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Journée nationale de l'éducation en Pologne : bonne fête les profs ! Comment ça va ?

En Pologne, la Journée des enseignants, chaque 14 octobre, souligne l’importance de la profession qui est, non seulement associée à l’exercice d’une fonction didactique, mais aussi à une fonction éducative. Fleurs, bonbons, thés, pâtisseries, appels solennels et galas ainsi que des prix spéciaux aux éducateurs les plus méritants remis par le ministre de l’Éducation nationale, peuvent-ils faire oublier des salaires au ras des pâquerettes, l’image ternie d’une profession pourtant clé au sein de notre société mais complètement dévaluée ?

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Écrit par Bénédicte Mezeix
Publié le 14 octobre 2022, mis à jour le 3 octobre 2023

Ce désamour n’est pas propre à la société polonaise, les profs aujourd’hui se sentent méprisés par l’opinion, qui refuse de voir la réalité de leur métier, sous prétexte - en filigrane, qu’enseigner et s’occuper d’enfants, tout le monde peut le faire, ce n’est pas un vrai métier ! Enseigner n'est pas un jeu d'enfant.

A l'occasion de cette journée, lepetitjournal.com/Varsovie fait le point sur la situation des enseignants du public et en profite pour saluer leur travail. Et vous, vous le feriez ? 

 

La Journée nationale de l’éducation en 4 dates

  1. C’est le 14 octobre 1773 que la Commission nationale de l’éducation (KEN) a été créée par le roi Stanisław August Poniatowski.
  2. Puis l’idée d’initier une fête commémorant cette création est née sous l’impulsion du Syndicat des enseignants polonais en 1952.
  3. Néanmoins, la Journée des enseignants a officiellement vu le jour, telle que nous la connaissons aujourd’hui, en 1972, avec l’élaboration de la Charte des droits et devoirs des enseignants.
  4. En 1982, le nom de la fête a été changé en Journée nationale de l’éducation, qui inclut non seulement les enseignants eux-mêmes, mais « tous les travailleurs de l’éducation ».

 

Un salaire proportionnel à l’opinion qu’on se fait du métier de prof ?

En Pologne, les postes d’enseignants sont majoritairement occupés par des femmes, car dans l’imagerie collective c’est un métier « pour lequel on est payé à faire la maman. Le salaire mensuel est tellement bas quand vous travaillez dans une école publique, que vous êtes obligés d'accumuler les cours privés pour vous en sortir... Peu d'hommes enseignent en réalité, pas parce qu'ils ne veulent pas, mais car au sein du couple, le salaire de prof est perçu comme un salaire de complément », explique Renata, qui a enseigné les maths au primaire et a rejoint depuis, le monde de l’entreprise, usée alors qu’elle avait vraiment la vocation.

 

En France

Le salaire annuel moyen en 2021 d'un enseignant français du secondaire ayant 15 ans d'expérience et un Capes - qualification la plus répandue est de 43.133 dollars, soit environ 44 .105 euros. Ça fait rêver, n’est-ce pas ? Pourtant, ce salaire est nettement inférieur à  la moyenne des pays de l'OCDE, selon le rapport annuel "Regards sur l'éducation" publié ce lundi 3 octobre 2022. Cette fameuse moyenne est de 51.246 dollars, soit, environ 52 .407 euros actuels : 16% de plus !

 

En Pologne

La Pologne compte 700.000 enseignants, d’après le ministre de l’Éducation et des Sciences, Przemysław Czarnek et des modifications dans la rémunération des enseignants ont été apportées lors de cette rentrée 2022.

