Urgence : parlons de la santé mentale des jeunes (mais pas que) en Pologne

Être un bon parent et aider ses enfants à être heureux : le plus grand défi de la vie

En tant que « mère-consciente » de deux jeunes garçons, je suis constamment à la recherche de la recette parentale parfaite pour les élever le mieux possible. Après tout, je veux que mes enfants deviennent des hommes intelligents, débrouillards et sensibles. Rien de difficile... c'est ce que je croyais il y a encore quelques années, avant leur naissance. Depuis, tout a changé et plus rien n'est évident. J'ai régulièrement le sentiment d'être une mauvaise mère, de ne pas être à la hauteur, le soir je me demande ce que j'aurais pu faire de mieux ce jour-là. 

Être parent est l'un des plus grands défis de la vie, où chaque jour le plaisir est mélangé à l'anxiété, l'amour est entrecoupé de colère, l'énergie et l'épuisement se battent alternativement. 

Pour couronner le tout, la belle image d'une maman souriante est souvent assombrie par la dépression, et l'enthousiasme des enfants et des jeunes face aux défis du monde moderne s'évanouit soudain quelque part pour laisser place à l'anxiété et au désordre.

Depuis quelques mois, je participe bénévolement à des ateliers créatifs tels que l'art-thérapie dans la clinique de psychiatrie du développement au Centre Clinique Universitaire de l'Université de Médecine de Varsovie.

Je connais également de nombreuses mères d'enfants d'âges différents avec lesquelles j'échange régulièrement des expériences. 

Les connaissances que j'acquiers d’une part en cours et d’autre part, sur le terrain, me permettent de dresser une image plutôt pessimiste des jeunes d'aujourd'hui, qui ont de plus en plus de mal à faire face aux défis que le monde leur lance.

 

Un adolescent, c’est « quoi » exactement ?

Si un Martien débarquait sur Terre et voulait savoir ce qu'est ce concept étrange d « adolescent », il utiliserait probablement l'internet :

Lorsque nous tapons le terme « adolescent » dans un moteur de recherche, nous obtenons près de 20 millions de résultats, et des expressions telles que « adolescent a besoin de soutien », « expérimentation de la drogue et de la sexualité », « comportement à risque des adolescents », « comment parler pour que votre adolescent vous écoute », « pourquoi l'adolescent provoque », « adolescent stressé/dépressif » et, bien sûr, le classique « adolescent rebelle » viennent à l'avant-plan. En lisant cela, notre Martien en conclurait probablement qu'il vaut mieux s'en tenir éloigné. Et même si nous, les humains, comprenons un peu mieux ce concept, il nous échappe souvent, même (ou surtout) lorsqu'il s'agit de notre propre enfant. Mais pourquoi nous est-il si difficile de nous entendre avec un jeune ?

 

Ce qu’on ne nous apprend pas en cours de biologie sur les adolescents… 

Je n'ai appris le fonctionnement du cerveau des adolescents qu'au cours de mes études de psychologie, même si je pense qu'il s'agit d'une connaissance de base que tout le monde (ou au moins tous les parents) devrait avoir. Ce n'est pas du tout compliqué, et le simple fait de connaître la révolution qui se produit dans le jeune cerveau permet de voir beaucoup de choses différemment.

 

