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Londres respire-t-elle enfin un air plus sain ?

Alors que la capitale vient tout juste de passer, pour la première fois, sous les limites légales britanniques de dioxyde d’azote (NO₂), nous avons sollicité le professeur Frank Kelly, titulaire de la chaire de Community Health and Policy à l’Imperial College London et directeur de l’Environmental Research Group, pour comprendre ce que ce tournant signifie vraiment pour la qualité de l’air et la santé des Londoniens.

Londres respire-t-elle enfin un air plus sain ?Londres respire-t-elle enfin un air plus sain ?
La ville de Londres respire-t-elle enfin un air plus sain ?
Écrit par Gautier Houel
Publié le 21 novembre 2025, mis à jour le 27 novembre 2025

La ville vient en effet d’annoncer un tournant historique : pour la première fois, elle respecte les limites légales nationales de NO₂, un polluant étroitement lié au trafic routier. Faut-il y voir la preuve que l’air londonien est enfin devenu respirable ou un simple palier dans une bataille loin d’être gagnée ? Car derrière ces chiffres se cachent encore de fortes inégalités d’exposition et quelques angles morts.

 

Un progrès réel, mais loin des recommandations de l’OMS

 

Les dernières données du Defra, ministère de l’Environnement britannique, montrent que les stations de son réseau réglementaire respectent désormais la limite nationale de NO₂. Le professeur Kelly salue ce progrès, tout en appelant à la prudence. « Nous devrions féliciter les politiques qui ont permis cette amélioration, notamment depuis 2016, sous l’impulsion du maire Sadiq Khan, mais nous sommes encore loin des lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé », prévient-il.

 

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Le professeur Frank Kelly, titulaire de la chaire de Community Health and Policy à l’Imperial College London et directeur de l’Environmental Research Group

La législation britannique fixe la limite annuelle de NO₂ à 40 μg/m³, alors que l’OMS recommande un seuil deux fois plus strict à l’horizon 2030. Surtout, Londres dispose d’un maillage bien plus dense que le seul réseau de Defra. « La ville compte plus d’une centaine de stations supplémentaires, qui ne font pas partie du réseau national, et certaines d’entre elles indiquent encore des niveaux problématiques de NO₂ », rappelle-t-il.

Autrement dit, si la ville est conforme sur le papier, l’air respiré au bord de certains axes reste loin d’être sain.

 

Pollution et inégalités : les plus exposés sont les moins protégés

 

La principale source de NO₂ à Londres demeure la circulation routière. Les quartiers traversés par des artères très fréquentées cumulent émissions élevées et habitats à loyers plus accessibles. « Là où la circulation est la plus dense, on trouve souvent des logements moins chers. C’est donc dans les quartiers les plus modestes que l’exposition est la plus forte », souligne le professeur Kelly.

Les politiques menées depuis vingt ans - péage urbain, zones à faibles émissions, puis extension de l’Ultra Low Emission Zone - ont permis de réduire de manière significative les concentrations de NO₂ et de particules fines (PM2,5). Mais, selon lui, la marche reste haute pour atteindre les recommandations de l’OMS dans les délais actuels.« Au rythme actuel, Londres ne pourra pas respecter les recommandations de l’OMS pour le NO₂ d’ici 2030. Il faudra des réductions supplémentaires, portées par de nouvelles politiques publiques », insiste-t-il.

Ces efforts devront cibler non seulement les voitures particulières, mais aussi les bus, les taxis, les véhicules de chantier et l’ensemble de l’activité motorisée en ville.

 

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L’angle mort : la pollution de l’air à l’intérieur des logements

 

Si l’espace public concentre l’attention médiatique et politique, la pollution de l’air intérieur reste trop souvent ignorée. Les Londoniens passent pourtant l’essentiel de leur temps à l’intérieur. «Le principal coupable dans un logement, c’est la cuisine, surtout quand on cuisine au gaz », explique le professeur Kelly. La combustion du gaz produit à la fois du NO₂ et de très fines particules, qui s’accumulent rapidement si la pièce est mal ventilée.

L’usage de produits ménagers parfumés ajoute une couche chimique supplémentaire : composés organiques volatils, irritants, mélanges dont l’impact sur la santé est encore mal quantifié. À l’inverse, des solutions simples existent : hotte efficace et entretenue, ouverture des fenêtres sur des rues moins exposées, retour à des produits de base comme le vinaigre dilué.

Concernant le chauffage, la tendance au retour des poêles à bois inquiète également. « Les poêles modernes sont efficaces pour retenir les particules à l’intérieur, mais ces particules ressortent par la cheminée et se retrouvent dans l’air que respirent les voisins », rappelle le chercheur. Ce confort visuel a donc un coût sanitaire collectif.

 

Microplastiques : le prochain défi de la qualité de l’air

 

« Un pneu moderne, c’est environ 55 % de plastique. À mesure qu’il s’use, il libère des microplastiques et des nanoparticules »

 

Même si les véhicules thermiques reculent progressivement, la transition vers l’électrique ne règle pas tous les problèmes. Les voitures électriques sont plus lourdes en raison de leurs batteries, ce qui accentue l’usure des pneus. Or ces pneus contiennent une forte proportion de plastique. « Un pneu moderne, c’est environ 55 % de plastique. À mesure qu’il s’use, il libère des microplastiques et des nanoparticules », souligne le professeur Kelly.

Ces particules se retrouvent dans l’air, les sols et les eaux, et des études récentes les détectent désormais dans des tissus humains, du cerveau au placenta. La science peine toutefois à établir précisément leur effet sur la santé, tant il est difficile de travailler dans des conditions exemptes de contamination. « Les microplastiques sont partout, y compris dans nos propres tissus, mais nous ne savons pas encore s’ils causent des dommages. Il faut des études beaucoup plus rigoureuses pour répondre à cette question », explique-t-il.

 

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Trois leviers pour agir : transports, logements, comportements

 

Face à ces constats, les solutions se situent à plusieurs niveaux : 

Pour les pouvoirs publics, la priorité reste claire : développer un réseau de transport public propre, dense et fiable, afin de réduire la dépendance à la voiture individuelle. Cela passe par l’électrification des bus, le renouvellement des flottes de taxis, la réduction du trafic global et le déploiement d’infrastructures cyclables sûres.

Pour les collectivités locales, l’enjeu est aussi de mieux réguler le chauffage au bois, d’informer sur la qualité de l’air intérieur, de soutenir la rénovation des logements et de créer des rues plus respirables, notamment autour des écoles.

Enfin, chaque habitant dispose d’une marge de manœuvre au quotidien. « Il faut se demander si un trajet d’un kilomètre doit vraiment se faire en voiture. Marcher ou prendre le vélo permet de se déplacer, de faire de l’exercice et de réduire la pollution », résume le professeur Kelly. Limiter le bois de chauffage décoratif, ventiler en cuisinant, entretenir les hottes, réduire l’usage de produits ménagers parfumés, éviter les plastiques à usage unique : autant de gestes modestes, mais cumulés, qui diminuent à la fois les émissions et l’exposition.

« En tant qu’individu, il s’agit d’essayer de vivre de manière un peu plus saine, pour soi et pour la planète », conclut-il.

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