carrière le plus courant", évoque Aurian, qui reconnaît qu'avec un turnover de 6 mois, Selectra est en Espagne en deça de la moyenne du marché, mais estime qu'avec l'immense proportion de personnels de nationalité étrangère -dont près de 40% de Français- qu'enregistre la structure dans le pays, le chiffre n'est pas outre mesure surprenant. Récemment, l'ouverture des locaux à Malaga a généré un appel d'air qui a même pris les dirigeants par surprise, le mix soleil, culture et plage, propre à la destination, constituant un attrait particulièrement fort pour les personnels. Avec un modèle d'intrapreneur plutôt bien rôdé, à Caen, Troyes ou Barcelone notamment, ce type d'ouverture constitue aussi une forme de promotion au sein de l'entreprise, qui permet pour les employés les plus motivés, d'assurer le développement d'une nouvelle antenne tout en participant à ses bénéfices -ou ses pertes. Et l'Espagne devrait, en dépit du contexte Covid ("De nombreux collaborateurs ont été malades, nous avons dû renvoyer les personnels à la maison, où ils ont continué leur mission en télétravail", explique Aurian, qui enregistre aujourd'hui un taux d'occupation des locaux de l'ordre de 20%), jouir d'une croissance certaine. Avec des visées sur l'Amérique latine et le Texas notamment, Selectra assure depuis Madrid une grande partie du développement géographique de son modèle. Et les Ressources humaines continueront à connaître des périodes de stress, avec des besoins d'embauche marqués par une saisonnalité forte. "On recrute énormément en septembre, octobre", confirme ainsi Aurian. À bon entendeur...
Car à l'époque où nombre de structures s'équipent de bots et s'appuie sur l'intelligence artificielle pour assurer l'attention à la clientèle, Selectra rompt la tendance, en s'appuyant sur l'humain et, on l'a vu, son potentiel -et surtout sa capacité à répondre de façon personnalisée aux problèmes des utilisateurs. "On va a contre-courant", confirme son fondateur, "c'est ce que nous avons toujours fait et cela nous a plutôt bien réussi".