Comment fonctionne le cerveau des adolescents ? 
- Le cerveau de l'adolescent est un véritable chaos neurobiologique. Notre cerveau a besoin de nombreuses années pour atteindre son plein développement. L'adolescence est l'une des périodes critiques de la transformation du cerveau, au cours de laquelle les connexions neuronales inutiles sont éliminées tandis que de nouvelles sont créées. 
- Ce processus commence par les structures sous-corticales, qui sont les plus anciennes du point de vue de l'évolution et qui sont donc responsables des émotions primaires telles que la peur, l'agression, l'anxiété, le plaisir et l'excitation. Ce n'est que plus tard que le cortex préfrontal arrive à maturité, ce qui nous permet de comprendre les émotions et d'acquérir un contrôle cognitif. C'est pourquoi les adolescents eux-mêmes ne savent souvent pas ce qui leur arrive et perçoivent le monde d'une manière différente. Il existe de nombreuses preuves scientifiques de ce phénomène, qui ne doit donc pas être ignoré.  
- L'une des choses qui change également à l'adolescence est le rythme diurne - il est décalé de 2 à 3 heures en arrière, c'est pourquoi les adolescents se couchent souvent très tard. Il est facile de deviner que cela n'est pas propice à un fonctionnement sain, surtout lorsqu'il faut se lever à 7 heures le lendemain pour aller à l'école.

 

Comme on peut le constater, la nature elle-même s'évertue à mettre des bâtons dans les roues du rythme jeunes, et ce n'est qu'un obstacle parmi d'autres sur leur chemin vers l'âge adulte.

 

Le monde incompréhensible de l’adolescence et la solitude

Les adolescents d'aujourd'hui sont confrontés à des défis très différents de ceux d'il y a 20 ou 30 ans. Les générations plus âgées nous disent souvent que c'était plus difficile à leur époque et qu'aujourd'hui les enfants ont tout. Alors pourquoi cette crise de la santé mentale soudaine ? 

Grâce aux progrès technologiques, le monde change à une vitesse alarmante et nous n'arrivons pas à suivre le rythme. Dans de nombreux cas, la technologie facilite la vie, mais elle comporte également de nombreux risques si nous ne l'utilisons pas de manière judicieuse. Même les adultes s'y perdent parfois, sans parler des jeunes. 

 

La santé mentale des jeunes en Pologne en particulier

De nos jours, les gens se sentent très seuls. En 2017, près de 40 % des Polonais ont déclaré éprouver un sentiment de solitude (selon les données du centre de recherche sociale CBOS). Les enfants manquent d'expérience qui développe les compétences sociales. Les statistiques sont assez effrayantes : 97 % des adolescents utilisent quotidiennement les médias sociaux. En outre, 46 % des jeunes déclarent utiliser l'internet en permanence. Des études ont montré que l'utilisation de Facebook est associée à un sentiment accru d'isolement social et à une dégradation du bien-être. 

L'utilisation de cette plateforme sociale est également associée de manière négative à un bien-être plus large. L'adolescence est marquée par un processus naturel de déconnexion émotionnelle avec les parents, qui s'effacent au profit des pairs. Cependant, il est aujourd'hui plus difficile de maintenir des relations étroites et authentiques, car celles-ci sont principalement entretenues par le biais de la technologie plutôt que par des contacts personnels. Les jeunes sont en contact permanent, mais ont beaucoup moins de réunions en face à face. Les interactions en ligne ne peuvent jamais remplacer les relations sociales réelles, même si elles en créent l'illusion. Les jeunes utilisent l'internet pendant 4 heures et 50 minutes par jour en moyenne (chiffres de 2020). C'est beaucoup trop. Cela se fait au détriment de la construction de vraies relations avec leurs pairs et leurs proches. De plus, le fait de regarder constamment son téléphone et de recevoir des notifications nuit considérablement à la concentration, ce qui a un impact négatif sur l'apprentissage et les résultats scolaires. Le système éducatif, quant à lui, exige énormément des jeunes.  

La lumière émise par les smartphones nuit à la qualité du sommeil et entraîne de la fatigue. Il s'agit ici d'une addiction comportementale qui peut avoir des conséquences très négatives. 