  • La loi stipule que la rémunération moyenne d'un enseignant en formation sera désormais de 120 % du montant de base déterminé annuellement pour les enseignants dans la loi budgétaire (en moyenne environ 250 PLN de plus qu'auparavant).
  • Ils doivent être payés au minimum 3424 PLN - s'ils sont titulaires d'un master avec une préparation pédagogique (sans compter les indemnités). 
  • Malheureusement, la rémunération des enseignants nommés et certifiés n'augmentera pas, elle restera au même niveau. Elle sera respectivement de 144 % (soit 3597 PLN) et 184 % (soit 4224 PLN) - pour les enseignants titulaires d'un master avec préparation pédagogique, s'ils n'en ont pas, ils gagneront moins. Source : Loi du 5 août 2022 modifiant la loi - Charte des enseignants et certaines autres lois (Journal des lois de 2022, point 1730, ci-après : la loi), signées par le président de la République de Pologne le 10 août 2022, introduisant, entre autres, des modifications à la loi du 26 janvier 1982. - Charte des enseignants (Journal des lois de 2021, point 1762, tel que modifié). La loi modifie également les dispositions relatives au système éducatif, y compris son financement ou les allocations pour les UTS.

« Je pense que les salaires [des enseignants] devraient être encore plus élevés qu’à l’heure actuelle, mais nous devons nous rappeler que le budget représente l’ensemble des recettes et des dépenses du budget de l’État, et le ministre de l’Éducation et des Sciences n’a pas de budget qui peut être alloué en toute sécurité à de nouvelles augmentations de salaire », a déclaré début octobre, le vice-ministre de l’Éducation et des Sciences, Dariusz Piontkowski. En 2023, les salaires de tous les enseignants devraient théoriquement augmenter de 7,8 %. Le syndicat enseignant ZNP (Związek Nauczycielstwa Polskiego) exige, quant à lui, une augmentation de salaire de 20 % pour tous les employés de l'enseignement supérieur et des sciences.

 

Crise sanitaire et élèves ukrainiens

La crise sanitaire et la fermeture des écoles ont fini d’essorer la profession… Ewa, prof d’anglais dans une école privée et aussi maman de 5 enfants, n’avait pas d’autre choix que de s’installer dans sa cuisine, pendant le 1er confinement, en mars 2020, pour assurer ses cours en ligne, car ses enfants n’ayant pas tous leur propre chambre, se répartissaient les autres pièces de l'appartement, dont le salon. « Des parents se sont plaints qu’on entendait parfois mon lave-vaisselle ou ma machine à laver, tourner, alors que ça n’est arrivé que rarement, et que je ne pouvais pas faire autrement… Pendant ce temps-là, certains d’entre eux ne se gênaient pas pour passer l’aspirateur, utiliser la perceuse ou juste avoir de longues conversations téléphoniques, juste à côté du micro de leur ado, au moment où il était interrogé ! Heureusement, la direction de mon établissement savait dans quelles conditions chaque prof travaillait et nous soutenait. Des amies, beaucoup moins chanceuses que moi, en poste dans des écoles ou la direction s’aplatit devant les parents, en ont beaucoup plus bavé ! »

Alors que les cours en ligne n’étaient plus qu’un mauvais souvenir, le 24 février 2022, nouveau coup dur pour la profession, avec l’agression de l’Ukraine et le flot de jeunes réfugiés en âge d’être scolarisés qui en a découlé. Nous avions traité ce sujet dans l’article « Accueil des enfants ukrainiens : la nouvelle réalité des écoles polonaises ? » Les profs se sont organisés – souvent seuls, mais ils sont aujourd’hui lessivés.

Depuis le 8 octobre - et ce jusqu'au 14, ils se retrouvent à Varsovie, près du bâtiment du ministère de l’Éducation, soutenus par le syndicat des enseignants polonais (ZNP) pour manifester leur colère, avec pour slogan principal : « L'éducation est la plus importante » « Edukacja jest najważniejsza ». Seront-ils entendus ?

 

Les grèves des enseignants en Pologne : pardon de vous déranger…

Les grèves, parlons-en ! Manque de solidarité au sein du corps enseignant, lassitude, peur des conséquences ? Celle de 2019 n’a pas eu l’effet escompté.

Du 8 au 27 avril 2019,  74% des écoles polonaises publiques se sont mises en grève. Petite grève, sans beaucoup d’effet, suspendue par les profs eux-mêmes, bien que le gouvernement n’ait pas accédé à leur revendication principale, une hausse des salaires de 30%, demandée par 2 des 3 syndicats. Un camouflet ! Une prof qui préfère rester anonyme se remémore le retour pénible à l’école : « certains parents venaient clairement nous narguer dans les couloirs en étant ouvertement odieux, se moquant de notre incapacité à se faire respecter par notre propre institution ! ». 

