Que reste-t-il aujourd’hui de la RFA et la RDA ? Quelles traces la ville de Berlin conserve-t-elle de cette longue période où le Mur de la honte s’est dressé en plein milieu de ses rues ?
Jeudi 9 novembre 1989 : le monde entier assiste ce soir-là, ébahi, à la chute du Mur de Berlin. Les Allemands de l'Est se ruent à l’ouest pour goûter à la liberté, les journaux titrent « Berlin ist wieder Berlin ». Personne ne s’y attendait, et pourtant cet événement a provoqué en quelques mois l’effondrement global du bloc de l’Est et la fin de la Guerre Froide. Pour l’Allemagne, il préfigurait enfin un espoir de réunifier un pays divisé depuis près de 45 ans, un pays fracturé. Les images de la chute du Mur ont tellement marqué les esprits que 35 ans plus tard, tous ceux qui y ont assisté s’en rappellent encore, et ce moment est considéré comme l’un des plus marquants du XXè siècle.
La réunification de l’Allemagne, si elle est souvent perçue comme un événement positif dont il faut se réjouir (ce qui est le cas) n’a pas non plus été un long fleuve tranquille. Pour les Allemands de l’Est, elle a aussi été vécue comme un rejet systématique de tout ce qui avait constitué leur identité depuis la Seconde Guerre Mondiale, y compris dans leur quotidien, leurs habitudes et leurs symboles. De plus, le processus de réunification a provoqué une crise économique intense dans l’ex-RDA, puisque le passage à l’économie de marché a été très violent dans un Etat où l’emploi était auparavant assuré à tous. La jeune République fédérale allemande a dû supporter le coût astronomique de la modernisation de l’appareil économique de l’ex-RDA, plus archaïque, entraînant simultanément une hausse du chômage et de la pauvreté.
Une frontière devenue structurante à l’échelle nationale
La Wiedervereinigung conduit ainsi l’Allemagne à la fin des années 1990 dans une situation économique très précaire, au point qu’on l’appelle « l’Homme malade de l’Europe ». Mais le pays réussit un miracle au début des années 2000 en devenant une grande puissance industrielle, premier exportateur d’Europe, et avec un taux de chômage en baisse, grâce à une exceptionnelle résilience et compétitivité. Malgré tout, le PIB par tête continue d’être sensiblement plus élevé dans l’ex-RFA, et le chômage bien moins présent.
Ces disparités économiques durables ont contribué à faire perdurer un ressentiment chez les populations de l’est qui estiment souvent ne pas avoir été assez soutenues par l’Etat fédéral, qui n’a pas pris en compte à la fois leur besoin de reconnaissance dans leur identité, et leurs difficultés matérielles. La division du pays s’est donc inscrite sur la durée dans le paysage socio-économique allemand, et est encore très marquée aujourd’hui. Les régions qui cumulent les handicaps du point de vue de l’emploi, de la richesse, et des travailleurs qualifiés, peinent toujours à rattraper leur retard (Philipp Fink, Martin Hennicke, Heinrich Tiemann, Une Allemagne inégalitaire, rapport sur les disparités socio-économiques, p.4, 2019). A l'heure actuelle, la division Est-Ouest est plus prégnante que celle Nord-Sud.
Et cela apparaît aussi dans les tendances électorales. On le sait, l’AfD bat des records dans les Länder de la Saxe, Thuringe et Brandenbourg. La victoire du populisme d’extrême droite dans ces régions n’est pas un hasard et si la conjoncture actuelle joue pour beaucoup, le terrain est plus fertile dans des zones où les habitants se sentent particulièrement désemparés pour survivre. Dans la commune de Berlin, les quartiers de l’est votent le plus à gauche même si la différence s’atténue avec le temps.
Berlin, la capitale à deux facettes
Les Berlinois d’aujourd’hui sont pour beaucoup porteurs d’une mémoire plurielle puisque la ville a vécu 28 ans de séparation en deux zones opposées – Berlin Ouest étant de plus une enclave en RDA. Il est intéressant de voir à quel point l’héritage du mur de Berlin et l’histoire de sa chute ont été intégré par les habitants de la ville dans le développement de leur propre culture alternative et urbaine, même par des populations qui ne l’ont pas connu.
Le Mur de la honte, pendant ses 28 ans d’existence, était déjà utilisé comme toile géante par les artistes à l’ouest, qui tentaient ainsi de l’humaniser, d’inscrire des messages d’amour et de solidarité sur le béton gris. L’expression artistique est demeurée un outil majeur de la réappropriation de leur ville par les habitants, avec de nos jours l’East Side Gallery par exemple. D’autres lieux comme le musée de la RDA ou Checkpoint Charlie sont devenus emblématiques du tourisme de la ville et attirent des millions de visiteurs.
L’héritage mémoriel pluriel de Berlin a suscité des controverses au sujet des symboles et de l’idéologie. Par exemple, la destruction en 2008 de l’ancien Palais de la République (siège du parlement Est-allemand et donc emblème de la RDA) a été très mal vécue par beaucoup, qui jugent globalement que Berlin Est a fait l’objet d’une tentative d’effacer tout héritage de la période soviétique. Le malaise est partagé par les habitants qui n’ont pas accepté cette « forme de domination de l’Ouest triomphant sur l’Est vaincu » (Aude Le Gallou, De Berlin-Est au "Nouveau Berlin" : les mémoires plurielles d’une capitale réunifiée, 2015). Encore en 2024, cette histoire particulière est présente dans tous les esprits.
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