D'autres dangers associés à l'accès illimité à l'internet sont la haine, ou plutôt le discours de haine "hate speech", ou "cancel culture"  qui peut être extrêmement blessant et dangereux. Les médias sociaux sont un monde toxique qui offre une vision du monde qui est inaccessible et irréelle, qui intensifie le sentiment de solitude et un sentiment d'inadéquation. Les jeunes ne peuvent pas faire face à des stimuli excessifs et ne sont pas biologiquement équipés pour fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Donner aux jeunes des smartphones sans instructions appropriées les expose aux dangers des contenus inappropriés. Aujourd'hui, il est impossible de se passer d'un smartphone, mais il est important de savoir s'en servir.

 

Comment réagir en tant que parent ?

Avec tout cela, nous, parents, sommes souvent perdus. Aujourd'hui, la vie professionnelle est de plus en plus exigeante. Nous aussi, nous ne parvenons pas à nous détacher de notre téléphone, nous emportons du travail à la maison, nous avons du mal à accorder toute notre attention à nos enfants. Tout cela nuit gravement à la relation entre parents et enfants, qui peut s'avérer difficile à l'adolescence.

En Pologne, nous avons un proverbe qui dit : « Celui qui en sait le moins dort mieux ». Souvent, les parents très occupés préfèrent fermer les yeux, feignants de ne pas voir certains comportements chez leurs enfants, parce qu'ils sont tout simplement trop fatigués et trop stimulés.

 

Qu'en est-il des services de santé en Pologne ? Quelques bien tristes statistiques

En 2019, la police a enregistré 98 suicides d'enfants et d'adolescents. Depuis, les statistiques n'ont fait qu'augmenter. En 2022, pas moins de 150 tentatives de suicide se sont soldées par un décès, un an plus tard, il y en a eu un peu moins de 146. Les tentatives de mettre fin à ses jours, elles, ont augmenté. Selon les dernières données de la police, 2.139 tentatives ont été recensées en 2023, soit 108 de plus que l'année précédente. 

En Pologne, il y a environ 2 millions de personnes qui ont besoin d'un soutien immédiat et seulement 555 pédopsychiatres. Les services psychiatriques sont surchargés et leur personnel est professionnellement épuisé et impuissant. Un tel système ne permet pas d'apporter une aide fiable aux enfants et aux familles. Très souvent, il y a même deux fois plus de patients que de lits. 

Or, le nombre de spécialistes n'augmentera pas du jour au lendemain. C'est pourquoi les mesures préventives et éducatives sont très importantes, comme le soulignent de nombreux psychiatres. En outre, le nouveau système devrait prendre en compte tous les aspects du fonctionnement de l'enfant, c'est-à-dire les aspects biologiques, neurodéveloppementaux, familiaux, les pairs et l'éducation.

 

De l’urgence de la sensibilisation des adultes en Pologne au problèmes de santé mentale

Les actions visant à sensibiliser les parents, les enseignants et les éducateurs aux problèmes mentaux des enfants et des adolescents sont extrêmement importantes. L'éducation de base des parents aux problèmes de santé mentale pourrait avoir un impact considérable sur l'amélioration de la situation en Pologne.

Actuellement, le Programme National de Protection de la Santé Mentale 2023-2030 est mis en œuvre en Pologne et, en outre, l'objectif opérationnel du troisième Programme National de Santé concerne la prévention des troubles de la santé mentale. Dans le cadre de ce programme, le Programme National de Prévention des Comportements Suicidaires est également mis en œuvre pour la première fois. 

Compte tenu de l'énorme charge qui pèse sur le système, de l'inefficacité des services de santé et de l'absence de soutien dans le domaine du système éducatif ou des soins de proximité, il ne faut pas oublier que la charge de la lutte pour la santé des jeunes incombe principalement aux parents. C'est au sein du foyer familial que s'effectue la majeure partie du travail sur le bien-être des enfants. Il vaut la peine de soutenir toute initiative, même à la base et à petite échelle, qui aide à supporter ce fardeau. Si nous pouvons ainsi sauver ne serait-ce qu'une vie d'enfant, cela vaut la peine d'agir.

 

Si vous avez besoin d'aide

Institute Mindset