Un témoignage corroboré par Agata, enseignante d’anglais en lycée depuis douze ans, qui s’était confiée au quotidien Gazeta Wyborcza en 2019, expliquant qu’elle ne reprendrait pas les cours en septembre et chercherait un nouvel emploi, même peu qualifié. « J’ai travaillé au prix de ma santé et de ma famille pour 2.000 zlotys nets [470 euros par mois en 2019, soit 60 euros de plus que le SMIC polonais]. J’étais engagée dans la grève, mais les réactions du gouvernement, de la société et de la direction ont été insupportables. Je dois penser à moi-même », confie-t-elle.

Lors de ce mouvement de 2019, la réforme de système scolaire introduite en 2017 était également revenue sur le tapis. Cette réforme a supprimé les collèges, rallongeant l’école primaire qui ne compte plus six mais huit classes, laissant sur le carreau de nombreux profs de langue qui enseignaient au collège l’espagnol, le français, l’italien... Quant au lycée, il dure dorénavant quatre ans au lieu de trois.

 

Une grève avant la fin de l’année 2022 ?

Lors de la réunion du conseil général du syndicat national des enseignants polonais, le 19 septembre, le chef du ZNP, Sławomir Broniarz a annoncé que  « (...) Tout d'abord, en octobre, le ZNP (Związek Nauczycielstwa Polskiego), en collaboration avec le Forum Oświata, ainsi que d'autres organisations opérant dans la sphère de l'éducation au sens large, également avec la participation des parents, des organisations non gouvernementales, organisera une ville éducative à Varsovie ». 

Les syndicats veulent sensibiliser les citoyens aux problèmes de l'éducation qui devrait être l’affaire de tous. Ils souhaitent également interpeler sur les conditions et les horaires de travail, le financement de l'éducation, y compris les salaires des enseignants, les parents et les ONG à l'école, l’aide et le soutien pédagogiques et psychologiques, l'enseignement supérieur et la situation très difficile et complexe des institutions universitaires, des institutions de recherche. Souhaitant redorer le blason des profs, ce mouvement a également pour but de rétablir le dialogue avec la communauté.

 

Piquet de grève le 15 octobre ! Oui, mais c’est un samedi… alors à quoi ça sert si cela n'embête personne ?

« Nous voulons organiser un piquet de grève à l'échelle nationale le [samedi] 15 octobre. En même temps, dans chacune des voïvodies, nous voudrons organiser des manifestations ayant le caractère d'actions de protestation, situées, selon les modalités, soit devant les locaux de l'administration gouvernementale, soit devant les sièges des surintendants de l'éducation.», a précisé Sławomir Broniarz. 

 

Alerte à Szczecin ! 

Dans un article publié le 7 octobre sur la page officielle de la municipalité, les représentants du syndicat des enseignants polonais à Szczecin, affirment que la situation est dramatique : « sans action systémique, dans un an ou deux, il se peut qu’il n’y ait personne pour enseigner dans les écoles ». Teresa Mądry, présidente du syndicat ZNP de Szczecin explique qu’ « (…) Il y a des enseignants qui, après quelques jours [de travail], sont partis vers d'autres professions ou même chez Biedronka ».

 

« Que deviendra le monde si aujourd'hui déjà, il doit recourir aux catastrophes pour assurer du travail et un but dans la vie aux hommes de notre temps ?
Impossible, tout cela. Ressaisissons-nous, sinon nous courons à un marasme, à une asphyxie, à un découragement dont nous n'avons même pas idée. » Janusz Korczak (né Henryk Goldszmit), médecin-pédiatre, éducateur, pédagogue et écrivain, Journal du ghetto

« C'était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n'avaient pour s'en sortir
Que l'école et le droit qu'a chacun de s'instruire


Il y mettait du temps, du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
À sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie » Chanson de Jean-Jacques Goldman, Il changeait la vie, parue sur l'album Entre gris clair et gris foncé, en 1987.